Nouvelles labellisations Ramsar : la baie d’Audierne et le Pinail
Texte : Marie-Odile Guth, administratrice de la SNPN Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 330, septembre-octobre 2021
La convention de Ramsar est l’unique traité mondial portant sur un seul écosystème, celui des zones humides d’importance internationale. Elle enrichit régulièrement ses listes de sites désignés par les 168 États membres afin d’assurer la conservation de ces espaces toujours menacés et de lutter contre leur régression.
Cet automne 2021, la France proposera au secrétariat de la convention Ramsar l’inscription de deux nouveaux sites qui devraient donc s’ajouter aux cinquante déjà labellisés sur son territoire : la baie d’Audierne (Finistère) et le Pinail (Vienne). Avant d’être portées à l’international, les candidatures de ces deux sites ont été examinées par le ministère en charge de l’écologie, qui s’appuie sur les avis émis par le Groupe national milieux humides, une instance consultative, dont fait partie la SNPN. Dans ce cadre, la SNPN a émis deux avis très positifs sur ces propositions de labellisation qui renforceront la gestion de ces sites originaux et emblématiques.
En baie d’Audierne, dunes, paluds et roselières
Halte migratoire de référence pour l’avifaune entre l’Europe et le continent africain, la baie d’Audierne, localisée à la pointe sud de la péninsule bretonne, s’étire en un arc de cercle de 40 km, et offre une déclinaison d’habitats représentatifs de zones humides, étangs et prairies humides (530 ha) en alternance avec des milieux dunaires (640 ha), landes, paluds et roselières, estrans et cordons de galets. Ils confèrent à ce site, qui constitue le deuxième ensemble dunaire de Bretagne, des caractéristiques paysagères originales du littoral atlantique. Séparés de l’océan par un cordon dunaire, ces milieux abritent des dépressions topographiques qui, inondées l’hiver, offrent un paysage de mers intérieures. Ils accueillent sur 170 ha les deux plus grands étangs naturels du Finistère, les étangs de Kergalan et de Trunvel.
Ce vaste complexe humide et dunaire littoral de près de 2 400 ha offre une mosaïque d’habitats originaux et diversifiés d’intérêt communautaire qui abritent une faune et une flore remarquable. Près de mille espèces animales dont 320 espèces d’oiseaux (gravelot à collier interrompu, phragmites, rousserolles, faucon hobereau, butor étoilé) s’y abritent. Plus de vingt mille oiseaux d’eau y sont régulièrement observés dont près de huit mille hivernants. 374 espèces représentatives de la faune invertébrée y ont été inventoriées. Les étangs intérieurs constituent des zones d’alimentation et de croissance privilégiées pour les anguilles arrivant de la mer des Sargasses, dont la montaison et la dévalaison sont facilitées par le chevelu des petits cours d’eau côtiers.
Plus de 700 taxons floristiques ont été repérés sur le site, dont trois sont d’intérêt communautaire, 26 sont protégés et 58 considérés comme rares et/ou menacés à l’échelle régionale ou nationale, notamment l’orchidée terrestre liparis de Loesel (Liparis loeselii). L’alternance d’eau salée et douce compose des formations végétales variées : salicornes, herbiers dulçaquicoles, roselières, jonçaies, mégaphorbiaies. Très anciennement utilisées comme pâturages et prairies de fauche, ces zones humides jouent leur rôle de champ d’expansion des crues, de lutte contre le ruissellement et d’épuration naturelle de l’eau. Si la présence d’espèces végétales et animales envahissantes (jussie, herbe de la Pampa, vison d’Amérique, ragondin, rat musqué) menace la préservation de ces habitats naturels aquatiques, le dérangement lié à la fréquentation, aux activités humaines et loisirs touristiques constitue néanmoins la principale menace sur le site.
Le label Ramsar va conforter cet espace naturel qui fait déjà l’objet de diverses mesures de protection dotées de documents de gestion complémentaires : deux sites Natura 2000, un site classé et un site inscrit, deux arrêtés préfectoraux de protection de biotope (APPB), une réserve de chasse maritime pour protéger les passées d’oiseaux d’eau, plusieurs inventaires de type zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) I et II, des terrains acquis par le Conservatoire du littoral. Au regard de la valeur environnementale de ce site, de nombreux acteurs locaux (deux communautés de communes, le département du Finistère, le Forum des marais atlantiques, l’université de Rennes 2 et des acteurs de terrain) se mobilisent pour en assurer la gestion.
Le Pinail, des milliers de mares
Marqué par un étonnant et singulier maillage de plus de 7 500 mares permanentes et temporaires qui trouvent leur origine anthropique dans l’extraction de la pierre meulière du IXe au XIXe siècle, le plateau du Pinail offre un complexe humide original de mares, tourbières et roselières, landes sèches et prairies humides, boisements de feuillus et résineux qui s’étend sur 923 ha en Poitou, entre les rivières de la Vienne et du Clain. Cette vaste mosaïque d’habitats terrestres, amphibies et aquatiques constitue un remarquable réservoir de biodiversité qui abrite près de 2 500 espèces inventoriées, tant animales que végétales et fongiques, le plus souvent rares et menacées à différentes échelles géographiques. Certaines sont emblématiques, parmi lesquelles l’écrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes), le campagnol amphibie (Arvicola sapidus), le triton crêté (Triturus cristatus), la dolomède des radeaux (Dolomedes fimbriatus), la leucorrhine à large queue (Leucorrhinia caudalis), l’azuré des mouillères (Phengaris alcon), la fauvette pitchou (Sylvia undata), la rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia) et la spiranthe d’été (Spiranthes aestivalis).
L’imbrication des habitats terrestres et aquatiques permet de passer rapidement des mares aux herbiers aquatiques, aux pelouses amphibies et roselières, aux tourbières et prairies humides, aux landes sèches (dont la lande à Erica scoparia ou brandes du Poitou) et plantations de feuillus et résineux. Ces milieux diversifiés accueillent des cortèges d’espèces stables et permettent de maintenir un équilibre dans l’écosystème. En position de plateau, le Pinail est exclusivement alimenté par les eaux pluviales et assure les fonctions de stockage d’eau et de recharge de la nappe phréatique. Les précipitations moyennes annuelles sont néanmoins assez faibles et susceptibles d’évoluer en fonction du changement climatique, rendant à terme ces milieux vulnérables.
Les 923 ha du site du Pinail proposé à la labellisation Ramsar sont intégrés dans les limites d’une zone Natura 2000 animée par la Ligue pour la protection des oiseaux et englobent les 142 ha classés en réserve naturelle nationale, dont la gestion est assurée par l’association de gestion de la Réserve naturelle du Pinail (Gerepi). La forêt domaniale de Moulière, régie par l’Office national des forêts, cerne l’ensemble. Au regard de ces divers statuts de protection, la gestion conservatoire des écosystèmes s’articule autour des enjeux de conservation du site et de ses habitats, des orientations scientifiques (inventaires, études et articles), des activités forestières en domaine public et privé (production de bois, fabrications de palissades traditionnelles en brandes), des activités cynégétiques en dehors de la Réserve naturelle nationale (battues et chasse à courre) et d’accueil du public (sorties et excursions pédagogiques, photographie, randonnée, cyclisme).
Un vaste réseau international
Ces deux perspectives de labellisation au titre de la convention de Ramsar s’inscrivent dans des projets de territoires dont les objectifs sont clairement affichés. Ils devraient favoriser un renforcement de la gestion de ces zones humides, et valoriser leur intérêt biologique, paysager et historique tout en portant une attention particulière sur leur évolution au regard des changements climatiques. Enfin, ils permettront à leurs gestionnaires de s’intégrer dans le réseau de partenaires de cette démarche internationale de gestion des zones humides.