L’île Amsterdam des Terres australes : Une faune et une flore à la croisée des origines
Isolée au sud de l’océan Indien, l’île Amsterdam fait partie de la Réserve nationale naturelle des Terres australes françaises, créée en 2006 puis étendue sur sa partie marine en 2016 et en 2022. Couvrant une superficie d’environ 1 662 000 km², soit la totalité des terres émergées et des espaces maritimes sous juridiction française (eaux territoriales et Zone économique exclusive, ZEE), cette réserve est à ce jour la plus grande réserve naturelle de France et la deuxième plus grande aire marine protégée au monde. Depuis 2019, le périmètre de la réserve naturelle est également inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Chaque année, des scientifiques et des techniciens de l’environnement sont détachés sur les districts pour l’acquisition de données et la mise en œuvre des actions de gestion, contribuant ainsi à l’amélioration des connaissances et à la préservation de l’état écologique de ce territoire exceptionnel. Texte : Quentin d’Orchymont, ornithologue, chargé de l’état des lieux des populations d’oiseaux et d’otaries, Réserve nationale naturelle des Terres australes, Flavien Saboureau, botaniste, chargé de la restauration des populations de Phylica arborea, Réserve nationale naturelle des Terres australes Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 335, novembre-décembre 2022 Située au milieu de l’océan Indien, entre les 37e et 38e parallèles Sud, l’île Amsterdam est une petite île volcanique de 55 km² découverte en 1522 par le navigateur portugais Sebastian Del Cano. Elle forme avec l’île Saint- Paul (8 km²), à quelques 90 km, le district de Saint-Paul et Amsterdam, l’un des 3 districts subantarctiques des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Éloignée de près de 5 000 km du continent le plus proche, elle fait partie des îles les plus isolées du globe avec celles de l’archipel de Tristan Da Cunha dans l’Atlantique Sud (Gough Island, Nightingale Island, Inaccessible Island et Tristan Da Cunha). Situées sous les mêmes latitudes, Amsterdam possède de nombreux organismes en communs avec ces îles, ainsi 11 % des plantes vasculaires du district sont exclusivement partagées avec ces terres britanniques. Cette île, très jeune à l’échelle géologique, a vu le jour au cours de deux périodes distinctes d’activités volcaniques. Une première, survenue il y a 690 000 ans, dont le Mont Fernand est l’un des derniers vestiges. La deuxième, survenue il y a quelques dizaines de milliers d’années, a formé l’île comme on la connaît aujourd’hui. Le volcan de la Dives, qui, avec ses 881 m, est le point culminant de l’île, a aussi vu le jour au cours de cette période. Cette apparition récente n’a pas encore laissé beaucoup de temps aux organismes pour évoluer et diverger. Malgré tout, le nombre d’espèces endémiques, qui seront évoquées dans cet article, est élevé pour un territoire si jeune et si restreint. Ainsi, on observe un taux d’endémisme de 24 % chez la flore vasculaire du district, qui s’élève à 33 % avec les espèces sub-endémiques. Une grande différence climatique existe entre le bas et le haut de l’île. La basse altitude, avec 14 °C de moyenne, se rapproche d’un climat subtropical, alors que la haute altitude, avec 7 °C de moyenne, se rapproche d’un climat subantarctique. Un milieu marin omniprésent Sur ce confetti perdu au milieu de l’océan, le milieu marin est omniprésent. Près des côtes, on retrouve des espèces qui, comme la langouste de Saint-Paul (Jasus paulensis), font la renommée du district. Cette espèce est également connue du complexe d’îles de Tristan Da Cunha dans l’Atlantique Sud. C’est au plus près de la côte que l’on peut observer le bovichtus (Bovichtus veneris), le seul poisson endémique de la zone néritique du district. Ce poisson se rencontre souvent posé sur les rochers de faible profondeur, dans la zone de déferlement des vagues. Il tient en place grâce à ses nageoires pectorales et pelviennes robustes qui lui permettent de s’accrocher aux fonds. Dans cette zone, où se trouvent de nombreuses espèces d’algues, il se fond dans le décor grâce à sa couleur mimétique. Parmi les 219 autres espèces qui composent l’ichtyofaune de l’île , on peut citer le bleu (Nemadactylus monodactylus), de loin le plus abondant des poissons côtiers, ou encore le Suezichtys ornatus, l’espèce la plus colorée. Ces deux dernières espèces sont aussi présentes dans l’archipel Tristan Da Cunha et sur les deux monts sous-marins, Walter et Vema Sea Mount, à mi-chemin entre les deux complexes d’îles et l’Afrique du Sud. Amsterdam est aussi presque entièrement entourée d’une ceinture de laminaires (Macrocystis pyrifera), la plus grande algue au monde, aussi appelée kelp, et qui compose cette barrière. Pour réussir à flotter et à atteindre la surface de l’eau, cette espèce s’est dotée de pneumatocystes en forme de poire. Les thalles servent de support à de minuscules (2 mm de diamètre) vers annélides polychètes (Spirorbis sp.), des vers tubicoles calcifiants. La barrière formée par cette forêt sous-marine empêche bien souvent les orques (Orcinus orca) de se rapprocher trop près des côtes. Des baleines bleues (Balaenoptera musculus), le plus grand animal sur Terre, et des baleines à bosse (Megaptera novaeangliae), se croisent parfois au large de l’île. On observe aussi régulièrement quelques espèces non nicheuses d’oiseaux marins comme le pétrel géant subantarctique (Macronectes halli), le pétrel à menton blanc (Pterodroma aequinoctialis), l’albatros hurleur (Diomedea exulans) ou encore l’albatros timide (Thalassarche cauta). Une grande diversité d’espèces en milieux terrestres de basse altitude Omniprésente sur le littoral de l’île, l’otarie à fourrure subantarctique (Arctocephalus tropicalis) est l’une des espèces emblématiques d’Amsterdam. Alors qu’elle était au bord de l’extinction au cours de la première moitié du siècle dernier sur Amsterdam, chassée pour sa fourrure, on compte aujourd’hui plus de 22 000 naissances par an. Parfois, elles sont accompagnées d’éléphants de mer du Sud (Mirounga leonina) venus muer ou se reposer. Sur ces milieux côtiers, souvent secs, on retrouve un cortège floristique typique dominé par deux espèces. La première, Poa novarae, est endémique du district ; la deuxième, la spartine (Sporobolus mobberleyanus), connue également à Tristan Da Cunha, est sub-endémique. Elle ressemble aux spartines de France métropolitaine mais elle est bien plus grande et n’est pas inféodée aux milieux humides. Au sud de l’île, près de la pointe Del Cano, (nommée ainsi en hommage au capitaine du bateau qui a découvert l’île), se sont formées les Terres rouges qui hébergent, en compagnie du céleri prostré (Apium prostratum), la grande majorité des populations de la sagine de Hooker (Sagina hookeri). Endémique stricte d’Amsterdam, cette espèce a été décrite en 2019 et nommée en hommage de Sir Joseph Dalton Hooker, l’un des premiers botanistes à avoir travaillé sur la flore de l’île. Comme sur la majeure partie de l’île Amsterdam, les falaises côtières sont colonisées par des couples de sternes subantarctiques (Sterna vittata). Leur population est estimée […]
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