Les manchots : Face aux pêcheries et aux changements climatiques

Colonie de manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) sur la banquise antarctique. Photo : Céline Le Bohec

Après un déclin brutal lié à la chasse durant le XIXe siècle, les manchots ont, contrairement à beaucoup d’autres espèces animales, échappé à l’exploitation massive au XXe siècle. Néanmoins, ils subissent aujourd’hui les conséquences des activités humaines : certaines espèces sont en concurrence avec les pêcheries pour l’accès aux ressources alimentaires, tandis que les impacts des changements climatiques sur les océans contrarient leur cycle de vie. Texte : Michel Gauthier-Clerc, directeur du parc zoologique de La Garenne, Le Vaud, Suisse, chercheur associé au département Chrono-environnement, université de Franche-Comté, Besançon Photos : Laurent Demongin, David Gremillet, Céline Le Bohec Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 324, septembre-octobre 2020 Les manchots jouissent de nos jours d’une importante popularité parmi le grand public. Ils sont même devenus des personnages de dessins animés et une attraction touristique, que ce soit en Australie, aux Galápagos ou dans la péninsule antarctique. Les manchots ont aussi fasciné beaucoup d’équipes scientifiques. Cet intérêt est venu notamment de leurs capacités à vivre dans des lieux que les humains ne peuvent coloniser sans une logistique et des techniques avancées. Ces oiseaux présentent en effet une impressionnante panoplie d’adaptations qui défient nombre des limites physiologiques connues : la plongée, le jeûne, la résistance au froid… L’admiration et la bienveillance humaines vis-à-vis des manchots sont cependant récentes. Comme pour de nombreuses espèces de vertébrés dans le monde entier, le prélèvement direct et sans limite fut la principale cause d’un déclin rapide des manchots durant le XIXe siècle. Si la destruction par la chasse reste de nos jours une des causes majeures de l’extinction ou du déclin d’espèces animales dans le monde, les manchots furent assez rapidement épargnés dans la plupart des pays. À partir de la deuxième partie du XXe siècle, il n’existait quasiment plus de prélèvements ni d’adultes ni d’œufs (en Tasmanie, les manchots pygmées Eudyptula minor étaient toutefois encore souvent utilisés dans les années 1960 comme appâts pour capturer des langoustes). Cette absence d’exploitation massive au XXe siècle est à relever, car elle n’a pas été la norme pour la majorité des vertébrés, terrestres ou marins. Plusieurs facteurs se sont probablement conjugués. Les manchots ont d’une part bénéficié de leur popularité. D’autre part, la chasse des mammifères marins comme les baleines fournis- sait beaucoup plus rapidement des ressources rentables. Enfin, les grandes populations de manchots subantarctiques et antarctiques étaient éloignées des populations humaines et entraient peu en compétition avec les pêcheries intensives qui vidaient des océans plus accessibles. Colonisation humaine des îles Avant le XXe siècle toutefois, la rencontre entre les humains et les manchots a malheureusement été brutale pour ces derniers. Si les îles polynésiennes furent colonisées par les humains il y a 3 500 ans, la Nouvelle-Zélande fut découverte plus tardivement, entre les années 1050 et 1350, par le peuple maori. Sa colonisation entraîna une perte massive de la biodiversité locale. Les Maoris ne se reportèrent sur les poissons que lorsque les espèces exploitées à terre – comme les manchots et les otaries – furent en trop faibles effectifs, après deux siècles d’exploitation. Les données fossiles suggèrent que les manchots étaient nettement plus répandus avant l’arrivée des humains en Nouvelle-Zélande qu’ils ne le sont actuellement. Le manchot de Waitaha (Megadyptes waitahai), dont les restes fossiles n’ont été découverts qu’en 2008, s’est éteint à la fin du XVe siècle, très probablement victime de la chasse. Le manchot à œil jaune (Megadyptes antipodes) a également été exterminé de Nouvelle-Zélande, mais il a pu la recoloniser par la suite depuis des populations situées dans les îles subantarctiques restées à l’abri des humains. Les îles Chatham, à 800 km à l’est de la Nouvelle-Zélande, furent colonisées par les Maoris autour des années 1500 ; il s’ensuivit l’extinction rapide de deux espèces de manchots : le gorfou de Chatham (Eudyptes warhami) et une sous-espèce du manchot à œil jaune (Megadyptes antipodes richdalei). Plusieurs espèces Certaines distinctions en espèces sont encore en débat mais on considère qu’il existe de nos jours 19 espèces de manchots, appartenant à six genres. Deux espèces se sont éteintes récemment, le manchot de Waitaha (Megadyptes waitaha), disparu au XVe siècle, et le gorfou de Chatham (Eudyptes warhami), au XVIe siècle. Une cinquantaine d’autres espèces éteintes ont été découvertes grâce à des restes fossiles. La séparation entre la branche qui donnera les grands voiliers marins comme les albatros et les puffins et celle qui donnera les manchots date d’il y a 70 à 65 millions d’années. Les manchots ont perdu la capacité de vol au profit d’une optimisation de la nage sous l’eau. Leurs plus vieux fossiles datent d’il y a 62 à 60 millions d’années, dans des climats subtropicaux, et appartenaient à des espèces géantes qui pouvaient atteindre la taille humaine. L’exploitation intensive Les zones antarctiques et subantarctiques furent découvertes beaucoup plus tardivement, principalement lors des grandes explorations des XVIIIe et XIXe siècles pour la conquête de nouvelles terres ainsi que pour l’exploitation baleinière. Les éclairages urbains américains et européens étaient très consommateurs en huile provenant des baleines, ainsi que des phoques, des otaries et des manchots. L’Île Macquarie, entre la Nouvelle- Zélande et l’Antarctique, fut découverte en 1810. Tour à tour, otaries, éléphants de mer, manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) puis gorfous de Schlegel (Eudyptes schlegeli) en furent exterminés pour l’huile. Avant 1810, il existait sur l’île Macquarie deux très grandes colonies de manchots royaux. En 1894, il n’en restait plus que 3 400 individus, dans une seule colonie. En Afrique du Sud, les manchots du Cap (Spheniscus demersus) furent utilisés comme source de viande, d’huile pour l’éclairage ou encore de carburant dans les chaudières des bateaux. Près de 50 % des œufs de manchot du Cap étaient prélevés à la fin du XIXe siècle pour être consommés. Des estimations donnent des chiffres de plus de 800 000 œufs collectés en 1899 et 750 000 en 1905. Manchot ou pingouin ? Le terme manchot désigne les oiseaux de la famille des sphéniscidés, dont toutes les espèces habitent l’hémisphère sud et aucune ne vole. Le terme pingouin désigne quant à lui certains oiseaux de la famille des alcidés, qui inclue des espèces comme les mergules, les guillemots et les macareux. Une seule espèce d’alcidé porte encore le nom de pingouin, le pingouin torda (Alca torda). Les espèces encore vivantes de nos jours sont toutes volantes. La confusion fréquente entre les deux termes vient d’un alcidé désormais […]

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