Lons-le-Saunier à l’heure des prédateurs et de la diplomatie
Texte : François Moutou Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 331, novembre-décembre 2021
Les prédateurs, petits et grands, interrogent toujours, fascinent parfois mais sont encore bien mal compris. Pour proposer des espaces de débats, le Pôle grands prédateurs (PGP), Jura nature environnement (JNE) et la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) ont mis leurs forces en commun. Le PGP proposa du 22 au 24 octobre 2021 le festival « Vous avez dit prédateurs ? » au Carrefour de la communication de Lons-le-Saunier, dans le Jura, tandis que JNE et la SFEPM organisèrent non loin de là, à Juraparc, le 41e colloque francophone de mammalogie autour du thème « Entre mammifères, soyons diplomate » les 23 et 24 octobre.
Ours, renards et libellules sur la toile
La première journée du festival organisé par le PGP était réservée au public scolaire, avec des ateliers de dessin et de décoration et la projection de films. L’ouverture officielle fut suivie de la présentation par son réalisateur, Rémy Marion, du film Les métamorphoses de l’ours polaire. Voilà un animal souvent évoqué lorsqu’on l’on parle des changements notamment climatiques, mais pas toujours à bon escient. En effet, la situation de l’espèce ne montre pas pour l’instant de tendance particulière à l’échelle globale, même si les diverses populations suivies localement ne semblent pas exposées de manière homogène aux variations climatiques. Les zones de rencontres entre ours polaires et grizzlys au nord de l’Alaska illustrent néanmoins des situations apparemment nouvelles. Rémy Marion a ainsi pu filmer la rencontre nocturne d’un grizzly avec une douzaine d’ours polaires réunis autour du cadavre d’une baleine échouée. Rappelons cependant que l’histoire paléontologique de l’ours polaire repose en partie sur des hybridations lointaines avec des ours bruns, mises à jour grâce à des analyse génétiques d’ADN ancien.
Les films présentés les jours suivants traitaient de sujets variés, depuis les libellules, grandes prédatrices d’autres insectes, jusqu’au chat des sables, en passant par les busards, le renard polaire, le lynx et la maladie de Lyme. Le renard roux fit l’objet à la fois d’un film et d’un débat (figurant à la fois sur la programmation du festival et sur celle du colloque) sur son « rôle » dans les campagnes en particulier franc-comtoises, entre production laitière et fromagère de qualité, campagnols et produits rodenticides. En effet, plutôt que laisser les renards manger les campagnols, on a longtemps traité les prairies avec des anticoagulants, ce qui n’est pas compatible avec la production de fromages avec appellations, les vaches étant elles-mêmes exposées à ces molécules chimiques. Les renards permettent, eux, toutes les appellations de qualité pour les produits agricoles, contrairement aux molécules d’anticoagulants.
Atteindre le « Symbiocène » ?
La notion de « diplomatie », bien présentée il y a quelques années dans le contexte de la biodiversité par le philosophe Baptiste Morizot, constituait l’axe central du programme du colloque de mammalogie. Baptiste Morizot esquisse un monde où nous vivrions « en bonne intelligence avec ce qui, en nous et hors de nous, ne veut pas être domestiqué ». Le sous-titre du colloque, « coexistence, cohabitation, partage des territoires », précisait le champ. Il ne faut pas oublier que la mammalogie est une branche de la zoologie qui inclut les humains. Dans ce contexte, la diplomatie peut et même doit être comprise comme concernant les échanges entre humains et non humains mais certainement aussi, parfois même avant, entre humains eux-mêmes. À cet égard, le débat autour du renard roux était assez illustratif ; les propos entre participants purent parfois manquer de diplomatie.
La première présentation du colloque, proposée par le philosophe Patrick Desgeorges, membre de l’Institut Michel Serres, posait vite le cadre global. Ayant passé quelques années à travailler sur le dossier « loup » au sein du ministère chargé de l’environnement, l’orateur défend aujourd’hui l’idée que la France a abandonné toute diplomatie vis à vis de cette espèce, voire du monde vivant. Au-delà du loup, Patrick Desgeorges affirme que l’époque actuelle, l’Anthropocène, est caractérisée par une guerre de l’humain contre la nature. Toutes les réponses aux défis techniques, sociaux, économiques actuels ne font que renforcer cette guerre, sans aucune recherche de paix. Ni la « technosphère », ni la « sociosphère », ni l’« éconosphère » n’intègrent la biosphère et ne sauront résoudre les défis qui s’accumulent. Il n’a jamais existé autant de textes régionaux, nationaux, internationaux pour protéger la Terre, ses espaces et ses espèces alors qu’il n’y a jamais eu autant de menaces et de destructions. La « transition », si largement évoquée et vantée, ne remet pas cette guerre en cause. Il s’agit donc d’une mauvaise route. Une des pistes suggérées serait de revenir vers le nouveau contrat social de Michel Serres. Pour définir le monde à rechercher, Patrick Desgeorges propose le terme « Symbiocène » : cette nouvelle politique de paix, fondée sur un vrai partage des biens communs et une certaine sobriété, ne peut être que planétaire. C’est ainsi que la diplomatie – la capacité à se mettre à la place de l’autre – peut déboucher vers la coexistence, la cohabitation, le partage des territoires. Sauver la Terre, revenir à l’Holocène, l’époque d’avant l’Anthropocène, c’est-à-dire retrouver une époque où l’impact des humains serait compatible avec l’intérêt de tous les non-humains, serait à ce prix. Il faudrait que cet Anthropocène et les mauvais principes sur lesquels cette époque actuelle repose soient enseignés dans l’enseignement supérieur.
Des pistes pour vivre ensemble
Le colloque se poursuivit avec des communications qui, bien que plus classiques, illustraient assez bien ce constat peu optimiste mais plutôt réaliste. Les espèces présentées comme sujets d’études et de recherches, faisant l’objet d’un souci de diplomatie avec les humains et pour lesquelles les humains doivent développer de la diplomatie entre eux, sont le castor, les chauves- souris, le lynx, le loup, l’ours et le blaireau en ce qui concerne la faune indigène. Quelques communications évoquèrent des espèces plus lointaines (le jaguar et le tigre).
Le profil des intervenantes et des intervenants, biologistes d’un côté, ou formés aux sciences humaines et sociales de l’autre, souvent jeunes, montre l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs. Il faut espérer que leur enthousiasme, comme leurs compétences, mettent bien en avant cette diplomatie tellement nécessaire pour débloquer des situations encore tendues. Dans le cas des grands prédateurs par exemple, il faut rappeler que les difficultés des filières de productions ovines françaises sont bien antérieures à leurs retours. Les données économiques montrent qu’ils pourraient même représenter un atout : selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, ce sont dans les régions où le loup est présent que les exploitations avec des élevages ovins se portent le mieux. Les plus petites espèces pâtissent quant à elles souvent uniquement des perceptions erronées et du manque d’informations du public à leur égard.
En attendant les actes de ce colloque, prévus pour dans quelques mois, les présentations, les échanges, les discussions et les débats ont déjà ouvert quelques pistes de réflexion de nature à renforcer le « vivre ensemble » au sein des mammifères.