Webinaire : Braconnage et cyber-braconnage

Rhinocéros noir (Diceros bicornis). Photo : François Moutou
Texte : François Moutou

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 330, septembre-octobre 2021

Le commerce, légal et illégal, des animaux et des produits animaux se porte bien. Pour faire un point d’actualité sur ce sujet, l’Association des journalistes de l’environnement (AJE) et celle des Journalistes écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) ont proposé un webinaire le 6 juillet 2021 au matin. Les deux intervenants invités étaient Lionel Hachemin (du Fonds international pour la protection des animaux, Ifaw) et Charlotte Nithard (de l’association Robin des bois).

L’Ifaw possède des bureaux dans 17 pays et développe des projets dans 40. La vision de ses responsables englobe humains, animaux, et planète ; l’association combine des actions ponctuelles d’urgences (incendies, échouages, récupération d’animaux) à d’autres de plus long terme, parmi lesquels la lutte contre le trafic des animaux et de leurs produits. À l’échelle mondiale, ce commerce rapporterait entre 4 et 20 milliards de dollars annuellement – l’incertitude est liée au fait qu’il est largement illégal.

Il serait le quatrième par ordre d’importance décroissante après celui de la drogue, des armes et des êtres humains, mais il est beaucoup moins risqué et donc très rentable. Il se répercute indirectement sur les activités d’écotourisme de nombreux pays en appauvrissant les sites visités et les communautés humaines associées. La difficulté vient du fait qu’une partie de ce commerce, bien que légale, favorise voire encourage la demande illégale et complexifie la surveillance et les contrôles.

Une surveillance européenne

L’Ifaw s’y intéresse depuis 2004. Le développement du commerce en ligne complique la surveillance via l’anonymisation facile d’une partie des acteurs, en mondialisant les échanges et en autorisant des actions 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Si 6 400 saisies ont été effectuées en 2019 dans l’Union européenne (UE), personne ne sait quel pourcentage du total cela représente. La surveillance en Europe montre quelques nuances entre pays : l’Allemagne par exemple importe beaucoup d’animaux vivants, tandis que la France s’intéresse toujours à l’ivoire ; mais partout surgissent des offres pour des produits à base d’organes de tigre, de cornes, d’écailles, ou encore des animaux de compagnie exotiques correspondant régulièrement à des espèces au statut non évalué, en dehors du champ de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). L’Europe s’en est longtemps désintéressée mais une certaine prise de conscience semble émerger récemment. Il faut non seule- ment soutenir l’application de la loi mais aussi renforcer les capacités d’exécution au niveau des points d’entrée, comme pour la veille en ligne afin de surveiller les milliers d’annonces qui circulent constamment. L’Ifaw a participé à un atelier avec l’UE, Interpol, la Cites, Traffic et certains réseaux sociaux comme Facebook. L’Ifaw a aussi rencontré des acteurs du secteur privé, une vingtaine de plateformes de vente en ligne comme eBay ou Leboncoin en Europe. Les plateformes généralistes sont celles avec lesquelles la collaboration semble la plus aisée.

L’iguane vert (Iguana iguana, ici un jeune photographié au Bélize), traditionnellement chassé pour sa viande ou ses œufs en Amérique du Sud, est devenu une espèce prisée en tant que nouvel animal de compagnie.

À l’échelle mondiale il existe une coalition d’une quarantaine de partenaires, avec un sous-groupe à l’échelle européenne. L’Ifaw développe avec eux un programme de formation, parallèlement à un travail de recherche sur quelques espèces ou produits cibles particulièrement suivis. C’est par exemple le cas du perroquet gris du Gabon (Psittacus erythacus) ou de l’ivoire dont les tendances, pour l’offre et la demande, sont particulièrement scrutées.

Créée en 1985, l’association Robin des bois est « observateur » au niveau de la Cites. Depuis 2013, son équipe publie la revue À la trace en analysant et en compilant environ 800 sources relatives au commerce des espèces vivantes. En 2019, l’association a publié l’Atlas du business des espèces menacées. Robin des bois est membre du réseau associatif international Species Survival Network qui rassemble une centaine d’ONG dans un esprit d’échange et de coopération.

Les espèces commercialisées peuvent l’être pour de nombreuses raisons : animaux de compagnie, décoration, « exotisme », gastronomie, luxe, médecine traditionnelle… Les enjeux peuvent donc être sociaux, écologiques, sécuritaires, économiques. Un exemple intéressant est celui des civelles, ces jeunes anguilles qui tentent de remonter les rivières françaises et européennes. Pêchées en France, elles partent vers l’Asie en fret aérien, d’où elles reviennent sous forme de sushis. Les prix au départ se situent entre 800 et 7 000 euros le kg et ce commerce génèrerait un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros. L’Office français pour la biodiversité semble s’être récemment mobilisé sur le sujet. Les félins sauvages font également l’objet d’un commerce lucratif à destination de particuliers. Des espèces comme le serval, la panthère nébuleuse, la panthère des neiges ou le caracal, par exemple, en font les frais. Un des soucis vient du fait que la Commission européenne s’est longtemps positionnée en faveur du commerce, et qu’elle agit avec peu de transparence. Aujourd’hui, lors de certaines réunions de la Cites, la Chine vote pour que des espèces sensibles soient listées en annexe I de la Cites, c’est-à-dire pour l’interdiction de leur commerce, tandis que l’UE vote pour permettre leur commercialisation !

Prisée des gastronomes, l’anguille européenne fait l’objet d’un important trafic.

Une lutte à accentuer

La pandémie de Covid-19 a malheureusement entraîné des conséquences négatives sur la biodiversité et son commerce international : l’arrêt du tourisme et plus généralement l’arrêt du travail et du salaire de nombreuses personnes a conduit à la résurgence d’actes de braconnage de toutes sortes, y compris en Europe. L’épidémie a également ralenti et perturbé la justice pour de nombreuses raisons. En France, les procès de certains trafiquants présumés n’ont pas pu avoir lieu. Ailleurs, la Covid-19 a encouragé l’usage de nombreux produits animaux pour soi-disant lutter contre la maladie, s’en prémunir ou tenter de se guérir, indépendamment de toute donnée médicale.

Les pistes d’amélioration possibles sont connues : surveiller, disposer des moyens nécessaires, informer le public, responsabiliser les politiques, appliquer et pouvoir appliquer les textes, mais elles restent à mettre en œuvre. En fin de webinaire, la discussion a rappelé la mauvaise gestion de la protection des éléphants d’Afrique, classé en annexe I de la Cites en 1989 (à la suite notamment de la campagne « Amnistie pour les éléphants »), revenu en annexe II en 1997 avec l’aval de l’UE, à la suite de promesses jamais tenues par les promoteurs de ce retour en annexe II. Les populations de l’espèce continent de diminuer et le sujet est toujours sensible. Les bonnes nouvelles de ce côté restent bien rares.

Pour en savoir plus

•  Le webinaire est disponible en replay sur la chaîne Youtube de l’AJE.

 

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