Sur la plage abandonnée… Les effets du confinement sur la faune et la flore du bord de mer

L’anse d'Yffiniac, dans la Réserve naturelle de la baie de Saint-Brieuc qui occupe 1 140 ha dans les Côtes-d’Armor. Photo : Réserve naturelle nationale de la baie de Saint-Brieuc

Le week-end du 10 au 12 avril 2020, un grand soleil sur le littoral métropolitain accompagnait les plus grands coefficients de marée de l’année : toutes les conditions étaient réunies pour une affluence record sur les sites de pêche à pied. Mais, confinement oblige, les plages sont restées désertes. Une aubaine pour les mollusques, les crevettes et les crabes ; un « répit pour la nature ». Cette formule aura marqué deux mois de confinement strict en France au printemps 2020 en raison de la crise sanitaire. Nous nous sommes réjouis de voir la nature « reprendre ses droits », selon une autre formule consacrée. Mais le déconfinement qui a suivi a eu des effets négatifs, notamment sur le littoral, particulièrement concerné du fait d’une densité démographique élevée, de son attractivité touristique, de la diversité des usages qui s’y exercent ainsi que de la richesse de sa biodiversité. Texte : Franck Delisle, directeur de VivArmor Nature, co-animateur du réseau Littorea, réseau national pour une gestion durable de la pêche à pied de loisir Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 324, septembre-octobre 2020 Avec deux millions de pratiquants recensés en France, la pêche à pied de loisir est l’activité de prélèvement sur la faune sauvage qui rassemble le plus grand nombre de participants par comparaison avec la pêche en eau douce (1,5 million de pratiquants) et la chasse (1,1 million de pratiquants). Dans les Côtes-d’Armor, chaque grande marée d’équinoxe peut attirer plus de 12 000 pêcheurs à pied. À raison d’une récolte moyenne d’un kilogramme par pêcheur et par marée , le calcul est vite fait… Plusieurs dizaines de tonnes de coquillages (coques, palourdes, praires, coquilles Saint-Jacques, ormeaux…) et crustacés ont été épargnées pendant le confinement sur ce seul département. L’absence des amateurs de pêche à pied grattant le moindre centimètre carré de sable a également favorisé la reproduction de ces espèces : la fermeture des plages a permis à un plus grand nombre d’individus de croître et se reproduire durant cette période. La plage, des habitats riches mais fragiles Les mauvaises pratiques de pêche à pied représentent en effet un important dérangement pour les espèces associées aux plages et à leurs habitats, qui sont multiples et fragiles. La moulière, par exemple, est le nom donné aux massifs de moules qui se développent préférentiellement sur des rochers battus par les vagues. Plus rarement, les moules peuvent s’agréger directement sur un substrat meuble (sable ou vase). En constituant des récifs, la moule, espèce principale des moulières, crée un habitat pour de nombreuses espèces qui trouvent refuge dans les anfractuosités entre les coquilles, comme le ver vert (Eulalia viridis). La moulière commence à se développer à partir de l’installation du naissain (groupe de juvéniles) sur la roche sous forme d’amas isolés. Un tapis continu se forme progressivement et croît en épaisseur jusqu’à atteindre une taille critique (au-delà d’une certaine épaisseur, en fonction de l’exposition à la houle, les grappes de moules se décrochent). Le cycle de vie de la moulière va ainsi de l’installation des premières moules jusqu’au tapis épais de plusieurs dizaines de centimètres qui se décrochera pour laisser la place à de nouvelles recrues ou d’autres espèces. Les moules décrochées s’échouent sur l’estran ou sont emportées au large. Pour ne pas dégrader les gisements de moules, déjà soumis à des menaces naturelles, il est impératif de laisser les jeunes moules accrochées à leur rocher et d’utiliser pour la récolte des outils non destructeurs… La main étant le meilleur outil pour ne collecter que les moules ayant atteint la taille minimale règlementaire de 4 cm. Dans les milieux les plus exposés aux vagues, la moule est parfois remplacée par le pouce-pied, un crustacé cirripède, dont le développement est maximal au niveau atteint par la mer à mi-marée sur les parois verticales. Récif d’hermelles : de petits vers architectes Sans intéresser directement les pêcheurs à pied, l’hermelle (Sabellaria alveolata) en est une victime collatérale. Ce ver (annélide polychète) long de 3 ou 4 cm construit un tube pouvant atteindre plus de 50 cm de longueur, grâce à son organe constructeur en forme de U placé juste devant sa bouche. L’espèce est de nature grégaire. Les regroupements des tubes forment des structures en nids d’abeilles pouvant atteindre plusieurs mètres de longueur et jusqu’à près de 2 m de hauteur (cf. Le Courrier de la Nature n° 306, p. 46 à 49). Ces structures se forment sur une base solide (roche, galet, coquille…) à partir de la zone de mi-marée et s’étendent parfois sur plusieurs hectares. Un récif d’hermelles n’est pas une structure figée ; les formes et les tailles varient suivant l’hydrodynamisme. Plus le courant est fort, plus le récif peut se développer. En effet, la remise en suspension du sédiment permet au ver d’attraper les grains de sable et les fragments coquillers qui constituent la matière première de son tube. Du fait de leur taille imposante, les récifs d’hermelles sont plus connus en baie du Mont-Saint- Michel et en baie de Bourgneuf. Ils sont cependant retrouvés tout au long des côtes européennes, du Portugal à l’Écosse. Certains d’entre eux sont présents depuis plus de 200 ans tandis que d’autres sont presque saisonniers comme à Douarnenez (Finistère) où les tempêtes hivernales brisent les récifs qui se reconstruisent quelques mois plus tard. Dans d’autres endroits, comme à Wimereux (Pas-de-Calais), les hermelles ont disparu depuis près de 30 ans et ne sont jamais réapparues. Il existe plusieurs dizaines d’autres espèces appartenant à la même famille des Sabellariidae. Toutes construisent des structures similaires un peu partout dans le monde. Les récifs d’hermelles abritent les juvéniles de nombreuses espèces de bivalves (moules et palourdes), de crustacés (crabes et crevettes), de poissons et de vers marins qui peuvent se cacher dans les anfractuosités du récif. Cet habitat possède une concentration de biodiversité et des densités d’individus très élevées (60 000 par mètre carré). De nombreuses espèces peuvent venir s’y nourrir, c’est pourquoi son rôle dans la chaîne alimentaire est très important. On recommande aux promeneurs d’éviter d’y pêcher et de ne pas les piétiner. Une […]

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