« Réensauvager » la nature ? L’exemple des Pays-Bas

Tarpans et aurochs reconstitués dans la réserve d’Oostvaardersplassen. Ces deux espèces d’herbivores, l’une monogastrique, l’autre ruminante, n’utilisent pas les ressources végétales de la même manière. Photo : François Moutou

De grands herbivores peuplaient autrefois les forêts européennes. Faut-il les y réintroduire lorsqu’ils en ont disparu ? Si oui, comment ? Des tentatives ont lieu dans divers pays, notamment aux Pays-Bas, où un récent voyage d’étude a permis de découvrir et comparer les approches mises en œuvre par cinq réserves différentes. Texte et photos : François Moutou, vice-président de la SNPN Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 318, septembre-octobre 2019 Il y a encore deux ou trois millénaires, les paysages dominants en Europe occidentale étaient bien différents de ceux présents aujourd’hui. Les forêts (terme recouvrant ici forêts de plaine, forêts inondables, forêts claires, clairières et lisières) étaient nettement plus répandues et, avec elles, la grande faune forestière. Le cerf élaphe (Cervus elaphus), le plus grand ongulé contemporain, cohabitait alors avec encore plus grand que lui, à savoir l’élan (Alces alces), l’aurochs (Bos primigenius), le bison d’Europe (Bison bonasus) et le tarpan (Equus ferus). Les écosystèmes d’avant La présence de ces grands herbivores avait certainement un impact sur la végétation avec laquelle ils ont co-évolué pendant une si longue période. Leur guilde se partageait les ressources, certaines espèces broutant les herbes, d’autres cueillant les rameaux. On peut en déduire que les écosystèmes forestiers ouest-européens, encore présents aujourd’hui – du moins en partie –, ne sont pas complets sans ces grandes espèces. Pourrait-on envisager de reconstituer ces ensembles naturels, avec leur biodiversité originelle ? et si oui, comment ? Plusieurs questions se posent immédiatement. L’aurochs et le tarpan ont été exterminés : les derniers auraient disparu autour du XVIIe siècle. Dans le cas du tarpan, des chevaux redevenus sauvages, au statut mal connu, ont peut-être survécu un peu plus tard. Serait-il possible de réintroduire en forêt des formes domestiques qui en descendent et qui auraient des écologies et des éthologies proches ? Depuis quelques décennies, différentes équipes de biologistes ont cherché à « recréer » des animaux ressemblant à ce que l’on sait de ces espèces disparues à partir de races bovines et équines supposées peu spécialisées et restées assez rustiques. Plus récemment dans le cas de l’aurochs, d’autres équipes se sont fondées sur des analyses génétiques en utilisant l’ADN ancien isolé de restes fossiles comme référence et en le comparant à celui de diverses races bovines. Dans les deux approches, strictement morphologique ou à l’aide de la génétique, les animaux obtenus ressemblent aux images et aux descriptions disponibles des ancêtres disparus. Le pari qui est fait ensuite est de supposer que ces animaux « reconstitués » auront des comportements naturels proches de ceux des espèces sauvages éteintes et disparues avant qu’aucune équipe scientifique ne se soit penchée sur elles. Quant au bison et à l’élan, ils existent toujours plus à l’est ou au nord, même si le bison est passé lui aussi tout près de l’extinction. Le retour spontané de l’élan à l’est de l’Allemagne et en République tchèque est un cas vraiment intéressant à suivre. L’exemple des Pays-Bas L’étape suivante est d’« oser » mettre ces animaux dans des espaces naturels européens, en concertation avec les populations des régions concernées, et de suivre l’évolution des écosystèmes correspondants ainsi enrichis (cf. n° 309, p. 33 à 40). Quel impact sur le sol, sur la flore en général, sur les arbres en particulier, sur les autres espèces déjà présentes dans des milieux qui ont bien changé depuis leur disparition ? On pourrait imaginer que de telles expériences ou tentatives de « réensauvagement » se passent plutôt dans des pays où les espaces peu anthropisés sont encore vastes. Paradoxalement, c’est sans doute aux Pays-Bas que les essais sont actuellement les plus avancés. C’est pour cette raison qu’au printemps 2018, un groupe de naturalistes français a visité cinq sites néerlandais de « rewilding ». La superficie du pays permet d’en explorer de nombreuses régions en parcourant des distances raisonnables. En une semaine nous avons pu découvrir des expériences assez différentes et toutes passionnantes. La qualité de l’accueil, la diversité des structures rencontrées, la franchise des échanges et la richesse des discussions ont suscité d’intéressantes réflexions. La liste des espèces croisées correspond à ce qui était attendu, avec des bisons d’Europe, des tarpans reconstitués, des aurochs reconstitués ainsi que d’autres races bovines rustiques comme des Galloway et des highland cattle. Nous avons également rencontré cerfs, chevreuils, daims et sangliers. Chaque site a une composition floristique, faunistique et un historique qui lui sont propres. Le plus intéressant est peut-être les façons différentes dont les bisons sont remis « en liberté ». Le défi majeur se situe probablement à leur niveau. Cinq bisons à Veluwe Le Staatsbosbeheer est une agence néerlandaise nationale qui gère environ 250 000 hectares de sites naturels dans le pays. La réserve de Veluwe qui en fait partie couvre 10 000 ha et est localisée au centre de pays, en Gueldre. Curieusement elle héberge une zone de tir pour l’armée néerlandaise, fermée au public, mais où se trouve une bonne partie des 250 cerfs et 700 sangliers recensés. Enfin, la zone où vivent les cinq bisons arrivés depuis 2016 occupe 400 ha, clôturés et inaccessibles au public. Il s’agit d’une démarche exploratoire avec quelques points intéressants. Les clôtures à trois fils, dont les deux supérieurs (le plus haut à 1,50 m voire 1,20 m) électrifiés, semblent réellement légères pour des bisons mais paraissent pourtant efficaces. Elles laissent circuler librement le reste de la faune qui passe au-dessous. L’impact des bisons de Veluwe sur la végétation, les arbres en particulier, est bien suivi : les plantes, consommées entière- ment ou en partie, ou bien laissées intactes, sont recensées. Par exemple les animaux consomment les sorbiers (Sambucus sp.), le cerisier d’automne (Prunus serotina), arbrisseau américain potentiellement envahissant, et les bouleaux (Betula sp.) mais ne touchent […]

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