Restauration de paysages forestiers à Madagascar
De la réflexion aux suivis, l’implication des communautés villageoises À Madagascar, des opérations de reforestation sont menées par le Conservatoire botanique national de Brest en partenariat avec des acteurs locaux, avec un leitmotiv : impliquer les habitants pour favoriser le succès sur le long terme. Texte : Delphine Cabanis, technicienne de conservation, service international du Conservatoire botanique national de Brest Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 326, janvier-février 2021 En ces temps troublés de Covid-19, le « monde d’après » est encore d’actualité. Sur les réseaux sociaux fleurissent les publicités pour des entreprises à vocation sociale permettant aux particuliers de participer à la plantation d’une forêt et aux entreprises de compenser leur empreinte carbone en finançant ces boisements. Nous voulons du vert, des forêts ici ou ailleurs, dans l’espoir que ces arbres en devenir nous aident à mieux respirer, à limiter le changement climatique et les sécheresses… Bref, à nous sauver ! Mais créer ou restaurer une forêt n’est pas seulement – et loin de là – une plantation d’arbres. La forêt ne se crée pas sur une vie humaine mais sur des siècles : c’est un lieu complexe où de multiples interactions se développent et s’entre- croisent, tant au niveau végétal qu’animal. Le choix des espèces est prépondérant, mais beaucoup d’autres critères (écologiques, économiques, culturels) sont également à prendre en compte pour une restauration forestière réussie, comme l’inclusion des communautés locales dans les programmes. En effet, comment envisager de travailler sans elles puisqu’il s’agit de travailler pour elles ? Le Conservatoire botanique national de Brest à Madagascar Depuis plus de 40 ans, le Conservatoire botanique national de Brest (CBNB) travaille en France et à l’international, en dehors de son territoire de prédilection qu’est la région Bretagne et grand ouest, sur des territoires riches en biodiversité et soumis à de fortes menaces, quasiment toutes d’origine anthropique (destruction des habitats, chasse, pollutions diverses…). Il partage son expertise dans le domaine de la conservation des espèces végétales menacées et des milieux. Ainsi, à Madagascar, le CBNB développe depuis plus de 15 ans des programmes de restauration forestière dans le nord du pays grâce à de multiples partenaires, tant publics que privés ou associatifs, comme l’Arche aux plantes. Le protocole est aujourd’hui relativement bien établi et passe par différentes étapes : de la relation avec les partenaires malgaches à celle avec les financeurs de ces programmes, du choix des espèces à leur production, du choix des parcelles à restaurer à leur plantation, l’étape primordiale restant l’intégration des communautés locales dans l’ensemble de ces projets. L’un de ces programmes se déroule au sein de la Nouvelle aire protégée Ambohitr’Antsingy Montagne des Français (NAP AA-MdF), dans la région DIANA, à l’extrême nord du pays. Il a été mis en place à la demande du Service d’appui à la gestion de l’environnement (SAGE), l’ONG malgache gestionnaire de l’aire protégée, et avec l’appui de la coopération décentralisée du Conseil départemental du Finistère, de Brest Métropole, ainsi que de la région Bretagne. Outre ce programme de restauration forestière, le CBNB développe d’autres programmes dans la NAP AA-MdF, notamment la construction du futur centre écotouristique et scientifique Mikajy, débutée en mai 2020. Ce lieu accueillera les touristes au sein d’un espace offrant à la fois repos et sensibilisation à la conservation des richesses de l’aire protégée, et sera également ouvert aux scientifiques et techniciens le temps de leur travail de terrain. Enfin, des activités génératrices de revenus seront proposées aux membres des communautés villageoises : développement de l’apiculture, de l’agroforesterie, production de plantes fruitières et de plantes médicinales autochtones, etc. Une richesse en péril Madagascar fait partie des pays « mega divers », un groupe de 22 pays qui abritent la majorité des espèces présentes sur terre et qui sont considérés comme les plus riches de la planète en matière de biodiversité. Ils occupent ensemble moins de 10 % de la surface de la Terre mais concentrent à eux tous 70 % des espèces. Le fort taux d’endémisme (90 % des espèces) à Madagascar s’explique par son détachement de l’Afrique il y a 65 millions d’années. Cet isolement a conduit à l’émergence, au cours du temps, d’une flore et d’une faune uniques au monde. Ainsi, 83 % des espèces de plantes de l’île, 61 % des oiseaux , 92 % des reptiles , 99 % des amphibiens et bien sûr la totalité des lémuriens sont endémiques. Madagascar compte environ 15 000 espèces de plantes parmi lesquelles plus d’un millier d’espèces d’orchidées. Sur les 204 espèces de palmiers présentes sur l’île, 98 % sont endémiques et 83 %, soit 170 espèces, sont menacées de disparition. Les forêts naturelles couvrent aujourd’hui 15 % du territoire malgache (50 % de forêts humides, 29 % de forêts sèches, 19 % de forêts d’épineux et 2 % de mangroves). Mais cette biodiversité unique est mise en péril. Ces 60 dernières années, 44 % des surfaces forestières ont disparu dans le pays. Après avoir été déboisées principalement pour y pratiquer la culture sur brulis puis abandonnées après quelques années de culture, ces parcelles sont colonisées par des plantes envahissantes qui, en recouvrant le sol de façon massive et rapide, empêchent la banque de graines du sol de se réveiller et de se développer vers un milieu forestier. Les forêts restantes sont quant à elles gravement fragmentées. Ambohitr’Antsingy Montagne des Français Créée en 2005, la Nouvelle aire protégée Ambohitr’ Antsingy Montagne des Français (NAP AA-MdF) s’étend sur 6 049 ha couverts de forêt dense sèche caducifoliée (composée d’espèces à feuillage caduc). Elle présente une variété de paysages : grottes, cascades, forêts-galerie (forêt dense dont la canopée se rejoint au-dessus d’un cours d’eau) et tsingy (ensemble de blocs de roches effilées, parfois très hauts et séparées par de nombreux couloirs étroits). L’aire protégée est composée d’un noyau dur central dans lequel aucune activité humaine n’est acceptée, entouré d’une zone tampon qui accueille sept fokontany avec un total de 5 576 habitants, vivant dans des villages le long de l’axe routier reliant la capitale, ou dans des hameaux de quelques centaines d’habitants, sans électricité ni eau courante. La NAP AA-MdF abrite 464 espèces végétales ligneuses différentes ; une grande partie (76,7 %) est endémique du pays […]
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