Les membracides : Des insectes bien chapeautés
Les membracides forment une surprenante famille d’insectes appartenant à l’ordre des hémiptères. Leur principale caractéristique est une excroissance, souvent hyper-développée, au niveau du thorax. Communément appelée « casque », elle se décline en une incroyable variété de formes en fonction des espèces. Bosselée, épineuse, lancéolée, foliacée, biscornue : il y en a pour tous les goûts ! Les connaissances sont cependant bien lacunaires encore sur ces petits insectes, et des recherches sont en cours en Guyane. Texte et photos : Jérémie Lapèze, entomologiste, membre de la Société entomologique Antilles-Guyane Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 317, juillet-août 2019 De petite taille – 2 à 25 mm –, les membracides sont, comme leurs proches cousines les cicadelles et les cigales, munis d’un appareil buccal de type piqueur-suceur pour se nourrir de la sève des végétaux. Dotés de six pattes – cela va de soi, ce sont des insectes ! – ils portent également deux paires d’ailes. Le haut de leur tête, appelé le vertex, est orienté vers l’avant, à la différence des cicadelles qui ont le vertex orienté vers le haut. La tête porte deux yeux et deux ocelles. Ces derniers sont des yeux simplifiés qui se présentent comme de petites plaques circulaires, leur permettant de capter différents éléments environnementaux (luminosité, mouvement, orientation, etc.). Deux antennes, très courtes et formées de trois articles, sont situées sous les yeux dans les cavités nasales. Leur cycle biologique se décompose en trois étapes : œuf, larve et adulte. Comme chez tous les arthropodes, l’état larvaire est lui-même divisé en plusieurs stades entre lesquels l’insecte mue afin de permettre le développement de son exosquelette. Historique et étymologie Le premier membracide a été décrit en 1758 par Carl von Linné sous le nom de Cicada foliata. En 1775, Johan Christian Fabricius les différencie des cicadelles en créant le genre Membracis. Enfin, en 1815, Constantine Samuel Rafinesque crée la sous-famille des Membracidia pour regrouper les genres ayant un thorax hyper-développé, taxon qui sera plus tard élevé au rang de famille, les membracidés. Le nom « membracide » dérive du latin membranaceus qui signifie « formé d’une membrane », en raison des appendices extravagants que cette famille arbore. La littérature du XIXe siècle considérait « membracide » comme un nom féminin, puis il s’est masculinisé durant le XXe siècle. Le terme aujourd’hui obsolète de « membraciens » fut également usité pour nommer cette famille. Une bien étrange coiffe Le casque, parfois compact, peut recouvrir l’ensemble du thorax et de l’abdomen comme une carapace, rappelant le blindage de certains coléoptères. Pour la majorité des espèces, il est évident que ce casque assure une fonction de camouflage en imitant des éléments naturels : feuille, stipule, brindille, lichen… Certains ressemblent à des crottes de chenille ou à des fientes d’oiseau. D’autres, plutôt que de miser sur la discrétion, ont joué la carte de l’intimidation – qui s’y frotte s’y pique – grâce à un casque épineux et pointu, imitant une guêpe ou une fourmi. De quoi dissuader la plupart des prédateurs ! Si pour ces espèces l’utilité du casque à des fins de camouflage ou de défense saute aux yeux, d’autres arborent un casque aux formes plus énigmatiques. Son rôle demeure incertain et laisse place à plusieurs hypothèses : fonction dans la communication ? Signal aposématique (indiquant une toxicité) ? Simple produit aléatoire de la dérive génétique ? Le casque ne semble en tout cas jouer aucun rôle dans le choix d’un partenaire sexuel, du moins aucune étude ou observation n’a pu mettre cela en avant. Cela serait d’ailleurs surprenant car le dimorphisme sexuel est peu marqué dans cette famille : la femelle est semblable au mâle mais légèrement plus grande. Quelques exceptions chez les genres Heteronotus, Cladonota et Lycoderides, où la femelle est mieux ornée, avec des épines plus développées, des cornes plus saillantes, ou une protubérance plus lancéolée. Globalement, la variation intra-spécifique est elle aussi réduite : tous les individus d’une même espèce ont la même taille et la même coloration. Seules quelques espèces de la tribu des Tragopini, des Membracini ou des Amastrini peuvent se vanter d’avoir une large gamme de coloris et de motifs. Ces espèces polymorphes sont d’ailleurs à l’origine de nombreuses confusions chez les taxonomistes qui ont parfois attribué par mégarde plusieurs noms à une même espèce. Toujours occultés par leurs camarades si bien coiffés, les membracides du genre Tolania ou Abelus passent souvent incognito dans les articles car rarement choisis pour représenter leur famille. Chez ces genres, le casque est très peu développé, ce qui leur donne des airs de petites cigales. Une multitude d’espèces Alambiqués, dantesques, abracadabrants, fabuleux, invraisemblables, le nombre d’adjectifs pour qualifier les membracides n’est pas à la hauteur de leur formidable diversité. À […]
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