L’euphorbe épurge : Une mamelle purgative aux vertus multiples

Le cyathe, inflorescence propre aux euphorbes, attirera les insectes pollinisateurs. Photo : Gérard Guillot

Dans notre flore, un bon nombre d’espèces en apparence indigènes ont été artificiellement introduites hors de leur aire originale parfois lointaine au cours des derniers siècles ou millénaires : on parle d’archéophytes, des plantes plus ou moins dépendantes des humains et de leurs activités, et donc souvent chargées d’une longue histoire de cohabitation et d’usages divers. L’euphorbe épurge (Euphorbia lathyris, encore appelée simplement épurge, herbe-aux-taupes, tithymale ou bien catapuce) en est un très bel exemple. Texte et photos : Gérard Guillot, professeur retraité de sciences de la vie et de la Terre Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 310, mai-juin 2018 Double vie Le cycle de vie de l’épurge s’étale sur deux années successives (plante bisannuelle). La première année, de la germination d’une graine naît une plantule à croissance rapide reconnaissable entre toutes à son port unique : une tige rougeâtre forte portant des feuilles opposées deux par deux et disposées sur deux rangs à angle droit ; si bien que vue de dessus, on dirait un tourniquet de sécurité ! La tige renferme du latex, une caractéristique des euphorbes. Les feuilles ovales allongées se distinguent par leur aspect cireux vert bleuté avec une seule nervure centrale. En automne apparaissent des bourgeons latéraux rougeâtres annonciateurs de la métamorphose à venir. La jeune plante passe l’hiver supportant les froids extrêmes et la neige. Au printemps suivant (deuxième année), elle se transforme complètement : la tige s’allonge et grossit ; les feuilles de la base tombent tandis que des rameaux latéraux se développent et se ramifient eux-mêmes en fourches de trois ou quatre branches. Ainsi en début d’été, l’épurge devient méconnaissable et ressemble alors à un buisson herbacé dont le volume principal se trouve dans la moitié supérieure. Coupes fleuries Dès la fin du printemps, la floraison commence avec d’étranges fausses fleurs qui correspondent en fait à des inflorescences très modifiées, des cyathes. Sur une sorte de coupe portant des glandes en croissant (qui produisent du nectar) jaunes s’élève une boule portée sur un court pédoncule et surmontée de trois « cornes » (stigmates) et autour des étamines simples qui produisent le pollen. La boule centrale est la fleur femelle (pistil) et chaque étamine correspond à une fleur mâle hyper réduite. Ces fleurs, sommaires en apparence, reçoivent les visites d’une foule d’insectes parmi lesquels des mouches, des guêpes mais aussi les abeilles domestiques. Au jardin, l’épurge est donc une bonne plante mellifère qui attirera des insectes pollinisateurs avides de nectar ! Après fécondation, le pistil des fleurs femelles grossit et devient une boule atteignant 2 cm de diamètre, en trois parties, très lisse en surface et spongieuse au toucher : c’est le fruit, une capsule, qui contient les graines. Tant qu’elle est verte, elle ressemble fortement à une câpre (le bouton floral du câprier) d’où le surnom anglais de caper spurge (épurge-câprier) ; mais attention, il ne faut surtout pas les consommer car toute la plante est très toxique. Dès juillet, les premiers fruits formés commencent à jaunir, signe de leur maturation. C’est le moment de les surveiller pour assister à un spectacle très particulier… Fruits explosifs Après avoir jauni, les capsules virent au brun vert tout en se desséchant et en prenant un aspect granuleux tandis que les cloisons qui séparent le fruit en trois deviennent plus visibles. Par une chaude journée d’été, en début d’après-midi en général, approchez-vous d’un pied d’épurge avec de telles capsules. Attendez un peu en silence : tôt ou tard, l’une d’elles va littéralement exploser dans un claquement sec mais audible, projetant au loin (quelques mètres au plus) les trois loges qui retombent autour montrant l’intérieur d’un blanc intense et faisant tomber les graines par la même occasion. Il ne reste plus après cet éclatement qu’un petit axe et trois cloisons. Par ce mode de dispersion des graines, la plante projette elle-même ses graines au loin, ce qui augmente les chances pour celles-ci d’atterrir dans un nouvel endroit à coloniser. Chaque graine, assez grosse (environ 5 mm), brune et rugueuse, porte en son sommet un appendice clair, une caroncule. Là réside une seconde arme secrète de l’épurge : cette excroissance riche en matières grasses attire les fourmis qui cherchent à s’en emparer pour l’emmener dans leur fourmilière comme nourriture pour leurs larves. Arrivées près de leur colonie, elles détachent la caroncule et déposent la graine près de l’entrée. Ainsi, les graines peuvent effectuer un second voyage un peu plus loin que le premier jet. Les graines enfouies dans le sol (par exemple quand vous bêchez votre jardin) se conservent très longtemps et forment une banque de graines, susceptibles de germer quand elles seront remises à la lumière à l’occasion d’autres travaux du sol. Ainsi, chaque année, si vous acceptez sa présence, l’épurge surgira de-ci de-là dans votre jardin au gré des pérégrinations de ses graines ! Mourir pour mieux renaître Dès début septembre, alors que tous les fruits ou presque ont fini progressivement par éclater, les feuilles commencent à jaunir et à sécher. Cette […]

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