Pollution sonore : L’impact des bruits anthropiques sur la biodiversité

Vue de la ville d'Oslo, en Norvège. Photo : Einar Storsul/Unsplash
Texte : Romain Sordello, coordinateur de la cellule « revues systématiques », UMS PatriNat (OFB-MNHN-CNRS)

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 330, septembre-octobre 2021

Lors des confinements vécus durant la crise sanitaire qui a débuté en 2020, et notamment lors du premier d’entre eux au printemps 2020, le silence dans les villes a frappé les esprits. La fréquentation des rues et le trafic routier devenus quasi nuls (de même que le trafic aérien), les citadins ont pu réentendre les chants d’oiseaux depuis leur appartement et constater à quel point, en temps normal, les activités humaines occupent l’espace sonore. Nous y prêtons peu attention, mais en réalité toutes – tels les transports, les industries, les activités militaires ou encore récréatives – génèrent une certaine quantité de son dans l’environnement. Pour rappel, l’ouïe humaine est sensible à une gamme précise de fréquence sonore, de 20 à 20 000 Hertz environ, encadrée par les infra-sons et les ultra-sons que certains animaux arrivent quant à eux à capter. Le son étant une onde, il se déplace dans l’air, pouvant ainsi atteindre des lieux éloignés des sources d’émissions. Régulièrement, des publications scientifiques démontrent des impacts occasionnés par les sons d’origine anthropique – qualifiés alors de bruit – sur la faune et les écosystèmes (cf. n° 254, p. 32 à 37). Afin de disposer sur ce sujet d’un état des lieux des connaissances disponibles aussi complet et actualisé que possible, une carte systématique a été réalisée par l’UMS PatriNat en collaboration avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. [1]

Une connaissance abondante

Le volume de littérature recensé (près de 1 800 publications !) souligne en premier lieu que la connaissance sur l’impact des bruits anthropiques – pourtant souvent présenté comme un sujet « émergent » – est abondante. À ce stade, nous ne pouvons pas dire si ces publications montrent ou non un effet réel sur les espèces ; pour cela il faudrait procéder à l’analyse des résultats des publications (travail relevant d’une revue systématique, étape postérieure à la carte systématique). Néanmoins, nous pouvons constater que la recherche en écologie s’est déjà appropriée cette problématique. Plusieurs articles de synthèse avaient déjà été publiés sur la pollution sonore, en collectant cependant beaucoup moins d’études. [2] [3]  La force de l’outil « carte systématique » est de réunir un volume de documents très conséquent, du fait de la multiplicité des sources de données consultées et de l’intégration de littérature scientifique « grise » (rapports, thèses, livres, mémoires de stages, actes de colloques, etc.). La distribution chronologique des documents montre une augmentation très nette du nombre de publications à partir des années 2000. Cette tendance est assez fréquemment constatée en écologie (par exemple sur la pollution lumineuse). Elle est liée en partie à une amélioration de l’accessibilité des travaux de recherche (numérisation, mise à disposition dans des bases de littérature consultables en ligne…), mais c’est aussi une conséquence de la progression de l’activité de recherche sur ces sujets dits « émergents ».

Le port de Vuosaari, un terminal du port d’Helsinki, en Finlande, est doté d’une imposante muraille anti-bruit.

Une connaissance très hétérogène

L’intérêt d’une carte systématique est de mettre en évidence les « pleins » et les « creux » de la connaissance, c’est-à-dire les combinaisons (dans ce cas précis, « espèces-bruit-impact ») disposant de suffisamment de connaissances, afin d’aller vers des décisions opérationnelles et les combinaisons pour lesquelles, au contraire, la connaissance est très lacunaire voire inexistante. Ici, malgré le volume global important de littérature collectée, la connaissance semble très hétérogène. Les documents collectés concernent à 91 % des vertébrés et parmi eux, les mammifères, les oiseaux et les poissons sont les plus représentés. Concernant les sources de bruits, environ 35 % des publications traitent des bruits liés aux transports (avions, bateaux, voitures) puis 27 % des bruits industriels (mines, forages, usines, éoliennes…), et viennent ensuite les bruits « abstraits » (alarmes, impulsions…). En croisant les groupes biologiques, les sources de bruits et les types d’impacts, 12 sous-questions ont été identifiées comme les plus  riches en littérature et donc à même potentiellement d’être exploitées pour de la prise de décision opérationnelle. C’est le cas par exemple des impacts des bruits liés aux transports sur les mammifères et les oiseaux.

À l’inverse, certains groupes biologiques (amphibiens, reptiles et tous les invertébrés), certaines sources de bruits (récréatifs, militaires et urbains) et certains types d’impacts (utilisation de l’espace, reproduction, composition ou fonctionnement des écosystèmes) ont été très peu étudiés pour le moment. Certaines sous-questions n’ont même jamais fait l’objet d’une étude à ce jour (par exemple l’impact des bruits militaires sur les amphibiens, ou l’impact du bruit urbain sur les reptiles).

En ce qui concerne la localisation des études, on en retrouve un peu partout dans le monde mais là encore, la distribution n’est pas homogène. Environ un tiers des études ont été menées aux États-Unis et une proportion significative a été réalisée au Canada (9 %). Viennent ensuite la Grande Bretagne (6 %), les Pays-Bas (5 %) et l’Australie (5 %). En France, 27 études ont été recensées, par exemple sur l’impact du dérangement sur des chevreuils [4], l’impact du trafic routier sur des amphibiens [5], l’impact des bruits de battage de pieux sur des poissons [6] ou encore l’impact du bruit urbain sur des oiseaux. [7]

Quelles implications concrètes ?

Des études devraient être engagées pour combler les lacunes de connaissance identifiées, d’autant plus que certains manques correspondent a priori à des enjeux importants. Par exemple, les amphibiens, les reptiles ou certains invertébrés (arachnides par exemple) – fortement sous-étudiés – utilisent en grande partie le son, l’ouïe ou les vibrations pour leur communication, laissant supposer que le bruit anthropique a sans doute des impacts importants sur ces taxons. De même, l’impact des bruits liés aux activités de loisir est encore peu documenté ; pourtant la fréquentation des espaces naturels et semi-naturels augmente, en lien notamment avec la demande croissante de nature de la part des citoyens, le développe- ment des sports de nature et la promotion des services écosystémiques (aménités paysagères, bénéfices du contact avec la nature), engendrant donc potentiellement des nuisances sonores croissantes pour la faune.

À l’inverse, les connaissances étant finalement assez abondantes sur d’autres aspects (les impacts sur certains taxons, certaines sources de bruit), il est étonnant que celles-ci n’aient pas encore été exploitées, ou très peu, et, le cas échéant, prises en compte par la sphère décisionnaire. En effet, pour le moment les nuisances sonores sont considérées essentiellement vis-à-vis de l’humain mais très peu vis-à-vis des écosystèmes. Pourtant, l’Europe a comme objectif de réduire les effets du bruit sur les écosystèmes : des zones de quiétudes sont recommandées pour garantir la tranquillité de la faune en Europe. [8] En France, le Code de l’environnement reconnaît pour la première fois en 2000 que le bruit perturbe l’environnement (article L571-1). Mais pour l’heure, les mesures concrètes concernent essentiellement les cétacés, avec par exemple des réductions de vitesse de certains navires en vue de diminuer le bruit du trafic maritime ou l’usage de rideaux de bulle pour limiter les bruits de travaux aquatiques. D’ailleurs, dans sa nouvelle stratégie biodiversité 2030 parue en mai 2020 [9], l’Europe prévoit de se doter d’un indicateur de suivi de la réduction du bruit sous-marin.

Les choses avancent donc, mais pour que les effets du bruit sur l’ensemble de la faune et des écosystèmes soient mieux pris en compte, il est nécessaire que ce sujet prenne davantage d’importance dans la société, à l’instar de la pollution lumineuse, qui fait l’objet de préoccupations et d’actions croissantes en France (cf. n° 329, p. 33 à 40) et dans le monde ces dernières années.

 


Références

  1. Sordello R., et al. 2020. Evidence of the impact of noise pollution on biodiversity: a systematic map. Environ. Evid. 9(20).
  2. Shannon G., et al. 2019. A synthesis of two decades of research documenting the effects of noise on wildlife: effects of anthropogenic noise on wildlife. Biol. Rev. 91(4), p. 982–1005.
  3. Kunc H.P., Schmidt R. 2019. The effects of anthropogenic noise on animals: a meta-analysis. Biol. Lett. 15(11):20190649.
  4. Padié S., et al. 2015. Time to leave? Immediate response of roe deer to experimental disturbances using playbacks. Eur. J. Wildl. Res. 61, p. 871–879.
  5. Lengagne T. 2008. Traffic noise affects communication behaviour in a breeding anuran, Hyla arborea. Biological Conservation 141(8) p. 2023-2031.
  6. Radford A.N., et al. 2016. Repeated exposure reduces the response to impulsive noise in European seabass. Glob. Change Biol. 22, p. 3349-3360.
  7. Meillère A., et al. 2015. Impact of chronic noise exposure on antipredator behavior: an experiment in breeding house sparrows. Behavioral Ecology, vol. 26, issue 2, p. 569–577.
  8. Nugent C., et al. 2014. Good practice guide on quiet areas. European Environment Agency. 53 pp.
  9. European Commission. 2020. Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions. EU Biodiversity Strategy for 2030. Bringing nature back into our lives. COM (2020) 380 final.

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