Les toitures végétalisées, quels bénéfices pour le vivant et la ville ?
Texte : Marc Barra, écologue, Hemminki Johan, naturaliste, chargés d’études à l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France, Institut Paris Région Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 329, juillet-août 2021
Alors que leur existence remonte à plusieurs milliers d’années, les toitures végétalisées font l’objet d’un regain d’intérêt et intriguent les naturalistes. Certains y voient de l’écoblanchiment, d’autres une solution pour rendre les bâtiments plus hospitaliers au vivant. Avec l’essor des politiques de nature en ville, le développement des toitures végétalisées s’est en effet accéléré depuis les années 2000. De multiples avantages écologiques leur sont généralement attribués, qu’il s’agisse de l’accueil de la biodiversité, de la rétention en eau ou du rafraichissement urbain. Sont-ils vérifiés dans la réalité ? Entre 2017 et 2019, dans le cadre de l’étude Green Roofs Verified Ecosystem Services (Grooves) [1], l’équipe de l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France et ses partenaires se sont intéressés à 36 toitures sur le périmètre du Grand Paris afin d’en recenser la flore, la faune (dont les pollinisateurs), les mycorhizes (champignons) et les bactéries du sol, et d’ana- lyser d’autres fonctions écologiques (rafraîchissement, rétention en eau, etc.).
Une flore diversifiée favorable aux insectes
Le bilan de ces travaux est clair : il y a bien de la vie sur les toits ! Ces milieux originaux peuvent servir d’habitats de substitution ou de refuges complémentaires aux autres espaces verts urbains. Du côté de la flore, environ 400 espèces de plantes ont été observées sur les 36 toitures étudiées. Parmi les plus fréquentes, on note les orpins (Sedum sp.), souvent utilisés dans la végétalisation des toitures. Des espèces rares ont également été observées, comme l’ornithope comprimé (Ornithopus compressus). Fait marquant, près de 70 % des plantes relevées dans le cadre du protocole Vigie-Flore se sont installées sur ces toitures de manière spontanée, transportées par le vent ou la faune !
Du côté de la faune, on dénombre 611 espèces d’invertébrés, majoritairement des coléoptères, des hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis) et des hémiptères (punaises, cicadelles). Les toitures abritent en moyenne une diversité de pollinisateurs moindre que celle des espaces verts au sol, mais équivalente en ce qui concerne les plantes à celle rencontrée dans les friches et les parcs urbains. Cette diversité est cependant très variable selon les toits : les toitures avec un substrat essentiellement minéral et/ou de faible épaisseur (un substrat de 5 à 15 cm de profondeur correspond aux toitures dites extensives), abritent une biodiversité moins riche que les toitures qui bénéficient d’un substrat plus profond (toitures semi-intensives, entre 15 et 30 cm de substrat, et intensives, plus de 30 cm de substrat). Certains paramètres de conception font varier la biodiversité, comme la qualité du substrat et sa profondeur, ainsi que la hauteur du bâtiment. La richesse floristique augmente avec l’épaisseur du substrat jusqu’à 25 cm d’épaisseur, tandis que la diversité des pollinisateurs continue d’augmenter au-delà de ce seuil.
Bien que moins diverses en espèces, les toitures extensives et les toitures non plantées (unique- ment colonisées par la végétation spontanée, dites toitures wildroof) n’en demeurent pas moins intéressantes : elles présentent une composition particulière qui ne ressemble à rien d’autre en ville. On y observe des assemblages originaux d’espèces de pelouses sèches sableuses et de plantes d’origine méditerranéenne. En comparant les espèces d’invertébrés les plus présentes sur les toitures avec celles des milieux urbains franciliens, on peut distinguer des espèces « toiturophiles », comme la thomise rayée (Runcinia grammica), des généralistes comme le gendarme (Pyrrhocoris apterus) et enfin des « toiturophobes » comme la pisaure admirable (Pisaura mirabilis).
D’autres avantages écologiques ?
Au-delà de la biodiversité, trois fonctions écologiques ont été analysées : la rétention en eau, le rafraichissement et la qualité des substrats. La rétention en eau est assurée de manière très variable selon les toitures en fonction du type de substrat, sa profondeur et sa granulométrie. Selon ces critères, les toitures sont susceptibles de limiter la surcharge des réseaux d’eaux pluviales en retardant l’afflux lors de précipitations. Cependant, dans le cas d’évènements extrêmes, comme une pluie décennale (forte pluie ayant lieu en moyenne tous les 10 ans), tous les modes de conception ne sont pas aussi performants et certaines toitures sont rapidement saturées. Seules 5 des 26 toitures étudiées à l’aide d’un modèle du Cerema sont en mesure de réguler une pluie décennale moyenne de 48 mm en quatre heures. Ces toitures ont des substrats de type « terres agricoles » et s’approchent de 30 cm de profondeur. En ce qui concerne le potentiel de rafraichissement, l’évapotranspiration des végétaux a été évaluée par le Cerema sur 14 toitures. Seulement 6 sur les 14 étudiées assurent suffisamment d’évapotranspiration pour rafraîchir la surface de la toiture, mais pas nécessairement au-delà ; l’apport des toitures végétalisées au rafraîchissement urbain est donc limité. De façon générale, on ne peut pas attendre des toitures végétalisées qu’elles délivrent tous les bénéfices en même temps. Néanmoins, il est possible de les concevoir et de les gérer afin d’optimiser certaines de ces fonctions, selon le secteur où l’on se trouve ou les objectifs fixés par la collectivité.
Enfin, les modes de conception des toitures végétalisées s’appuient trop souvent sur de nombreux composants artificiels (bacs plastiques, géotextiles non biodégradables, filets en plastique, systèmes d’arrosage), dont l’utilité est discutable. Le mode de conditionnement des végétaux n’échappe pas non plus à des logiques industrielles tendant à standardiser des produits pour leur commercialisation (végétaux conditionnés en caissettes ou tapis pré-cultivés). De nouveaux modes de conception inspirés du génie écologique pourraient être imaginés : création de pelouses sèches, de prairies et de milieux sablonneux, implantation de graines sauvages prélevées à proximité… Enfin, les toitures wildroof ne nécessitent, quant à elles, aucune plantation : la végétation y pousse spontanément, au gré du transport des graines par le vent ou la faune.
Les résultats de l’étude ouvrent de nouvelles perspectives de recherche et dégagent quelques tendances et préconisations pour les concepteurs et les gestionnaires de futures toitures végétalisées. Toutefois, l’effet de mode entourant la végétalisation du bâti ne doit pas servir de « caution verte » à des projets d’aménagement contribuant à l’artificialisation des sols. Leur mise en œuvre n’est acceptable qu’en complément d’une politique de sobriété foncière, de protection des espaces de pleine terre et de reconquête de la nature à toutes les échelles.
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