Un nouveau plan national en faveur des milieux humides, malheureusement inachevé
Alors qu’un certain nombre d’ONG et d’instances publiques de consultation et d’expertise scientifique dont la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN) appelaient, ces dernières semaines, à un report de la présentation de la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité (SNB3), jugé largement inaboutie en l’état, la Secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, Bérangère Abba, a annoncé le 15 mars dernier, le socle général de la SNB3 ainsi que le lancement du 4e plan national en faveur de la protection des milieux humides (PNMH), une des composantes de cette SNB3.
Portant sur la période 2022-2026, ce plan est censé amplifier les actions en faveur de la connaissance, de la protection et de la restauration des milieux humides qui sont parmi les écosystèmes les plus menacés. En effet en France 50 % des zones humides ont disparues entre 1960 et 1990(1) et 41 % des sites humides emblématiques nationaux se sont dégradées sur la période 2010-2020(2). Pour 2030, seuls 25 % des sites humides emblématiques nationaux auraient un avenir favorable(3) 94 % des habitats aquatiques et humides d’intérêt communautaire -donc inscrits à la directive dite Habitat-Faune-Flore montrent un état défavorable(4). Ces habitats sont ainsi parmi les plus menacés et dont les états sont les plus dégradés. Concernant les espèces qui y sont liées, les rapportages successifs de l’état de conservation de la nature dans l’Union européenne soulignent que bon nombre des évaluations ayant indiqué un état de conservation « médiocre » et/ou une tendance « en dégradation » concernent des
espèces liées aux environnements aquatiques tels que les cours d’eau, les lacs et les zones humides(5).
L’urgence à agir est donc évidente, et bien documentée.
Le 4e PNMH contient un certain nombre de dispositions intéressantes.
Le doublement de la superficie des milieux humides en protection forte d’ici 2030, avec la création ou l’extension de réserves nationales sont de bonnes intentions, de même que l’acquisition de 8 500 ha de zones humides d’ici 2026. La volonté de restaurer 50 000 ha de zones humides d’ici 4 ans est louable et participe à la vision de zones humides comme « solutions fondées sur la nature ».
Cependant, il paraît évident que, par manque d’ambition et de précision, ce 4e PNMH ne sera pas en mesure de permettre les changements transformateurs nécessaires que la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) appelle de ses vœux. Il aura par conséquent un effet limité et nettement insuffisant face aux enjeux.
Au vu des engagements et des mesures énoncés, des moyens alloués, du portage envisagé, la SNPN considère qu’à l’échéance de ce 4e PNMH, en 2026, nous ferons collectivement le constat que la dégradation des zones humides n’aura pas cessé. En effet, le plan proposé n’offre pas d’effet levier satisfaisant et comporte beaucoup de propositions vagues et édulcorées, avec peu d’engagements contraignants affirmés : on va « identifier les labels », « promouvoir à travers des guides de bonnes pratiques » ou mettre « en place des groupes de travail ».
Les diagnostics sont posés depuis longtemps ; les leviers d’action identifiés ; des solutions concrètes et pragmatiques sont bien connues. Il convient désormais de mettre en œuvre des actions susceptibles de changer concrètement la situation : écofiscalité favorable aux zones humides, suppression des subventions néfastes, défiscalisation des travaux de restauration ou d’entretien, création d’un fonds de financement abondé par la taxe carbone, interdiction du drainage et du retournement des prairies humides, création et restauration des réseaux de mares, etc. Si les opérations de restauration sont souvent mises en avant, c’est bien moins le cas de l’arrêt de la destruction et de la dégradation des zones humides « ordinaires », de leur protection, ou de la réduction des pressions de toute nature actuellement subies par ces milieux.
Au niveau des ambitions, une des plus grandes déceptions de ce plan porte sur l’abandon de l’intégration des Zones Humides dans l’ensemble des politiques sectorielles et ministérielles. Or, on sait que les facteurs de pression sur les zones humides sont multiples et proviennent de nombreuses politiques sectorielles : agriculture, sylviculture, aménagement du territoire, gestion de l’eau…
La SNPN avait porté cette impérieuse nécessité du portage et de la redevabilité intersectorielle et interministérielle auprès des autorités dans ses courriers, dans ses contributions aux groupes de travail et par une tribune. Autres exemples, ne figure aucune proposition sur un fonds de financement pour les « Solutions fondées sur la Nature » (SfN) dédiés aux milieux humides, sur les objectifs en terme de SfN – qui sont cependant citées en préambule du plan -, sur l’utilisation des schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) comme outils pour limiter les assèchements/comblements de zones humides, sur l’accès des citoyens à la justice environnementale par la création de réseaux de veille et l’amélioration des procédures de consultation, sur les outils d’alerte, sur les récifs coraliens, sur les réseaux de mares, etc. En conclusion, si le 4e PNMH contient des dispositions intéressantes, son ambition n’est pas du tout au niveau des enjeux que constituent l’érosion généralisée de la
biodiversité, la destruction et la dégradation des zones humides et les changements environnementaux.
Loin d’être des freins au développement économique et social, les milieux humides fonctionnels d’un point de vue écologique et en bon état de conservation sont des atouts précieux pour les sociétés humaines, afin de favoriser leur durabilité, leur résistance et leur résilience, dès à présent et pour l’avenir.
Bibliographie
1 : Rapport du préfet Bernard, Les zones humides – rapport d’évaluation, 1994.
2 : Evaluation nationale des sites humides emblématiques de la décennie 2010-2020 Service des données et études statistiques du Commissariat général au développement durable
3 : Rapport du préfet Bernard, Les zones humides – rapport d’évaluation, 1994.
4 : Note synthèse DHFF
5 : UE, 2020. Rapport de la commission au parlement européen, au conseil et au comité économique et social européen– État de conservation de la nature dans l’Union européenne Rapport relatif à l’état de conservation des espèces et des habitats protégés au titre des directives «Oiseaux» et «Habitats» et aux tendances observées au cours de la période 2013 – 2018