COP 15 Biodiversité : Quels engagements mondiaux pour « vivre en harmonie avec la nature » ?

Vue aérienne du Mont Choungui depuis le nord, à Mayotte. La réserve naturelle nationale des forêts de Mayotte a été créée en 2021. Photo : Frédéric Ducarme/Wiki Commons/CC BY SA 4.0
Texte : Victor Cazalis, chercheur postdoctorant en conservation de la biodiversité au Centre allemand pour la recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv), Leipzig (Allemagne)

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 331, novembre-décembre 2021

Fin 2020, les Nations unies ont dressé le triste bilan de l’échec des engagements pris dix ans plus tôt. En effet, sur les 20 objectifs d’Aichi fixés en 2010 par les États signataires de la Convention sur la diversité biologique, aucun n’a été complètement rempli. [1] C’est lors de la 15e conférence des Parties de cette convention (COP 15) que doivent être fixés les nouveaux objectifs. Initialement prévue en octobre 2020 à Kunming (Chine), cette importante réunion a été reportée plusieurs fois à cause de la pandémie de Covid-19 puis finalement découpée en deux rendez-vous. Le premier rendez-vous s’est déroulé en ligne du 11 au 15 octobre avec un objectif principalement protocolaire et a abouti à l’adoption de la « Déclaration de Kunming » [2] qui acte la volonté des États à agir. Le texte qui fixera les objectifs concrets sera lui adopté lors du second rendez-vous qui devrait réunir les Parties à Kunming entre le 25 avril et le 8 mai 2022. Intéressons-nous à ce qui figure dans le brouillon de cet accord, nommé « projet de cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 » [3], qui sert de base aux négociations actuelles.

Une double échéance en 2030 et 2050

Contrairement aux objectifs d’Aichi qui n’offraient qu’une vision à 10 ans (avec une échéance en 2020), le projet de cadre mondial a une double échéance : 2030 et 2050. D’ici 2030, il vise à « stabiliser les tendances responsables de l’aggravation de la perte de biodiversité », autrement dit à stopper l’érosion de la biodiversité. À plus long terme, d’ici 2050, l’optique est plutôt le rétablissement de la biodiversité perdue, en permettant « la reconstitution des écosystèmes naturels […], avec des améliorations nettes d’ici à 2050, afin de réaliser la vision de la convention qui est de vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050 ». Pour cela, le projet de cadre mondial insiste sur l’importance d’une action urgente de la part des Parties à différentes échelles et sur la nécessité de « transformer les modèles économiques, sociaux et financiers ».

Des objectifs concrets

Le projet de cadre mondial s’articule autour de quatre objectifs et 21 cibles. L’objectif A est centré sur la préservation de la biodiversité avec une visée pour 2050. Il reprend en bonne partie des éléments déjà présents dans les objectifs d’Aichi et les précise, mais ajoute l’ambition de rétablissement de certains écosystèmes ou populations. Dans le projet de cadre mondial, cet objectif est formulé de la façon suivante : « L’intégrité de tous les écosystèmes est améliorée en augmentant d’au moins 15 % la superficie, la connectivité et l’intégrité des écosystèmes naturels, favorisant la santé et la résilience des populations de toutes les espèces; le taux d’extinction a été divisé par dix au moins et le risque d’extinction des espèces dans tous les groupes taxonomiques et fonctionnels est réduit de moitié; la diversité génétique des espèces sauvages et domestiquées est sauve- gardée en maintenant la diversité génétique de toutes les espèces à au moins 90 % ».

Pour cela, le projet de cadre mondial prévoit que les pays s’engagent à atteindre d’ici 2030 la protection de 30 % de leur territoire terrestre et maritime, en ciblant particulière- ment les zones les plus importantes pour la biodiversité et en veillant à ce qu’elles soient efficaces, bien reliées et représentatives sur le plan écologique. Il prévoit également que 20 % des écosystèmes dégradés fassent l’objet d’une restauration écologique et que l’ensemble des zones terrestres et maritimes fasse l’objet d’une planification spatiale intégrée, c’est-à- dire d’une stratégie visant à combiner au mieux les enjeux de développement humain et de protection de l’environnement. Ces moyens doivent permettre de conserver et de rétablir des espèces grâce à la protection des habitats, au contrôle de certaines pressions comme le prélèvement (qui doit devenir durable), les invasions biologiques (en diminuant les introductions d’espèces exotiques d’au moins 50 % et en contrôlant ou éradiquant les espèces envahissantes), la pollution et les changements climatiques.

Les autres objectifs (B-D) et cibles sont relatifs aux services écosystémiques, au partage des ressources génétiques, et à la mobilisation de moyens financiers pour atteindre la vision 2050.

Une volonté de suivi

Les objectifs d’Aichi avaient été vivement critiqués par la communauté scientifique pour leur difficulté à être mesurés concrètement, ce qui ne facilite pas leur suivi. [4] Grâce à l’investissement de nombreux scientifiques et d’ONG dans les discussions préalables à la COP 15, l’actuel projet de cadre mondial semble avoir pris en compte cette problématique. Ainsi, une liste d’indicateurs a été proposée pour suivre les progrès des Parties dans l’atteinte des objectifs et cibles. [5]

Il est par exemple prévu d’évaluer l’objectif A en suivant l’évolution de la superficie couverte par les différents habitats et écosystèmes et celle du niveau de risque d’extinction des espèces via la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La proportion de trafic illégal d’espèces sauvages, la durabilité des stocks de pêche ou l’évolution du risque d’extinction de certaines espèces cibles renseigneront la tenue de la cible relative aux prélèvements d’individus (par la pêche, la chasse, la capture d’animaux sauvages ou le prélèvement de plantes par exemple).

Cependant, une partie des objectifs et cibles restent difficiles à suivre avec les données actuellement disponibles. Par exemple, il n’existe aucun indicateur clef en main pour mesurer l’efficacité des aires protégées à large échelle, le succès des actions de restauration ou encore la réduction des conflits entre humains et faune sauvage. Développer des indicateurs robustes et pertinents pour mesurer de tels progrès sera indispensable pour évaluer l’engagement des différents pays et maintenir la pression nécessaire sur les gouvernements et les sociétés. Le développement des indicateurs incombe aux institutions chargées du suivi des objectifs de la COP 15 (notamment l’agence onusienne Centre de surveillance de la conservation de la nature) mais également aux ONG de conservation et aux chercheuses et chercheurs en conservation de la biodiversité, qui jouent un rôle important dans le suivi des objectifs internationaux.

Notons toutefois que le texte présenté ici pourrait encore être modifié substantiellement lors des groupes de travail qui se réuniront en janvier à Genève, et lors des négociations en mai à Kunming. Alors seulement seront connus les engagements qu’il faudra atteindre collectivement d’ici 2030 et 2050 pour stopper l’érosion de la biodiversité mondiale.


Références

  1. Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (SCDB). 2020. Perspectives mondiales de la diversité biologique 5. 210 pp.
  2. SCDB. 2021. Declaration from the High-Level Segment of the UN Biodiversity Conference 2020 (Part 1) under the theme: “Ecological Civilization: Building a Shared Future for All Life on Earth”. 3 pp.
  3. SCDB. 2021. Premier projet de cadre mondial de la biodiversité pour l'après-2020. CBD/WG2020/3/3. 5 Juillet 2021. 14 pp.
  4. Xu H., et al. 2021. Ensuring effective implementation of the post-2020 global biodiversity targets. Nature Ecology & Evolution 1-8.
  5. SCDB. 2021. Proposition d’indicateurs phares du cadre de suivi pour le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. CBD/WG2020/3/3/Add1. 17 pp.

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