Adaptation à l’environnement : La plasticité du poisson-clown

Le poisson-clown (Amphiprion percula) possède une jolie robe orange avec trois bandes blanches liserées de noir : une sur la tête, une sur le corps et une sur la queue. Ici, les poissons sont dans une anémone de type tapis (Stichodactyla gigantea). Photo : Tane Sinclair-Taylor
Texte : Pauline Salis, Observatoire océanologique de Banyuls

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 329, juillet-août 2021

Lorsqu’un animal évolue dans un paysage qui connaît d’importants changements (au fil des saisons par exemple), il peut lui être utile de s’adapter en changeant de couleur. L’hermine et le renard polaire, dont le pelage est brun en été mais blanc en hiver, sont des exemples connus de ce type de phénomène, que l’on appelle plasticité phénotypique ; cela correspond à la capacité d’un organisme à exprimer différents phénotypes en fonction de son environnement. La façon dont cette plasticité est orchestrée reste cependant une énigme. Un groupe de chercheurs français, suisse et américains s’est penché sur cette question dans le cas du poisson-clown (Amphiprion percula).

Des bandes à retardement

Ces petits poissons colorés ne le sont pas au début de leur vie : leurs larves sont jaunes voire transparentes. Ce n’est qu’au moment de leur métamorphose qu’elles commencent à changer de couleur et que les célèbres bandes blanches – que l’on sait essentielle à la reconnaissance entre espèces – apparaissent, d’abord sur la tête et le corps, puis au niveau de la queue. Or, le suivi des poissons-clowns dans leur milieu naturel sur l’île de Kimbe, en Papouasie Nouvelle- Guinée, a révélé que la formation des bandes blanches peut-être retardée chez les juvéniles selon les anémones dans lesquelles ils vivent : anémones dites tapis (Stichodactyla gigantea) ou anémones magnifiques (Heteractis magnifica), qui diffèrent entre autre par la longueur de leurs tentacules et par leur toxicité.

L’équipe a alors étudié la formation de ces bandes blanches [1] en se concentrant sur le rôle des hormones thyroïdiennes, connues comme jouant un rôle clé dans la métamorphose, c’est- à-dire la transformation rapide de la larve océanique en petit juvénile inféodé au récif. « La métamorphose est un processus très important pour le poisson-clown, puisque c’est au cours de cette transition développementale qu’il change son apparence et qu’il change d’environnement en s’installant dans son anémone de mer, » explique le professeur Vincent Laudet, qui a coordonné l’étude. « Ainsi, comprendre comment le processus de métamorphose peut être modifié chez le poisson-clown en fonction de l’espèce d’anémone de mer dans laquelle il vit peut nous aider à comprendre comment les poissons-clowns s’adaptent à leurs différents environnements. »

Pour comprendre le rôle de ces hormones thyroïdiennes, les chercheurs ont exposés en laboratoire de jeunes larves de poissons-clowns avec différentes doses de ces hormones. Ils ont observé que plus la dose était forte, plus vite les bandes blanches se formaient. Au contraire, en traitant de la même manière ces jeunes larves, mais cette fois avec une molécule bloquant la synthèse des hormones thyroïdiennes, l’apparition des bandes était retardée.

 

Les larves de poissons-clowns traitées aux hormones thyroïdiennes forment leurs bandes blanches plus vite que celles qui ne sont pas traitées. Ici des larves âgées 9 jours, l’une non traitée aux hormones thyroïdiennes (en haut) et l’autre traitée (en bas).

Une affaire d’hormones

Finalement, les chercheurs sont retournés dans la baie de Kimbe et ont dosé les hormones thyroïdiennes chez des juvéniles de même taille, prélevés chez des anémones de mer S. gigantea ou H. magnifica. Il a été observé que les taux d’hormones thyroïdiennes étaient bien plus importants chez les juvéniles prélevés chez S. gigantea que chez ceux prélevés chez H. magnifica. Les juvéniles vivants chez S. gigantea produisent plus d’hormones thyroïdiennes, permettant ainsi une formation plus rapide des bandes blanches chez ces individus. En étudiant de plus près les deux populations de poissons, les scientifiques ont observé qu’un gène, appelé duox, était plus exprimé chez les juvéniles prélevés chez S. gigantea que chez ceux prélevés chez H. magnifica. Cette observation est intéressante car ce gène duox est connu comme étant impliqué dans la synthèse des hormones thyroïdiennes chez les vertébrés (dont l’humain) ; cela explique ainsi comment les poissons vivants dans S. gigantea ont plus d’hormones thyroïdiennes. L’expression différentielle de ce gène en fonction de l’anémone de mer dans laquelle vit le poisson, suggère que son expression est modulée par l’environnement régulant ainsi de façon très fine, le taux des hormones thyroïdiennes chez les poissons-clowns en fonction de ses besoins.

Des questions en suspens

Cette étude ouvre de nombreuses questions intéressantes. Par exemple, pourquoi une telle différence temporelle dans l’apparition des bandes blanches chez le poisson-clown selon l’espèce hôte d’anémone de mer ? Une des hypothèses est que l’anémone S. gigantea, bien plus toxique que H. magnifica, provoquerait un stress chez les juvéniles qui se traduirait par une augmentation des taux d’hormones thyroïdiennes. Dans cette hypothèse, la vitesse d’apparition des bandes blanches ne serait qu’une conséquence, facile à observer, d’une adaptation de l’individu à son environnement.

Ces travaux montrent donc comment, en fonction de l’environnement dans lesquels ils vivent (ici différentes espèces d’anémones), les organismes vivants (ici des poissons-clowns) peuvent modifier leur développement (ici l’apparition des bandes blanches) en modifiant leur production hormonale. Ces mêmes types de mécanismes se mettent en route lorsque les organismes doivent s’adapter à d’autres changements environnementaux comme le réchauffement climatique, la pollution chimique ou l’acidification des océans. Ces mécanismes de plasticité sont donc à la base des capacités évolutives et d’adaptation des organismes vivants.


Référence

  1. Salis P., et al. 2021. Thyroid hormones regulate the formation and environmental plasticity of white bars in clownfishes. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, June 2021; 118 (23) e2101634118.

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