Les tortues rayonnées de Madagascar : Une situation critique

Le motif de sa carapace – des rayons dorés sur fond noir – a valu à cette espèce son nom de tortue rayonnée, ou étoilée (Astrochelys radiata). Photo : Bernard Devaux

Fragilisées par les bouleversements de leur milieu naturel et victimes depuis plusieurs décennies d’un intense trafic, les tortues rayonnées de Madagascar sont aujourd’hui dans une situation alarmante. Parmi les initiatives menées pour leur sauvegarde, le Village des tortues est à la fois un lieu de sensibilisation du public et un refuge pour les animaux provenant de saisies. Son fondateur partage ici les réflexions issues de plus de 25 ans de rencontres et de travail de terrain. Texte et photos : Bernard Devaux, fondateur de la SOPTOM et des Villages des tortues Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 311, juillet-août 2018 Après l’éloignement du bloc indo-malgache du continent africain, il y a environ 120 millions d’années, puis la séparation du bloc indien, la « Grande île » de Madagascar est isolée depuis 80 millions d’années. Son peuplement faunique résulte de l’arrivée de divers groupes zoologiques qui y ont évolué de manière isolée, produisant de nombreuses espèces endémiques. C’est notamment le cas pour les tortues, aujourd’hui représentées par cinq espèces endémiques, dont quatre terrestres et une aquatique. Elles font l’objet de programmes de conservation, car leurs populations déclinent rapidement. Réduction de l’habitat Dans le sud de Madagascar vivent deux tortues à la morphologie et à l’écologie différentes, qui subissent la même pression anthropique. La plus grande, la tortue rayonnée (Astrochelys radiata), pèse 20 kg au maximum et mesure jusqu’à 45 cm. Elle est caractérisée par une carapace arrondie, dont la robe noire est marquée de nombreux rayons dorés partant de l’aréole (d’où son nom de « rayonnée » ou « étoilée »). Parce qu’elle vit sur un substrat sablonneux, son épiderme a l’apparence d’une peau souple couverte de fines écailles, donnant à ses membres un aspect « en chausson ». La seconde espèce du sud, la tortue-araignée (Pyxis arachnoides), ne dépasse pas 15 cm, et sa carapace, plus plate et légèrement bosselée, présente une couleur noire ornée de taches jaunes, qui dans le milieu caillouteux et xérophyte où elle vit, lui donne l’apparence d’une grosse araignée. Elle occupe un milieu plus restreint que la tortue étoilée, et se différencie en trois sous-espèces, qui sont dotées de plastrons plus ou moins mobiles. Ces tortues ont autrefois vécu sur un territoire plus vaste, constitué de forêts moins sèches. De nos jours, à cause de l’aridité générale et de la dégradation climatique et anthropique, elles occupent un milieu plus sec, peu végétalisé, qu’elles ne supportent que grâce à l’humidité de l’océan Indien. C’est sans doute pour cela qu’on ne les observe actuellement que sur une bande côtière de 80 km de large. Cinq tortues endémiques et très menacées • Astrochelys yniphora, la tortue à soc (angonoka, en malgache), ne survit plus que dans la baie de Baly (environ 400 individus). Un élevage conservatoire, à Ampijoroa, mené par la Fondation Durrell, en abrite également plusieurs centaines. Pesant environ 10 kg, elle est très recherchée par les trafiquants. • Astrochelys radiata, la tortue rayonnée (sokake), compte des populations encore importantes dans le grand Sud, vers Tsiombe, mais subit une forte pression de ramassage. • Pyxis planicauda, la tortue à queue plate (kapidolo) compte une petite population près de Morondava. La région isolée la préserve des ramassages, et elle est peu recherchée par les trafiquants. Mais elle devrait être surveillée et faire l’objet de programmes de conservation. • Pyxis arachnoides, la tortue araignée (kapila), compte trois sous-espèces de Morombe à Tsiombe, au plastron plus ou moins mobile. C’est la plus petite des cinq espèces (15 cm). Elle est peu collectée, mais ses habitats se dégradent fortement. • Erymnochelys madagascariensis (réré), la seule du sous-ordre des pleurodires et la seule tortue aquatique malgache, peut atteindre 12 kg. Des populations moyennes se trouvent dans le centre de l’île. Menacée par la pêche et par la dégradation des lacs et cours d’eau, elle n’est toutefois pas braconnée. Elle est élevée à Ampijoroa pour des repeuplements. Charbon de bois et figuier de Barbarie L’installation successive de peuples venus d’Asie du Sud-Est autour du VIIIe siècle et d’Afrique du Sud autour du XIIe siècle modifia profondément l’écologie de toute l’île. Ce mélange ethnique contrasté composa une mosaïque culturelle, linguistique et sociale complexe encore sensible aujourd’hui, qui peut expliquer en partie la destinée singulière des tortues. Pour satisfaire les besoins en charbon de bois, principale source d’énergie locale pour les populations rurales, multipliés par une démographie croissante, tout le sud de Madagascar se trouva désertifié, ce qui augmenta l’aridité de cette région. Aujourd’hui, il ne reste qu’un substrat stérile. À la saison des pluies, il est emporté par l’érosion, laissant un sol latéritique, ce qui explique le surnom de Madagascar : l’île rouge. Un autre événement bouleversa l’écologie des tortues du sud de l’île : l’introduction, par les colons européens, d’une plante venue d’Amérique via le Moyen-Orient, le figuier de Barbarie (Opuntia spp.). Ce cactus se multiplia rapidement dans les conditions idéales du bush malgache. Toute la forêt sèche sub-aride de Madagascar, déjà privée de ses fourrés épineux, fut en quelques décennies envahie par les figuiers de Barbarie répandus par les paysans locaux. Cette introduction provoqua deux effets contradictoires pour les tortues. Pour créer des enclos destinés aux chèvres, moutons et zébus, les paysans plantent des boutures d’Opuntia, qui forment rapidement une haie vive. Ces barrières épineuses ont l’inconvénient de morceler l’habitat, et d’isoler totalement des parcelles, qui deviennent des surfaces dégradées, dépourvues de toute vie animale en dehors du cheptel. Après le charbon de bois, les Opuntia ont donc contribué à l’appauvrisse- ment des sols et des biotopes, qui ne permettent plus aux tortues de s’alimenter. Toutefois, les tortues étoilées, en l’absence de végétaux indigènes, se rabattent sur cette nouvelle plante importée. Plusieurs observations semblent indiquer qu’elles y trouvent de nombreux avantages. Elles s’y cachent et se protègent sous ses ombrages, et y trouvent une certaine humidité ; elles en dévorent goulûment les figues riches en sucre, eau et sels minéraux ; et elles tirent des épaisses feuilles (les raquettes) une alimentation riche en fibres, mais surtout en eau. Aujourd’hui, les populations résiduelles, surtout entre Itampolo et Tsiombe, en sont grandes consommatrices. Ainsi, la présence des figuiers de Barbarie dans le Sud provoque un morcellement et un appauvrissement des milieux naturels, mais fournit également aux tortues des abris et de la nourriture. Les densités maximales de tortues étoilées se retrouvent toujours dans les lieux où ces plantes sont nombreuses. Fady ou pas fady ? Il y a un siècle et demi, les deux espèces de tortues étaient extrêmement abondantes ; localement des densités de 50 individus à l’hectare ont été observées. Elles bénéficiaient du statut […]

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