Les mangroves : Écosystème extraordinaire et enjeux capitaux
Présentes sur plus de 70 % des côtes tropicales mondiales, les mangroves représentent l’un des plus importants écosystèmes de notre planète. La température et la salinité de l’eau de mer déterminent la distribution de ces forêts marécageuses aux caractéristiques exceptionnelles, qui remplissent des services écosystémiques essentiels… et voient peser sur elles de nombreuses menaces. Texte : Alain Pibot, Conservatoire du littoral, et Anne Caillaud, Comité français de l’UICN Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 311, juillet-août 2018 La mangrove est définie comme un écosystème forestier constitué d’arbustes, d’arbres et de palmiers, tous réunis sous l’appellation générique de palétuviers. Cette formation se développe sur les rivages abrités, sur les sols meubles, salés, pauvres en oxygène, situés dans la zone intertidale (zone de balancement des marées) des régions où la température moyenne de l’eau de mer du mois le plus froid est supérieure à 20 °C. On retrouve ainsi les mangroves sur à peu près toutes les côtes sablo-vaseuses des zones tropicales et intertropicales. Elles couvriraient quelques 181 399 km² de surface . L’Indonésie compte à elle seule 23 % des mangroves du monde. La Guyane, la Nouvelle-Calédonie, ou encore Mayotte, entre autres, abritent d’importantes surfaces de cet écosystème exceptionnel. Les palétuviers : des adaptations exceptionnelles Il a fallu des millions d’années d’évolution pour que les palétuviers développent d’ingénieuses adaptations pour survivre là où ni les espèces marines, à cause de la gravité, ni les espèces terrestres, à cause de la salinité, ne pouvaient se développer. En effet, alors que le sel est un poison pour l’essentiel du monde végétal, eux vivent en pleine eau salée ! Alors que la plupart des arbres respirent par leurs racines, eux poussent dans un sol sans air. Comment se dresser solidement sur un sol boueux sans tomber au premier coup de vent, comment se reproduire sur des sols couverts d’eau ? Comment les palétuviers se sont-ils adaptés aux conditions extrêmes de cet espace entre terre et mer ? Un sol meuble et instable Si les arbres des forêts marécageuses ont des contreforts impressionnants, les palétuviers ont quant à eux développé des racines échasses et des racines traçantes très spécifiques. Ces organes leur confèrent une stabilité et une forte résistance, éprouvées lors des cyclones. Les marins ne s’y trompent pas, qui y abritent leurs embarcations. Les arbres du genre Rhizophora, par exemple, projettent des racines adventives depuis leur tronc et leurs branches tout autour de l’arbre, offrant parfois ainsi des centaines de pieds d’ancrage au plant. D’autres genres développent des racines traçantes se déployant tout autour de l’arbre, parfois sur plus de 40 m de rayon, constituant une assise inébranlable. Un milieu salé Pour faire face à la salure des eaux et des sols, les palétuviers ont adopté deux types de stratégies : l’exclusion et l’excrétion. La plupart des palétuviers filtrent l’eau et peuvent ainsi exclure jusqu’à 90 % du sel marin par un mécanisme osmotique actif. Les Avicennia, quant à eux, absorbent l’eau salée mais excrètent le sel excédentaire, toxique, grâce à des glandes situées dans leurs feuilles. On voit couramment le sel cristallisé sur les feuilles en saison sèche. Enfin, l’accumulation du sel résiduel dans des feuilles sénescentes permet de finaliser son épuration lors de la chute régulière des plus vieilles feuilles. Un sol sans oxygène La plupart des arbres respirent par leurs feuilles et par leurs racines. Si les palétuviers vivent les pieds dans l’eau, ils doivent pour autant en limiter la consommation car elle est chargée en sel dont ils doivent se préserver. Ils limitent donc leur transpiration pour abaisser leurs besoins en eau et se comportent alors comme des plantes de zones arides. Ainsi, les Lumnitzera ont développé des feuilles crassulescentes (feuilles charnues servant de réserve d’eau), tandis que celles des Avicennia sont couvertes de pubescences (duvet de poils fins) limitant l’évaporation, et celles des Rhizophoracées de cire. La respiration par les feuilles s’en trouve donc nettement diminuée. La respiration par les racines est, quant à elle, rendue difficile dans un sol saturé d’eau et généralement très pauvre en oxygène. Les palétuviers ont donc développé des racines aériennes. L’adaptation la plus étonnante est le développement de pneumatophores, racines sortant du sol à la verticale, à la manière du tuba des plongeurs, pour venir respirer au-dessus du sol noyé. Les racines aériennes des palétuviers sont également couvertes de lenticelles (cellules spécialisées dans les échanges gazeux) très efficaces qui aspirent l’air à marée basse, le stockent et le diffusent ensuite dans des tissus spécialisés, appelés aérenchymes. Au niveau des racines souterraines, ces aérenchymes créent une zone d’oxydation des métaux allant, dans les sols très chargés en métaux comme en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, jusqu’à la formation de véritables tubes métalliques essentiellement constitués de fer et de manganèse. Instabilité marine Ce sont assurément les adaptations à l’environnement physique marin qui sont les plus originales. Les palétuviers ont en effet acquis la capacité de faire germer leurs graines alors qu’elles sont encore dans le fruit, directement sur l’arbre. Appelée viviparité par analogie avec la stratégie de reproduction animale caractérisée par le développement embryonnaire du jeune à l’intérieur de sa mère, cette caractéristique est très rare dans le règne végétal. Chez les Rhizophoracées, par exemple, la jeune plantule germe sur l’arbre-mère, et une grosse radicule de 30 à 50 cm se développe. Le jeune plant ainsi équipé tombe, et si la marée est basse, il peut se planter dans la vase directement sous le plant mère. Si la marée est haute, la plantule (appelée propagule) tombée à l’eau flotte par son bourgeon feuillé puis est transportée par les courants (hydrochorie) jusqu’à trouver la station idéale de plantation. Dès que sa racine touche un substrat, des racines à la croissance particulièrement rapide ancrent en quelques heures ce jeune palétuvier sur son nouvel habitat. Mais ce n’est pas tout : devant tant d’incertitude sur les stations d’accueil, il est primordial de pouvoir rapidement et abondamment se reproduire. Une stratégie de conservation complémentaire s’est mise en place, la néoténie, c’est-à-dire la précocité sexuelle. Les Avicennia germinans de Guyane, par exemple, fleurissent et fructifient après seulement quelques mois de vie, un record chez les arbres. Sur les […]
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