Les haies et les bocages : des pratiques répandues sur tous les continents

Paysage de bocage Franck Barske - Pixabay
Texte : Hubert de Foresta, administrateur de la SNPN
Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° spécial 2022

Mettre en place une haie, c’est planter une bande étroite d’arbres, arbustes et lianes, avec pour fonction première de délimiter un espace plus ou moins clos et de former ainsi une enceinte avec un dedans et un dehors. Les haies les plus répandues sont sans doute les haies qui entourent les maisons et leurs jardins, tant en milieu urbain ou « rurbain » qu’en milieu rural, depuis les banlieues des villes d’Europe ou d’Amérique du Nord jusqu’aux petits villages des zones tropicales d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou du Pacifique. Ces haies associées aux habitations permanentes et adoptées par toutes les cultures non nomades correspondent sans doute pour les humains d’abord à un besoin vital de protection, ou de sentiment de protection, vis à vis d’un extérieur plus ou moins menaçant, ou simple- ment envahissant. Après les murs de la maison, les haies enclosent un deuxième espace privé, à ciel ouvert celui-là.

En milieu urbain ou rurbain, les espèces d’arbres, arbustes et lianes choisies pour les haies entourant les habitations sont souvent des espèces ornementales. Dans les pays en développement comme en Europe jusque vers le mi-XXe siècle, les espèces choisies sont aussi alimentaires (fruits, noix, fourrage) et utilitaires (bois de chauffage, fabrication d’outils) mais aussi souvent également médicinales ou/et à fonction culturelle ou magique. Cette fonction magique originelle des plantes choisies pour les haies en Afrique de l’Ouest par exemple, très bien décrite par Roland Portères [1], a amené cet ethnobotaniste à conclure que « la haie vive n’est pas seulement une barrière mécanique qui gêne les intrus (hommes et bêtes) et dont on est à l’abri ; elle filtre les actions et effets surnaturels qui jouent à l’extérieur ; elle exerce une protection magique diversifiée sur ce qu’elle enclot. »

La haie structure le bocage

La haie, élément structurant majeur des pays de bocage, a également ici pour fonction première de délimiter un espace et de l’isoler de l’environnement extérieur, mais cette fois l’espace enclos est le champ agricole ou la prairie, et c’est la juxtaposition des espaces clos par des haies, avec leur réseau de chemins, de talus, de murets, de bosquets, de cours d’eau et de mares, qui forme le paysage bocager. Ces haies agricoles, créées et gérées par les agriculteurs, se retrouvent également sur tous les continents et sous tous les climats favorables à la vie des arbres et arbustes. Adoptée par de nombreuses cultures de par le monde, la haie entourant champs ou pâturages constitue une des pratiques agroforestières les plus répandues. Les fonctions économiques et écologiques multiples et très importantes de ces haies pour les agriculteurs comme pour la société en général sont largement décrites dans ce numéro.

On peut évoquer néanmoins une contrainte agronomique, typique des lisières forestières : la compétition pour la lumière, l’eau et les nutriments, entre les arbres et arbustes de la haie d’une part et la bande de culture ou de prairie jouxtant la haie d’autre part. Cette compétition est au cœur de nombreuses recherches en agroforesterie, qui explorent les possibilités de réduire ses effets négatifs sur les cultures par le choix d’espèces d’arbres adaptées et la sélection de pratiques de culture appropriées. [2], [3] En effet, dans la très grande majorité des cas, c’est la haie qui est gagnante dans cette compétition et le résultat est bien connu des agriculteurs : à proximité immédiate de la haie, les cultures ou prairies présentent une productivité moindre, marquée par des plants tout rabougris. La largeur de la bande de terrain où s’exerce cette compétition dépend essentiellement de la composition et de la vigueur des arbres et arbustes de la haie : à peine distincte dans une haie jeune où les plants de culture croissent sans problème jusqu’à quelques centimètres des jeunes arbres et arbustes, cette bande peut mesurer plusieurs mètres de large pour une haie mature et vigoureuse. Reconnaissant cette contrainte, les agriculteurs ne plantent généralement pas dans cette bande, qu’ils utilisent pour faire tourner leur tracteur. La perte de rende- ment à proximité des haies est cependant largement compensée par les effets bénéfiques (notamment microclimatiques, cf. CLN n° spécial 2022, p. 16 à 18) des haies sur le rendement global à l’échelle de la parcelle.

À quoi sert une haie agricole ?

À rien diront ceux qui ne voient dans les haies que des obstacles à éradiquer pour « rationaliser » l’agriculture ou pour faire passer le progrès, via les gestionnaires de réseaux…

À rien diront ceux qui voient dans la haie un lieu sombre et négligé, réservoir de « mauvaises herbes »…

À rien diront ceux qui sont dérangés par le chant des oiseaux et des amphibiens…

À rien diront ceux qui ne voient dans la nature qu’un ennemi à dominer…

Tous ceux-là ont détruit depuis cent ans plus de 70 % des haies agricoles.

À protéger des cortèges de faune et de flore riches disent les naturalistes…

À conserver des réseaux écologiques indispensables à la biodiversité disent les géographes…

À maintenir des fonctions écosystémiques irremplaçables disent les écologues…

À préserver le patrimoine historique et culturel disent les archéologues et les historiens car 100 % d’entre elles sont des créations humaines…

À sensibiliser à la nature à côté de chez soi disent les éducateurs… À limiter l’érosion et les inondations disent les aménageurs… À tempérer les sécheresses disent les agriculteurs…

À épurer les eaux de ruissellement disent les écotoxicologues… À stocker du carbone disent les climatologues…

À s’accorder un moment de poésie disent les rêveurs…

Tous ceux-là considèrent que les haies sont de précieuses « alliées du vivant » !

On peut également tenter de hiérarchiser les fonctions écologiques « à bénéfices collectifs » (cf. CLN n° spécial 2022, p. 63 à 67) rendues par les haies dans les systèmes de bocage : elles n’ont pas toutes la même importance et ne s’exercent pas à la même échelle spatiale. Ainsi, le stockage de carbone répond à un enjeu qui dépasse largement le territoire du bocage. Bien qu’il s’agisse d’une fonction des haies de plus en plus mise en avant, force est de constater que le stock de carbone des haies représente peu par rapport à celui des forêts. D’une part, la superficie occupée par les forêts en France métropolitaine est estimée à 17 millions d’hectares et le stock de bois sur pied [4] à presque 3 milliards de m3. D’autre part, les estimations récentes du linéaire de haies [5] vont de 600 000 à 750 000 km et celles du stock moyen de bois sur pied de 78 à 93 m3 par km de haie [6]. En nous basant sur les valeurs moyennes de ces estimations (675 000 km pour un stock de 85 m³ par km), nous pouvons estimer le stock de bois sur pied dans les haies à un peu plus de 57 millions de m³, ce qui représente un peu moins de 2 % du stock de bois (et donc de carbone) des forêts. Au-delà des seules haies, c’est la contribution du paysage bocager dans sa globalité qui doit donc être considérée : en effet, les prairies, composantes majeures du bocage, présentent des valeurs de stockage importantes (de l’ordre de 70 t C/ha) – avec toutefois de fortes variations selon les régions. [7]

La fonction de stockage du carbone assurée par le milieu bocager repose davantage sur les prairies que sur les haies. Photo : Alexandre Boissinot

La réduction de l’érosion des sols et du ruissellement de l’eau de pluie (cf. CLN n° spécial 2022 p. 19 à 22), l’empreinte paysagère esthétique et touristique du bocage représentent sans conteste des bénéfices très importants pour le territoire sur lequel haies et bocage sont présents, sans guère dépasser l’échelle du territoire. Enfin, les haies du bocage, démultipliant les proportions de surfaces occupées par des écosystèmes de lisière forestière dans le paysage agricole, assurent une richesse importante et remarquable en espèces animales et végétales dans ce paysage fournissant abris, aires de reproduction, de transit et de repos, etc. (de manière plus affirmée dans le cas des bocages à « grain fin », cf. CLN n° spécial 2022 p. 4 à 8). Cette biodiversité des haies et du bocage – largement illustrée dans ce numéro – constitue un bénéfice très important également à l’échelle du territoire, mais aussi, dans notre contexte d’érosion massive de la biodiversité, à une échelle beaucoup plus large.

Des objets naturels gérés par l’humain

Les haies du bocage, objets naturels installés et gérés de génération en génération par les agriculteurs, s’avèrent donc former des réseaux arbustifs et arborés très importants pour la biodiversité. Ce bénéfice collectif, nullement attendu à l’origine, constitue une conséquence indirecte de cette pratique agroforestière. D’autres objets naturels installés et gérés par les agriculteurs sont aussi connus pour présenter une biodiversité riche et/ou remarquable. Citons par exemple les agroforêts tropicales : établies par des agriculteurs avec un objectif de production diversifiée et de fourniture de revenu, elles s’avèrent d’une richesse exceptionnelle en espèces animales et végétales des forêts anciennes lorsqu’on les compare à tout autre système de culture agricole ou agroforestier. Ce bénéfice collectif n’était pas attendu et constitue là aussi une conséquence indirecte d’une pratique agroforestière et de son mode de gestion extensif. [8] En cas d’abandon de ces agroforêts tropicales, cette biodiversité forestière conservée est d’ailleurs le meilleur garant d’une évolution rapide vers une forêt de plus en plus naturelle et riche. En est-il de même en France métropolitaine pour les systèmes de bocage ? Même des champs sans haies, lorsqu’ils sont abandonnés, finissent par être colonisés par des arbustes et des arbres. Nul doute donc que les bocages abandonnés évoluent vers des stades forestiers ! Mais des champs abandonnés retrouvent-ils un état forestier plus rapidement lorsqu’ils sont entourés de haies ? Celles-ci formant un réservoir d’espèces d’arbres et arbustes forestiers, il s’agit d’une hypothèse plausible.

À quoi sert une mare ?

Texte : Rémi Luglia, président de la SNPN

À rien diront ceux qui mesurent le progrès à la superficie de béton et d’enrobé…

À rien diront ceux qui voient dans l’eau stagnante un lieu malsain de miasmes et de pullulation de moustiques…

À rien diront ceux qui sont dérangés par le chant des amphibiens… À rien diront ceux qui ne voient dans la nature qu’un ennemi à dominer…

Tous ceux-là ont détruit depuis cent ans près de 90 % des mares existantes.

À protéger des espèces rares et menacées disent les naturalistes… À conserver des réseaux écologiques indispensables à la biodiversité disent les géographes…

À maintenir des fonctions écosystémiques irremplaçables disent les écologues…

À préserver le patrimoine historique et culturel disent les archéologues et les historiens car 95 % d’entre elles sont des créations humaines…

À rafraîchir les villes et les villages disent les urbanistes…

À sensibiliser à la nature à côté de chez soi disent les éducateurs… À limiter les inondations disent les aménageurs…

À tempérer les sécheresses disent les agriculteurs… À lutter contre les incendies disent les pompiers…

À épurer les eaux de ruissellement disent les écotoxicologues… À stocker du carbone disent les climatologues…

À s’accorder un moment de poésie disent les rêveurs…

Tous ceux-là considèrent que les mares sont de précieuses « alliées du vivant » !

Les mares représentent un second exemple. En France métropolitaine, près de 90 % d’entre elles sont établies et gérées, essentiellement par des agriculteurs, initialement dans le but de disposer d’une réserve en eau accessible à la ferme. Écosystème emblématique pour de nombreux écologues et protecteurs de la nature, les mares présentent une richesse en espèces remarquable et leur contribution à la conservation de la biodiversité est maintenant bien reconnue, notamment grâce au travail de recherche et de sensibilisation mené par la SNPN (Fête des Mares). Là encore, ce bénéfice collectif en matière de biodiversité n’était pas attendu, et constitue une conséquence indirecte d’une pratique agricole. Les mares partagent d’ailleurs de nombreux points communs avec les haies et y sont souvent associées et connectées dans les bocages, par exemple par un système de fossés.

Les haies entourant les maisons et leurs jardins sont, elles aussi, des objets naturels installés par les humains, qui peuvent fournir un abri et un lieu de vie pour de nombreuses espèces de plantes et d’animaux, et ce même en milieu urbain. Il n’existe pas, à la connaissance de l’auteur de ces lignes, d’estimation du linéaire que représentent ces haies, et leur biodiversité est beaucoup moins étudiée et connue que celle des haies champêtres. Pourtant, si les linéaires de haies champêtres et les superficies de bocages continuent actuellement de régresser malgré les mesures prises pour enrayer ce déclin, nous pouvons raisonnablement penser que les haies entourant maisons et jardins sont quant à elles en pleine expansion. Certainement – lorsqu’elles ne sont pas constituées de simples thuyas ou cyprès tirés au cordeau – contribuent-elles également au maintien de la biodiversité, et mériteraient-elles donc de devenir un véritable objet d’étude.

Les mares représentent une autre composante majeure du bocage.
Photo : SNPN

Des haies-refuges à réinventer

 

Que les haies entourent des maisons et leurs jardins en milieu urbain ou rural, ou qu’elles entourent des prairies ou des champs, elles forment partout des abris pour nombre d’espèces de plantes et d’animaux au sein d’une matrice paysagère artificialisée (milieu urbain) ou fortement anthropisée (milieu rural), peu favorable à ces espèces. Tous les types de haie présentent donc un intérêt écologique fort en matière de biodiversité.

Les haies champêtres sont en déclin. Faut-il pour autant s’investir pour les conserver en l’état ou les restaurer à l’identique ? Dans ce numéro, Annie Antoine (cf. CLN n° spécial 2022 p. 9 à 12) et Baptiste Sanson (cf. CLN n° spécial 2022 p. 63 à 67) se rejoignent pour nous mettre en garde contre cette tentation : pour la première, « le bocage ancien, celui du « monde que nous avons perdu », correspondait à un certain état de la société et des modes de production agricole : population dense permettant d’avoir beaucoup de main d’œuvre pour l’entretien et l’usage semi-extensif du sol laissant beaucoup d’espace pour un élevage souvent divagant, d’où la nécessité des haies pour protéger les cultures… » ; pour le second, « les haies champêtres sont des éléments semi-naturels qui ont été implantés, conduits, aménagés par une société rurale pour répondre à ses besoins, en tant qu’outils de production des fermes. Or force est de constater que la taille des fermes, le nombre d’agriculteurs, les engins de sylviculture et de transformation du bois, n’ont plus rien d’équivalent avec les conditions qui prévalaient dans la société rurale qui a aménagé ces formes arborées. »

Autrement dit, les haies champêtres ne peuvent et ne doivent pas être mises sous cloches, car elles sont le produit d’une culture et d’une société qui sont en pleine évolution ! Que faire alors, en dehors de profiter des haies et des bocages pour les observer et les admirer, tant qu’il est encore temps ? Peut-être accompagner le développement de nouvelles formes de haies en milieu rural, installées ou reprises par de nouvelles générations plus sensibles aux enjeux écologiques et se voulant plus proches de la nature, des haies faisant plus de place aux arbres fruitiers et fourragers par exemple, ou des haies combinant arbres truffiers, arbres à bois et arbres fruitiers. [9] Peut-être aussi accompagner les agriculteurs ne pouvant plus entretenir leurs haies pour soit les aider dans cet entretien et donc conserver haies et bocages en raison de leur importance pour la biodiversité, soit les aider à ce qu’ils trouvent un avantage financier à convertir leurs haies et parcelles encloses en réserves de nature privées, à laisser ensuite en libre évolution, ce qui signifierait la disparition de ces haies au profit de bosquets forestiers dont elles constitueraient en quelque sorte l’armature. Dans leur article introductif, Alexandre Boissinot et Jacques Baudry (cf. CLN n° spécial 2022 p. 4 à 8) concluent sur une note d’optimisme : « Il semble donc que le bocage ne soit pas seulement un héritage du passé mais bel et bien un paysage de l’avenir ». Nous l’espérons bien, mais nous sommes aussi conscients des défis : le bocage de demain sera probablement très différent du bocage que nous connaissons encore aujourd’hui, ou ne sera pas.

L’arbre hors-forêt a sa place dans le paysage agricole. Photo : Claude Laprise / Unsplash

Références

  1. Portères Roland. 1965. Le Caractère magique originel des haies vives et de leurs constituants (Europe et Afrique occidentale) (fin). Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 12, n°6-8 : 253-291.
  2. Van Noordwijk, M., et al. 2015. Root distribution of trees and crops: competition and/or complementarity. Tree-cropinteractions: agroforestry in a changing climate, p. 221-257.
  3. Yang, T., et al. 2018. Effects of distance from a tree line on photosynthetic characteristics and yield of wheat in a jujube tree/wheat agroforestry system. Agroforestry Systems 93.4 : 1545-1555.
  4. IGN. 2021. La forêt en France : portrait-robot. Repères, le webzine.
  5. Pointereau, P. (2019). Un label pour la haie. Sciences Eaux Territoires, 30(4), 74-77.
  6. Pointereau, P. 2002. Les haies : évolution du linéaire en France depuis quarante ans. Le Courrier de l’environnement de l’Inra, 46, p. 69-73.
  7. Bretagnolle V. (coord), et al. 2020. Écobiose : Le rôle de la biodiversité dans les socio-écosystèmes de Nouvelle-Aquitaine. Rapport de synthèse. CNRS Chizé et Bordeaux. 378 p.
  8. De Foresta H. 2013. Les agroforêts : un espace complémentaire pour préserver la biodiversité des forêts tropicales. Courrier de la Nature 273 : 28-35.
  9. Pargney J. C., Meunier R G. 2004. Proposition d’un nouveau type de truffière. Bulletin de l’Académie Lorraine des Sciences 2004, 43 : 1-4.

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