Mesures compensatoires « ERC » : Nichoirs, hibernaculums… un pis-aller ?

Le petit rhinolophe (Rhinolophus hipposideros), menacé par la destruction de son habitat, a besoin de grandes cavités pour nicher. Photo : Jean-François Noblet
Texte et photos : Jean-François Noblet

Jean-François Noblet, naturaliste, écrivain, photographe, est actif au sein de plusieurs mouvements de protection de la nature. Il est également rapporteur de dossiers de demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées au Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Il publie ce texte en son nom et ses propos n’engagent pas le CNPN.

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 315, mars-avril 2019

Depuis une dizaine d’années, en France, le législateur et le gouvernement tentent de stopper la perte nette de biodiversité liée aux activités humaines. Les lois Grenelle en 2009 et 2010, la réforme de l’étude d’impact en 2012 et la loi de 2016 sur la reconquête de la biodiversité imposent désormais la fameuse séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) dans les dossiers d’aménagements destructeurs de nature (cf. Le Courrier de la Nature n° 307, p. 41 à 45). Si l’on peut se réjouir de cette nouvelle tentative règlementaire de protection de notre patrimoine naturel, cette politique comporte tout de même quelques lacunes et imperfections. À l’examen des dossiers, nous constatons que les maîtres d’ouvrage ont une fâcheuse tendance à oublier les deux premiers points de la séquence ERC pour se concentrer sur les mesures compensatoires. Il s’agit alors souvent de mesures alibis, une sorte de paiement pour un droit à détruire la nature et une concession facile à faire pour obtenir une autorisation, quitte à l’oublier une fois le chantier terminé.

ERC, qu’est-ce que c’est ?

La séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) est inscrite dans le corpus législatif et réglementaire français depuis la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature. La doctrine, publiée en 2013, a été confortée par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016. Elle permet d’envisager la prise en compte de l’environnement le plus tôt possible dans tous les chantiers, afin de minimiser leur impact sur l’environnement. Cette stratégie s’applique, de manière proportionnée aux enjeux, à tout type de plan, programme et projet dans le cadre des procédures administratives d’autorisation (étude d’impacts ou étude d’incidences thématiques, Natura 2000, espèces protégées…). La séquence englobe l’ensemble des thématiques de l’environnement (biodiversité, air, bruit, eau, sol, santé des populations…), afin d’envisager un cadre général des nuisances pouvant être évitées, ou à défaut réduites, et enfin, si cela s’avérait impossible, compensées. L’objectif est de prioriser les étapes : évitement des impacts tout d’abord, réduction ensuite, et en dernier lieu, compensation des impacts résiduels si les deux étapes précédentes n’ont pas permis de les supprimer. C’est le ministère qui définit la politique nationale en matière d’évitement, de réduction et de compensation des impacts environnementaux au travers des outils législatifs et par la diffusion d’éléments méthodologiques qu’il porte à la connaissance de l’ensemble des acteurs de l’aménagement du territoire et du développement économique. Plus d’informations sur le site du ministère de la Transition écologique et solidaire.

Des mesures inadaptées

Lors des demandes de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, de nombreuses lacunes et de mauvaises habitudes semblent peu corrigées par les services de l’État ou de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), car ils manquent cruellement de personnel qualifié. Trop rares sont les fonctionnaires disposant de compétences naturalistes de terrain. On doit donc s’interroger sur deux questions qui reviennent systématiquement : l’absence de prise en compte de la qualité des sols et l’oubli de certains mammifères dans les inventaires d’état initial. Le premier point est essentiel, car chacun sait que d’une part, la biodiversité et la biomasse dans un sol sont très souvent plus importantes que celles que l’on trouve au-dessus ; d’autre part, elles conditionnent la qualité de toutes les chaînes alimentaires du site. On devrait donc disposer d’analyses des sols, ou au moins de quelques éléments descriptifs de leur nature, et de propositions d’évitement, de réduction d’emprise, de compensation et de restauration des sites concernés. Cela suppose d’insister davantage sur ces compétences dans les bureaux d’études et les services de l’État. Le second point démontre la méconnaissance de certaines espèces. En effet, il est facile de citer les principales espèces de grands mammifères présentes sur un site en examinant les traces ou en interrogeant des chasseurs, mais il est plus coûteux de rechercher certaines espèces de micromammifères protégés (musaraigne aquatique, campagnol amphibie, muscardin, hérisson, écureuil…) ou menacées (putois, belette…). Cela suppose l’usage de pièges ne causant ni mort ni blessure, ou de pièges photographiques qui demandent du matériel, du temps et des compétences assez peu rencontrées. Des bureaux d’études présentent souvent un inventaire des oiseaux, des reptiles amphibiens et des mammifères classés gibier en oubliant ces espèces plus discrètes. Cet oubli devrait contribuer à un rejet du dossier et à une demande de complément de la part du service instructeur.

Une niche pour chien aménagée posée sur un poteau de panier de basket peut constituer un nichoir à chauves-souris performant. Ici avec l’association le Pic vert, Marais de Saint-Nicolas-de-Macherin (38). Photo : Jean-François Noblet

Le cas des chauves-souris

L’étude des chauves-souris en France est probablement le domaine où les connaissances et compétences naturalistes ont le plus progressé depuis les années 1990. On peut s’en réjouir, mais cela produit un effet pervers qui est à dénoncer. En effet, nous disposons aujourd’hui de récepteurs d’ultrasons automatiques très sophistiqués qu’il suffit de poser sur un site en été durant la nuit et de décrypter ensuite sur un ordinateur dans son bureau. Ainsi, on peut détecter la plupart des espèces qui circulent ou chassent au-dessus de l’espace à étudier. Cette technique est intéressante et génère des économies de travail de nuit pour un bureau d’études, mais elle ne donne pas le véritable impact d’un aménagement sur les chiroptères car elle oublie la difficile recherche des gîtes de repos et de reproduction susceptibles d’être détruits. Il serait nécessaire que l’usage des récepteurs d’ultrasons soit systématiquement complété par des séances de terrain pour la recherche de gîtes et par des piégeages nocturnes au filet pour connaître le statut de reproduction des espèces sur place.

Les bureaux d’études sont ainsi généralement capables, grâce au matériel technique et à un bon logiciel, d’établir une liste des espèces qui volent sur un terrain, mais restent d’une grande indigence de propositions de mesures compensatoires, qui se limitent trop souvent à la pose de nichoirs. Malheureusement, plusieurs espèces (les rhinolophes, le minioptère, certains murins…) ne viendront jamais occuper un nichoir car ils ont besoin de grands volumes pour leurs gîtes. Pourtant, de nombreuses autres mesures d’aménagement de l’espace peuvent limiter l’impact d’un projet sur les chauves-souris : création de mares, limitation des éclairages et des pesticides, intégration de nichoirs en béton de bois dans les constructions nouvelles, création de grottes, caves ou greniers dédiés, conservation sur pied d’arbres morts creux etc. permettent de procurer aux chiroptères les divers gîtes tranquilles (humides et sombres, à température positive et stable en hiver, puis chauds, secs et sombres en été), la nourriture sans pesticides et l’eau sans chlore dont ils ont besoin. On peut donc déplorer le manque d’expérience de terrain des bureaux d’études et par conséquent, le manque d’adaptation des mesures compensatoires pour préserver les chauves-souris à l’échelle de leur cycle annuel.

L’hibernaculum à reptiles

Un exemple d’hibernaculum. Photo : Jean-François Noblet

Dès qu’une présence de reptile est détectée sur un site, les bureaux d’études proposent la création d’un hibernaculum. Il s’agit de creuser un trou de dimensions variables où entasser du sable, du compost, des matériaux divers (pierres, tuiles, moellons creux, souches) afin de constituer un site d’hibernation et de bains de soleil pour lézards et serpents (cf. le Courrier de la Nature nº 290, p. 42-45). Cette action à la mode plaît beaucoup, parce qu’elle permet de recycler les déchets de chantier à bon marché et parce que l’on suppose pouvoir ainsi cantonner toutes les « vipères » du secteur dans un endroit éloigné. Si l’idée est louable – rappelons toutefois qu’un simple trou de campagnol peut suffire à protéger une couleuvre pendant l’hiver – il ne faudrait toutefois pas omettre l’ensemble des causes de destruction des reptiles et des paramètres qui influent sur leur survie. Ainsi, installer un hibernaculum au milieu d’un rond-point ou dans un lotissement de maisons individuelles, c’est oublier que les voitures et les chats représentent également des menaces pour les reptiles. Là encore, nous devons exiger des mesures compensatoires pertinentes pour assurer le maintien et le développement des reptiles, ce qui suppose des sites de ponte, la gestion différenciée des espaces ouverts, la défragmentation du terrain à l’échelle des bordures de trottoirs, la neutralisation des pièges (les trous au ras du sol par exemple) et le traitement des murs pour conserver les espaces occupés. Pourquoi ne pas prévoir l’intervention d’un médiateur compétent pour expliquer aux futurs usagers d’un espace aménagé comment accepter et se comporter en présence de reptiles ?

Faut-il poser des nichoirs ?

La plupart des maîtres d’ouvrage et des bureaux d’études, plus soucieux de leur rentabilité que des résultats obtenus pour la préservation de la biodiversité, proposent systématique- ment la pose de nichoirs dès que l’on détecte des oiseaux ou des chauves-souris sur un site. Cela pose différents problèmes. Le premier tient à la durée de vie de ces nichoirs : il est important de signaler que des nichoirs en bois, qu’ils soient fabriqués de manière artisanale ou achetés dans le commerce, ont une durée de vie très limitée sous les climats français ; ils risquent ainsi de tuer une nichée si le système d’accrochage rouille ou si le bois pourrit ou se fend lorsque le nichoir est occupé. Des études françaises et italiennes ont démontré que seuls les nichoirs en ciment de bois (les marques Schwegler ou Vivara sont les seules présentes sur le marché actuellement) équipés d’accrochages en inox résistent une trentaine d’années.

Comme dit précédemment pour les chiroptères, il existe de nombreuses espèces d’oiseaux qui n’occuperont jamais un nichoir. Pour celles qui les acceptent, le taux d’occupation dépend de la compétence de la personne qui pose ces nichoirs, qui doit prendre en compte de nombreux paramètres : exposition, hauteur, qualité de l’environnement du site, température intérieure… Il ne suffit donc pas de promettre l’achat de nichoirs ; il faut s’assurer que ceux-ci ne seront pas installés par une personne non formée. La pose de nichoirs est le travail de professionnels de l’écologie ou d’associations naturalistes reconnues, auxquels il faudrait d’ail- leurs également confier le contrôle de l’occupation et le nettoyage des nichoirs en fin d’hiver, afin de s’assurer de la pertinence de la mesure compensatoire dans le temps et d’éventuellement prévoir leur déplacement en cas d’inoccupation.

Là encore, le nichoir reste souvent un alibi et l’on manque cruellement d’imagination pour réaliser de vraies mesures compensatoires efficaces pour la faune. On aurait bien besoin d’experts capables de réduire les surfaces de plantes envahissantes sans pesticide, de défragmenter l’espace au sol pour les espèces de petite taille, de recréer des prairies fleuries (en veillant naturelle- ment à leur composition locale), pour augmenter les populations d’insectes, de neutraliser les pièges mortels créés involontairement, d’installer des nichoirs à insectes efficaces etc.

Planter un arbre mort et faire pousser du lierre dessus est une mesure utile. Cela constitue des nichoirs naturels pour toute la faune et les champignons tout en économisant la mise en décharge. Photo : Jean-François Noblet

Former et expérimenter

En conclusion, on constate qu’un immense travail de formation reste à faire pour que les bureaux d’études améliorent leurs propositions, innovent et imaginent des aménagements efficaces, durables, adaptés et suivis dans le temps. Cela suppose que cette formation apporte une compétence nouvelle aux fonctionnaires, qui devront obligatoirement être plus nombreux pour valider et contrôler les mesures compensatoires. Cela suppose aussi que l’on accorde plus de moyens et de considération aux associations naturalistes qui remplacent trop souvent bénévolement les services de l’État pour défendre la biodiversité qui nous nourrit, nous soigne, nous protège, nous émerveille et nous inspire.

Pour en savoir plus

•  Cerema. 2018. Guide d’aide à la définition des mesures ERC. 134 pages. En ligne.

•  Noblet J.-F. 2005. La nature sous son toit. Delachaux et Niestlé. 176 pages.

•  Noblet J.-F. 2010. Neutraliser les pièges mortels pour la faune. CGI Grenoble. Document numérisé disponible  gratuitement sur demande à jf@noblet.me.

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