Suivis ornithologiques sur la réserve de Saint-Quentin
Ça bouge chez les sarcelles ! Après 30 ans de suivis ornithologiques sur la réserve naturelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, des chercheurs mettent en évidence une baisse des effectifs hivernants de la sarcelle d’hiver (Anas crecca) sur ce site et un décalage phénologique de leur hivernage. Les changements climatiques pourraient en être la cause. Texte : Joanne Anglade-Garnier, garde-conservatrice, Julien Godon, chargé de mission, et Laurent Dufresne, garde-technicien, Réserve naturelle nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines Photos : Joanne Anglade-Garnier, François Coquard Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 325, novembre-décembre 2020 Quand les oiseaux qui fréquentent une réserve changent leurs habitudes, les gestionnaires sont en alerte et pourraient même remettre en question la pérennité et l’efficacité de la zone. Dans la réserve naturelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, on a vu en quelques dizaines d’années se modifier certains patrons de migration et d’hivernage des oiseaux, et les espèces déplacer leur zone de répartition. Si on ajoute les effets du changement climatique sur les habitats à la capacité de réponse des oiseaux migrateurs, un sérieux défi de conservation se pose alors pour les réserves naturelles et l’ensemble des espaces naturels protégés. Les oiseaux adaptent en effet leur trajectoire, leur calendrier et leur distance de migration aux modifications des habitats naturels de leurs zones de reproduction et d’hivernage. En conséquence, la distribution et le temps de séjour des espèces observées sur un site sont amenés à évoluer. Documenter et analyser ces évolutions sur le long terme se révèle indispensable pour mieux comprendre les effets des changements climatiques et adapter en fonction les choix de gestion. Dès les premières années d’existence de la réserve de Saint-Quentin, les équipes de gestion ont débuté un suivi des populations de toutes les espèces d’oiseaux d’eau fréquentant le site, selon un protocole standardisé : la méthode de dénombrement appelée « comptage décadaire ». Elle est mise en œuvre par un ornithologue formé à l’exercice, équipé de jumelles et de longue-vue, qui dénombre chaque individu contacté à vue – ou à l’oreille pour certaines espèces comme le râle d’eau qui demeurent le plus souvent cachées dans les roselières. Le comptage est réalisé en journée, par période de dix jours (décade) durant toute l’année, soit 36 décades par an. Ces observations sont une source d’information précieuse pour connaître le statut des espèces qui fréquentent la réserve – sont-elles seulement de passage ou bien nicheuses ? – et donc l’usage qu’elles font du site – s’agit-il d’une simple escale sur leur route migratoire ou bien d’un site d’hivernage ? Cette méthode, facile à mettre en œuvre, permet ainsi de renseigner les visiteurs de la réserve, curieux de connaître la fréquentation circadienne et le statut des espèces observées. Une zone humide protégée Classée en 1986, la réserve naturelle de Saint-Quentin-en- Yvelines couvre 91 ha sur la partie ouest de l’étang de Saint-Quentin, dans le sud-ouest parisien. Situé entre Versailles et Rambouillet, cet étang appartient au réseau des étangs et rigoles créé par Louis XIV pour alimenter les fontaines du château de Versailles à la fin du XVIIe siècle. Le réseau demeure fonctionnel encore aujourd’hui sur une trentaine de kilomètres, depuis les étangs de Hollande jusqu’aux étangs de Saclay en passant par celui de Saint-Quentin. Ce dernier fut aménagé entre 1675 et 1678 – il s’appelait alors étang de Trappes – afin de recueillir et stocker les eaux pluviales du plateau de Trappes. En 1685, il fut relié aux étangs situés en amont jusque dans la forêt de Rambouillet. Il pouvait alors occuper une superficie de 216 ha pour une capacité d’eau de près de 3 millions de mètres cubes, et être à sec une partie de l’année, notamment en début d’automne. De nos jours, il couvre 120 à 160 ha pour 1,9 million de mètres cubes. L’étang de Saint-Quentin est aujourd’hui entouré de forêts, de champs cultivés et d’un tissu urbain plus ou moins dense, dans une région marquée par l’imbrication d’écosystèmes forestiers et marécageux répartis en fond de vallées humides et plateaux argileux. L’étang et les bassins d’eaux pluviales qui l’entourent sont de profondeur variable, avec des zones de hauts fonds et de bas fonds. De plus, les niveaux d’eau fluctuent au fil de l’année en fonction de la dynamique naturelle des milieux mais aussi de la régulation hydraulique effectuée par les gestionnaires. Le site offre ainsi une grande diversité de milieux, lesquels abritent une faune et une flore à forts enjeux patrimoniaux (espèces rares et/ou protégées). Plusieurs ceintures de roselière de massette, de phragmites, de scirpe, de glycérie, de carex, de baldingère ou de jonc entourent l’étang en mosaïque avec des vasières à bident, à potentille couchée, et quelques saulaies en bordure d’une chênaie-frênaie. Cette situation fait de l’étang de Saint-Quentin et de la réserve qui l’occupe en partie un site privilégié pour les oiseaux : à ce jour, pas moins de 260 espèces, aussi bien nicheuses que de passage, ont été contactées sur la réserve. Plus particulièrement, près d’une centaine d’espèces d’oiseaux d’eau fréquentent l’étang de Saint-Quentin, certaines communes (canard colvert, grèbe castagneux, grèbe huppé, gallinule poule d’eau, foulque macroule…), d’autres, plus discrètes, mais dont les […]
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