Mammifères marins : Visiteurs printaniers
Texte : François Moutou Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 330, septembre-octobre 2021
Plusieurs mammifères marins inhabituels ont été observés le long des côtes françaises en début d’année 2021. Un jeune mégaptère (Megaptera novaeangliae) mort a été repêché non loin de Lorient, où deux biologistes de l’observatoire Pélagis a ont pu l’examiner le 28 avril 2021. [1] Le jeune animal n’était pas encore sevré et présentait des hématomes et des fractures. On suppose donc qu’il a pu être heurté par un navire et que le choc lui a été fatal. Jusqu’à présent les observations et échouages de mégaptères restaient rares devant les rivages de France métropolitaine. Il semble cependant que le nombre d’observations de cette espèce le long des rivages atlantiques français augmente.
Fin juin 2021, l’association Apex Cetacea, spécialisée dans l’observation en mer des cétacés, a repéré et photographié un dauphin commun (Delphinus delphis) « blanc » en face de Capbreton (Landes). L’animal n’est pas albinos, mais sa pigmentation corporelle est très réduite – sans que la cause soit connue, faute d’analyse génétique. Le terme pour cette caractéristique est « piebald » même s’il n’est pas vraiment « pie ». Comme ces animaux semblent rares, il est possible que leur décoloration les fragilise ou les expose davantage à d’éventuels prédateurs.
Un morse dans le port de La Rochelle
Une autre surprise est venue d’un morse (Odobenus rosmarus). Personne ne pensait que l’individu observé mi-mars 2021 devant les côtes rocheuses du comté de Kerry, en Irlande, longerait les rivages de la Vendée puis entrerait dans le port de La Rochelle fin mai. L’animal s’est même installé dans une barque pour s’y reposer. Le centre Pelagis étant justement installé à La Rochelle, le suivi et l’encadrement de la sécurité de cet imposant visiteur ont été assez faciles à organiser, avec le soutien de l’Office français de la biodiversité (OFB). Il est reparti le 30 mai 2021. Les plus proches populations de morses connues sont sur la côte est du Groenland et au Svalbard. Ce n’est pas la première visite d’un morse le long des côtes françaises même si cela reste exceptionnel. Les raisons de ces excursions ne sont toujours pas élucidées et concernent souvent de jeunes individus, comme cette année. S’agit-il d’erreurs de navigation, d’errances ou d’explorations ?
Excursions lointaines de baleines grises
Enfin, au printemps 2021, une jeune baleine grise (Eschrichtius robustus) a été observée en Méditerranée. L’espèce, limitée aujourd’hui au Pacifique nord, a été conduite au bord de l’extinction au début du XXe siècle par la chasse baleinière. Lente, peu agressive, longeant les côtes, elle représentait une proie facile et prévisible. Les mesures de protection prises à temps ont permis à l’espèce de bien récupérer, surtout le long des côtes américaines. L’effectif dépasse aujourd’hui 20 000 individus avec des fluctuations qui peuvent être importantes mais qui pourraient être naturelles. [2] Côté asiatique, la population ne serait que d’environ 200 individus. Il existe cependant des échanges réguliers entre les deux populations des rivages est et ouest du Pacifique. Les animaux de la population orientale, les mieux suivis, effectuent une migration annuelle de près de deux fois 8 500 km. C’est la distance séparant les zones d’hivernage et de reproduction du côté de la Basse-Californie (Mexique) des zones de nourrissage le long des côtes de l’Alaska, jusqu’en mer de Beaufort, au nord-est du détroit de Béring. L’espèce était autrefois présente dans l’Atlantique nord et aux portes de la Méditerranée, peut-être jusqu’au XVIIe ou XVIIIe siècle.
Première surprise en 2010, un individu est observé en Méditerranée, d’abord devant Israël en mai, puis il est revu le long des côtes espagnoles, avant de disparaitre. La deuxième surprise date de 2013 mais n’a été publiée que récemment. [3] Cette année-là, une baleine grise a passé trois mois dans la baie de Walvis le long des côtes d’Afrique australe, en Namibie. Entre mai et juillet, un individu est observé dans cette zone riche en vie marine mais vraiment loin du Pacifique nord. Cela pose de nombreuses questions car ce n’est pas une zone de présence historique de l’espèce et les populations de grands cétacés passent rarement l’équateur. Des prélèvements réalisés sur cet individu suggèrent qu’il pourrait être issu de la population ouest Pacifique asiatique. Le cheminement suivi n’est pas connu mais le voyage correspond probablement à un trajet de 20 000 km. Pour atteindre l’océan Atlantique sud, cette baleine est passée soit au nord de l’Asie en naviguant vers l’ouest, soit au nord du Canada, vers l’est dans ce cas, soit en longeant les côtes pacifiques américaines vers le sud jusqu’au cap Horn et en remontant vers le nord-est ensuite. Enfin, au printemps 2021, un individu juvénile a d’abord été repéré devant les côtes atlantiques marocaines mi-avril puis en Méditerranée au sud de l’Italie. Il a longé les côtes italiennes, puis françaises du 28 avril au 6 mai et enfin espagnoles, toujours vers l’ouest, mais n’a pas été observé avant et son trajet d’arrivée n’est donc pas connu. Des prélèvements de souffle, pour récupérer des cellules et donc du matériel génétique sans passer par une biopsie, invasive, ont été effectués pour essayer d’identifier la population d’origine. Des données complémentaires sont donc espérées. [4]
Références
- Boitel J. 28 avril 2021.Une collision à l’origine de la mort de la baleine à bosse remorquée à Lorient. Le Télégramme de Brest.
- Stewart J.D., Weller D.W. 2021. Abundance of eastern North Pacific gray whales 2019/2020. U.S. Department of Commerce, NOAA Technical Memorandum NMFS-SWFSC-639.
- Hoelzel A.R., et al. 2021. Natal origin of Namibian grey whale implies new distance record for in-water migration. Biol. Lett. 17: 20210136.
- 4- OFB. 03/05/2021. Recherche baleine grise désespérément !