Montagne d’Or : Un projet minier qui menace la Guyane

Le singe-araignée noir (Ateles paniscus), le plus grand singe de Guyane, vit dans les forêts hautes. Un vaste domaine vital lui étant nécessaire pour sa recherche de nourriture (fruits, graines), l'espèce est vulnérable au fractionnement de son habitat. Photo : Guillaume Feuillet
Texte : Nyls de Pracontal, administrateur de la SNPN, et François Jeanne, directeur du Groupe d’étude et de protection des oiseaux en Guyane (GEPOG)

Photos : Guillaume Feuillet

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 310, mai-juin 2018

Résultat d’une longue et complexe histoire géologique, le sous-sol de la Guyane héberge, pour son grand malheur, de fortes concentrations en or. Après la découverte du métal en 1855, la Guyane a vécu une spectaculaire ruée vers l’or à la fin du XIXe siècle, avant la chute de son cours. L’orpaillage artisanal connût une deuxième vague autour des années 1990 à la faveur de vastes campagnes de prospections et d’études minières menées par le Bureau de recherches géologiques et minières, qui mirent en évidence les « potentialités » du départe- ment. Jusqu’à aujourd’hui, l’industrie aurifère en Guyane exploite principalement les gisements secondaires. Mais, attirées par une politique d’incitation et par la flambée du cours mondial du métal jaune, des entreprises internationales ont obtenu des concessions et des permis de recherche en caressant l’espoir d’installer durablement l’exploitation de gisements d’or primaires dans un département exempt de concurrence.

Ainsi est né, au début des années 2000, le premier projet de mine industrielle de Guyane, sur la montagne de Kaw. En 2008, une forte mobilisation locale a conduit l’État à rejeter le permis d’exploiter qu’attendait la multinationale Iamgold. Outre les dangers industriels qui sont intimement associés à ce type de méga industrie, la localisation envisagée pour la mine posait un réel problème : au cœur d’un parc naturel régional, enchâssée entre deux réserves naturelles, sur une zone humide reconnue d’importance internationale par la convention Ramsar, et au sein d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

Le refus de ce projet par l’État a été un véritable coup de semonce pour la filière et les entreprises détentrices de concessions, qui se sont mises en retrait et ont demandé des garanties pour envisager une suite à leurs investissements. Entre-temps, les Grenelle de l’environnement ainsi que les travaux du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les différentes Conférences de parties (COP) ont alerté l’opinion publique et élevé la prise de conscience d’un nombre croissant de citoyens autour des enjeux globaux que représentent les changements climatiques et la préservation des milieux naturels et de la biodiversité.

Vue aérienne de la canopée. Sous son apparente uniformité, la forêt de Guyane recèle des écosystèmes variés à haute valeur de biodiversité. Photo : Guillaume Feuillet

Un projet pharaonique au milieu d’un trésor écologique

Malgré ce précédent peu favorable, un nouveau projet de mine industrielle voit rapidement le jour, cette fois-ci à 300 km à l’ouest de Kaw. Il concerne la concession minière dite de Montagne d’Or, d’une superficie de 15,24 km² à 120 km au sud de Saint-Laurent du Maroni, à l’ouest du département. Les premières prospections entamées au début des années 1990 avaient révélé un gisement prometteur. À partir de 2011, des forages pour caractériser le gisement sont financés par la société minière canadienne Colombus Gold. Fin 2013, la multinationale russe Nordgold signe un accord avec Columbus Gold et devient l’actionnaire majoritaire du projet d’exploitation de Montagne d’Or.

Après plusieurs études d’impact et de faisabilité réalisées entre 2014 et 2017, l’heure est à présent à la consultation publique, et la mise en exploitation est prévue pour 2022. Installée sur plus de 800 hectares et employant aujourd’hui 23 salariés, la compagnie minière Montagne d’Or – co-entreprise entre Columbus Gold et Nordgold – prévoit d’extraire plus de 80 tonnes d’or sur une période de 12 ans pour une valeur estimée à environ 3 milliards d’euros [1]. Pour ce faire, les exploitants creuseraient en pleine forêt tropicale une fosse de 2,5 km de long sur 600 à 800 m de largeur et 200 à 250 m de profondeur (soit l’équivalent de la surface de 32 Stades de France). À cela doit être ajoutée l’ouverture d’une piste forestière de plus de 120 km ainsi que la construction d’une ligne électrique à haute tension – des infrastructures linéaires qui constituent des obstacles infranchissables pour de nombreux animaux de la forêt et fragiliseraient à long terme les équilibres écosystémiques des habitats concernés. L’ensemble représenterait la première mine industrielle en Guyane, et la plus grande de France.

Ce projet pharaonique, au cœur du massif forestier de Guyane, mettrait à mal un territoire d’une immense richesse écologique. L’hétérogénéité de sa géomorphologie, la variabilité climatique relevée ainsi que la diversité et la complexité des interactions entre espèces animales et végétales génèrent une grande mosaïque d’habitats induisant une biodiversité unique, encore globalement bien conservée. Le projet de mine d’or à ciel ouvert se situe entre le massif Lucifer et le massif Dékou-Dékou, qui constituent ensemble la plus grande réserve biologique intégrale de France, couvrant 64 373 ha. La principale fosse d’extraction serait creusée à seulement 440 m de la limite de cette dernière. Plus de 2 000 espèces végétales et animales ont été inventoriées lors de l’étude initiale du site, parmi lesquelles près de 130 sont des espèces protégées. Ce secteur remarquable est situé en ZNIEFF et constitue un ensemble montagneux isolé dans le nord-ouest de la Guyane. Une grande partie de la zone, notamment la montagne Lucifer, est recouverte de forêts dont certaines sont rares au niveau régional, riches en mousses et épiphytes vasculaires en raison de la persistance des brouillards dus à l’altitude.

La Guyane abrite 131 espèces d’amphibiens, parmi lesquelles cette rainette de Spix (Boana geographica), de mœurs nocturnes et forestières. Photo : Guillaume Feuillet

Un contexte social et économique difficile

Malgré les déclarations vertueuses de la compagnie Montagne d’Or, qui promet de « mettre en œuvre tous les efforts possibles pour éviter, réduire et compenser les impacts environnementaux et sociaux réels et potentiels du projet minier », le potentiel de nuisance écologique du projet est évident. Il reçoit pourtant le soutien d’une large partie de la classe politique guyanaise ainsi que du gouvernement français. Il faut, pour le comprendre, s’intéresser au contexte socio-économique particulier de la Guyane.

Le 20 mars 2017 débutait en Guyane un mouvement social sans précédent. Cristallisé autour des problèmes d’insécurité et des retards structurels de développement, il a prospéré sur le terreau fertile d’une situation socio-économique dont les indicateurs sont au rouge. Département d’outre-mer continental, inséré entre le Suriname et le Brésil, la Guyane concentre l’ensemble des défis auxquels doivent faire face les territoires isolés de la République. Au premier rang desquels le taux de croissance de la population, qui se situe parmi les plus élevés au monde. Cette vitalité naturelle, alimentée par un accroissement du solde migratoire, contribue à créer les conditions d’un ensemble au pilotage public délicat.

Dans ce contexte sous tension, offrir des perspectives pérennes aux plus de 23 % de la population en demande d’emploi, répartie sur un territoire présentant de fortes inégalités socio-économiques, est une gageure. La situation des jeunes de moins de 25 ans, dont près d’un sur deux est au chômage, est à ce titre édifiante. Inverser la tendance de ce sombre panorama est un défi pour les pouvoirs publics (État et collectivités) qui passent l’essentiel de leur temps et de leurs finances à intervenir sur des politiques de rattrapage. Des générations d’hommes et de femmes politiques se sont résolument impliquées dans le développement de la région, mais ont été contraints, à marche forcée, de gérer le quotidien pour maintenir bon an mal an les équilibres sociaux. Ce qui pourrait être aujourd’hui considéré comme une « gestion à la semaine » annihile depuis trop longtemps les initiatives d’anticipation et de planification. Ainsi, sans projection, sans projet collectif sociétal partagé entre les élus, l’État, et les Guyanais, point de salut. C’est ce qui s’est exprimé lors des cinq semaines de manifestations en 2017. Cette absence de perspectives, cette course contre la montre, cette absence de cap et de volonté partagée entre État et collectivités empêchent la Guyane de décoller. Le déficit d’ambition pour cette région a notamment pour conséquence l’émergence de projets privés qui s’imposent par fatalité aux faiseurs des politiques publiques.

Pourtant, en offrant seulement 750 emplois directs à durée déterminée, le projet Montagne d’Or ne propose qu’une réponse à court terme aux besoins du territoire. En revanche, il présente tous les prérequis pour affecter profondément son environnement naturel, social et économique. Outre la démesure de l’exploitation envisagée, qui la classerait en tant que « site Seveso seuil haut » à trois titres (54 millions de tonnes de minerai arraché à la montagne, 57 000 tonnes d’explosifs, 46 500 tonnes de cyanure, 195 millions de litres de fuel…), de sérieux doutes persistent sur l’équilibre économique du projet, comme l’a démontré le WWF France dans une étude [2] publiée en 2017. On découvre par exemple que chaque emploi créé bénéficiera d’environ 560 000 € publics par le jeu des subventions et autres outils fiscaux disponibles pour soutenir le développement de la Guyane. Les projections réalisées par le WWF sur la filière touristique [3] montrent que celle-ci pourrait permettre de créer six fois plus d’emplois directs avec quatre fois moins de subventions publiques. Sans compter le poids du besoin en électricité attendu (20 MW), l’équivalent de celui de la ville de Cayenne…

L’arlequin de Cayenne (Acrocinus longimanus) présente une coloration rouge vif en Guyane, tandis que les individus d’Amérique centrale sont plus pâles. Photo : Guillaume Feuillet

La croisée des chemins

La Guyane se trouve donc une nouvelle fois à la croisée des chemins. S’engager sur la piste du développement industriel de la mine pourrait compromettre durablement l’émergence de filières alternatives profitables au plus grand nombre de Guyanais. Or, en ces temps de restrictions budgétaires et face à l’impératif social, il est urgent de faire émerger des pistes nouvelles de développement, basées sur des évaluations fines par filière et produisant des scénarios d’investissements ambitieux. Il est également nécessaire que les Guyanais s’emparent pleinement de ces questions fondamentales afin de se réapproprier leur destin sans avoir à subir les appétits de certains.

L’occasion leur en est aujourd’hui donnée. Grâce à la persévérance de l’association France nature environnement (FNE), qui a réussi à imposer au maître d’ouvrage de soumettre son projet à la Commission nationale du débat public, ce projet minier devient un projet d’enjeu national autour de la consultation publique qui se tient du 7 mars au 7 juillet 2018. Une opportunité unique est ainsi offerte de pouvoir clairement dire « stop à la Montagne d’Or ». À ce titre, saluons la mobilisation sans faille du collectif Or de question et des peuples autochtones de Guyane, qui rejettent unanimement ce projet et souhaitent désormais, à travers la création, le 11 février dernier, du Grand conseil coutumier, peser dans les décisions. Ils seront soutenus en cela par une majorité de Guyanais, comme le montre le sondage réalisé par l’IFOP pour le WWF en octobre 2017 [3] : les trois quarts des personnes sondées estiment que Montagne d’Or représente un risque important pour l’environnement, et seuls 11 % considèrent que l’or est un secteur à prioriser, loin derrière l’agriculture (44 %), le bâtiment (37 %), le tourisme (29 %), les énergies renouvelables (28 %), l’agro-alimentaire (19 %) ou la pêche (17 %).

En parallèle de cette phase de débat public, il faudra redoubler d’engagements et d’efforts collectifs pour que puisse émerger le souhait de voir les politiques publiques investir massivement vers des filières durables. La Guyane a pour cela des atouts qu’il serait temps de reconnaître et d’accompagner ; bois, pêche, agriculture, énergies renouvelables, ne demandent qu’à faire partie des priorités de la région. Tout comme le tourisme, qui présente des marges de développement très prometteuses [4]. En 2008, FNE, le Groupe d’étude et de protection des oiseaux en Guyane (GEPOG) et le comité français de l’UICN dans leur étude Or jaune contre or vert, quel avenir pour la Guyane [5] s’affirmaient ainsi « intimement convaincus qu’il existe des solutions qui permettent de combiner la protection d’une richesse et d’une diversité biologique inestimables et la mise en place d’activités économiques responsables et durables, afin de répondre aux enjeux économiques et écologiques de la Guyane. »

Pour s’affranchir des appétits voraces des transnationales et pallier le déficit d’investigation des puissances publiques sur des trajectoires de développement résolument durables, les associations de protection de la nature nationales, parmi lesquelles la SNPN, doivent aujourd’hui aller au-delà du constat et prendre pleinement part à la construction des solutions.

 


Références

  1. Compagnie minière Montagne d’Or. Mars 2018. Projet de mine d’or en Guyane. Dossier du maître d’ouvrage. 122 pages.
  2. WWF France. Septembre 2017. Montagne d’Or, un mirage économique ? 19 pages.
  3. IFOP pour WWF France. Octobre 20017. Les Guyanais et le projet minier de la « Montagne d’Or ». 15 pages.
  4. WWF France. Octobre 2017. Vers un développement durable de la Guyane. 11 pages.
  5. FNE, UICN, GEPOG. Septembre 2008. Or vert contre Or jaune, Quel avenir pour la Guyane ? 115 pages.

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