L’orang-outan : Va-t-il réellement disparaître ?

Une femelle orang-outan et son jeune dans les forêts de la Kinabatangan. Photo : Marc Ancrenaz

L’orang-outan, littéralement « homme des bois », espèce emblématique qui par excellence symbolise dans notre imaginaire la forêt équatoriale et sa destruction, est-il voué à une disparition imminente ? Oui, à en croire les messages relayés régulièrement par les médias et de nombreuses autres voix, notamment associatives, qui annoncent une extinction rapide de ce grand singe comme conséquence de l’expansion agricole et en particulier des plantations de palmier à huile, et qui présentent souvent les efforts de réhabilitation et de réintroduction comme seule solution pour enrayer ce processus d’extinction. Mais est-il vraiment inéluctable ? Texte et photos : Marc Ancrenaz, directeur scientifique de l’association Hutan Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 319, novembre-décembre 2019 Le déclin des orangs-outans est une problématique complexe : la résumer en présentant des causes et des solutions simples est illusoire. De fait, la déforestation des forêts tropicales et leur conversion pour la culture des palmiers à huile n’expliquent que 50 % du déclin actuel des orangs-outans. La seconde cause essentielle de disparition est la chasse. La réhabilitation des jeunes orangs-outans en vue de leur réintroduction en milieu naturel n’a quant à elle pas le succès annoncé, et n’arrivera certainement pas à endiguer le déclin actuel. La solution est ailleurs, et certains mythes méritent d’être nuancés. Des espèces surprenantes L’orang-outan, seul grand singe asiatique, se singularise par de nombreuses caractéristiques qui lui sont propres. Les pongidés se sont séparés de la lignée humaine il y a environ 15 millions d’années : bien qu’ils partagent 97 % de leur génome avec l’humain, ils en sont les grands singes les plus éloignés. On ne trouve aujourd’hui les orangs-outans que sur les îles de Bornéo (une espèce, Pongo pygmaeus, divisée en trois sous-espèces, P. p. pygmaeus, P. p. morio et P. p. wurmbii) et Sumatra (deux espèces : Pongo abelli et Pongo tapanulensis, décrite recemment). On estime à 700 000 ans la séparation des orangs-outans de Sumatra et de Bornéo. Ils sont les seuls grands singes à pelage roux voire orangé (surtout chez les jeunes ou à Sumatra). Ce sont les plus gros mammifères arboricoles actuels, quoique, à Bornéo du moins, les animaux se déplacent souvent au sol lorsque la sylve forestière devient difficile à pratiquer et requiert des déplacements énergivores. Les orangs-outans sont principalement frugivores mais peuvent adapter leur régime alimentaire aux ressources disponibles : ils se nourrissent aussi énormément de feuilles et de jeunes pousses, de fleurs ou d’écorces. Ils complètent leur régime avec des invertébrés (termites et fourmis) et parfois de petits vertébrés, en particulier sur l’île de Sumatra. Parmi les grands singes, ils sont les seuls à vivre dans un système social semi-solitaire. En effet, à la différence des grands singes africains, les orangs-outans ne vivent pas en groupe : les mâles ne passent du temps avec les femelles que pendant les rares et courtes périodes nécessaires à la reproduction et ne participent en rien à l’élevage des jeunes. L’unité sociale de base est donc composée de la femelle et de son jeune (voire de deux jeunes quand le plus âgé accompagne encore sa mère lors de la naissance du petit suivant). Les orangs-outans sont plus sociaux à Sumatra mais les périodes d’interactions sociales entre individus restent l’exception plutôt que la norme. Les trois espèces présentent le temps de reproduction le plus lent de tous les mammifères, avec en moyenne un petit tous les 7 à 8 ans, expliquant leur sensibilité particulière à la pression de chasse. Ce sont aussi les seuls mammifères caractérisés par le bimaturisme sexuel des mâles : deux types de mâles existent à l’âge adulte. Les mâles à disques faciaux occupent un territoire de plusieurs kilomètres carrés, sont deux fois plus imposants que les autres mâles (ils peuvent peser jusqu’à 80 kg) et sont les seuls à pousser les « cris longs », des vocalises territoriales qui s’entendent à plus d’un kilomètre dans la forêt. Ces mâles à disques dominent les mâles sans disque pour l’acquisition des ressources alimentaires ou des femelles (c’est-à-dire qu’ils les chassent lorsqu’ils se rencontrent). Les mâles sans disque quant à eux ne possèdent pas de territoire, ne peuvent vocaliser les longs cris et sont de la même taille que les femelles adultes (soit la moitié de la taille des mâles à disques). Fait intéressant, l’acquisition d’un disque facial – et par conséquent le passage au statut dominant qui lui est associé – est un vrai phénomène de croissance qui peut s’opérer à n’importe quel moment de la vie du mâle. Certains mâles entreprennent cette phase de croissance juste après leur puberté (vers l’âge de 15 ans), d’autres attendront de nombreuses années avant d’acquérir les disques faciaux, alors que d’autres encore demeureront sans disque leur vie durant. Il semble que le déterminisme déclencheur de cette croissance soit social et dépende principalement de la présence et du nombre de mâles à disques dans la population où vivent les mâles sans disque. Les données génétiques disponibles sur deux populations à Bornéo et à Sumatra montrent que les deux types de mâles participent à la reproduction, mais que les mâles à disques ont en général un peu plus de succès que leurs compétiteurs. Un déclin inquiétant Depuis peu, les trois espèces actuelles d’orangs-outans sont toutes en danger critique d’extinction dans la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Ces espèces sont complètement protégées à la fois en Indonésie et en Malaisie (les seules deux nations à abriter des orangs-outans sauvages aujourd’hui) et il est donc interdit de blesser, tuer ou détenir ces animaux sous peine d’amende et d’emprisonnement dans ces deux pays. Cependant, les travaux les plus récents estiment que près de 100 000 individus auraient disparu depuis ces 20 dernières années. Deux causes essentielles sont à l’origine de cet effondrement : la déforestation et la chasse. Bornéo présente le taux de déforestation tropicale le plus rapide de la planète. Le développement de plantations industrielles (pour obtenir de l’huile, du caoutchouc ou de la pâte à papier), la culture sur brûlis, les activités minières, l’expansion urbaine ou les feux de forêt ont eu raison de près de la moitié de la surface forestière originelle, et donc de l’habitat des orangs-outans, au cours des 50 dernières années. Cependant, force est de constater que les populations déclinent aussi en dehors […]

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