Les poissons-clowns : Un code-barres évolutif

La diversité des motifs et des couleurs des poissons-clowns constitue à la fois un régal pour les yeux et un sujet d’interrogations pour les chercheurs. Photo : Tane Sinclair-Taylor

Bien que ne couvrant que 0,25 % des océans, les récifs coralliens abritent le quart de la biodiversité marine mondiale. Ces récifs peuvent abriter dans les zones les plus riches plus de 500 espèces différentes de poissons aux combinaisons de couleurs et de motifs extraordinaires et particulières à chaque espèce. Comment et pourquoi s’est développé une telle diversité graphique ? Texte : Pauline Salis, chercheuse en post-doctorat à l’Observatoire de Banyuls-sur-Mer, France Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 316, mai-juin 2019 Les poissons coralliens offrent une incroyable diversité de motifs et de couleurs. Par exemple, le baliste Picasso (Rhinecanthus aculeatus) ou le poisson-mandarin (Synchiropus splendidus) donnent l’impression d’être couverts de peintures tribales. Pour mieux comprendre comment se forment ces motifs et quel est leur rôle, nous avons utilisé une espèce modèle de poisson corallien, le poisson-clown ocellé (Amphiprion ocellaris). Bien connu des enfants et des aquariophiles, il est reconnaissable par ses trois larges bandes verticales blanches sur un corps orange. Mais ce petit poisson, popularisé par le film d’animation des studios Pixar Le monde de Némo, n’est pas la seule espèce de poisson-clown, et chacune possède son propre patron de pigmentation. Nos études lèvent une partie du voile sur la façon extraordinaire dont l’évolution et le développement ont contribué à façonner cette diversité de patrons de coloration. Cette caractéristique est en effet importante pour la reconnaissance visuelle entre espèces. Des couleurs et des rayures Les poissons-clowns (28 espèces réparties dans les genres Amphiprion et Premnas) sont de petits poissons ne dépassant pas quinze centimètres . L’une de leurs particularités est qu’ils vivent en symbiose avec des anémones de mer qui se répartissent dans la zone indo-pacifique. Les espèces de poissons-clowns ne présentent pas toutes le même patron de pigmentation. Elles peuvent présenter une, deux ou trois bandes blanches verticales, ou aucune. Ces marques, lorsqu’elles sont présentes, sont toujours localisées aux mêmes endroits : sur la tête, sur le milieu du corps et sur le pédoncule caudal, c’est-à-dire à la base de la queue. Ainsi, Amphiprion ocellaris arbore trois bandes (une sur la tête, une sur le corps et une sur le pédoncule), A. bicinctus n’en porte que deux (une sur la tête et une sur le corps), A. frenatus possède une unique bande sur la tête, et d’autres espèces, comme A. ephippium, n’en possèdent pas du tout. Il est intéressant de remarquer que certaines combinaisons n’existent pas : on n’a jamais observé de poisson-clown ne présentant qu’une seule bande sur le corps ou sur le pédoncule, ou encore des rayures sur le corps et le pédoncule mais pas sur la tête. Cela suggère fortement que ces bandes ne sont pas distribuées au hasard, mais qu’un mécanisme particulier contrôle leur disposition le long du corps. Les couleurs et les motifs revêtent des rôles très importants chez tous les animaux. Ils servent par exemple d’apparat, comme chez le paon mâle, de camouflage comme pour le guépard, ou bien peuvent être utilisés comme signaux de dissuasion face aux prédateurs, comme les yeux dessinés sur les ailes de certains papillons ou encore les couleurs vives portées par certains batraciens indiquant qu’ils sont venimeux. Qu’en est-il pour les bandes des poissons-clowns ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’immiscer plus en détail dans leur vie. Le fabuleux périple des larves de poissons-clowns Alors que les poissons-clowns adultes vivent près du fond de l’océan, dans les anémones au cœur des récifs côtiers, leurs larves, qui ne mesurent que quelques millimètres, sont pélagiques, c’est-à-dire qu’elles vivent en pleine mer. Les adultes déposent et fécondent leurs œufs sur un substrat près de leur anémone de mer, au fond de l’eau (cette ponte sur le fond est dite benthique). L’éclosion a lieu après une dizaine de jours. Emportées vers le large par les courants marins, les larves errent dans l’océan où elles poursuivent leur développement et subissent de nombreux changements morphologiques. Au bout d’une quinzaine de jours, elles s’orientent grâce à l’odorat pour rejoindre le récif, et une nouvelle anémone, où elles s’installent normalement pour de nombreuses années. Cette étape clef s’appelle dans le jargon scientifique « le recrutement ». C’est au cours de cette étape que la larve subit sa métamorphose, c’est-à-dire qu’elle se transforme en un juvénile aux couleurs chatoyantes et aux bandes blanches. Une relation intime avec une anémone Les bandes des poissons-clowns apparaissent lors de la transformation de la larve en juvénile, c’est-à-dire à son […]

Accès restreint

Ce contenu est réservé aux abonnés du magazine Courrier de la Nature

S'abonner au magazine  Se connecter

Contenus liés