Les iguanes des Petites Antilles

L’iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima), une des espèces endémiques des Petites Antilles. La population de la Désirade présente une particularité comportementale : le redressement de la queue lors de certaines interactions sociales. Photo : Michel Breuil

Les espèces endémiques sur le déclin Les iguanes du genre Iguana sont les plus grands lézards végétariens. Ils sont un élément clef des écosystèmes tropicaux insulaires, notamment par la pression qu’ils exercent sur la végétation, mais aussi en assurant la dispersion des graines. Dans les Petites Antilles, trois espèces endémiques, l’iguane des Petites Antilles, l’iguane mélanoderme et l’iguane insulaire, voient leur survie menacée par la destruction de l’habitat mais surtout par la compétition et l’hybridation avec d’autres espèces d’iguanes, d’origine continentale. Texte : Michel Breuil, docteur en génétique, herpétologue, Iguana Specialist Group Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 326, janvier-février 2021 Transportés par des radeaux de végétation issus des continents, les lézards et les serpents ont atteint et peuplé toutes les îles des Caraïbes depuis leurs formations au début du Tertiaire. Ils s’y sont ensuite différenciés en de très nombreuses espèces, contribuant à faire de cette région l’un des points chauds de la biodiversité mondiale. Chaque île caraïbéenne possède ainsi aujourd’hui ses propres espèces de lézards endémiques. Toutefois, en ce qui concerne les iguanes, l’archipel des Petites Antilles, situé entre l’Amérique du Sud et les Grandes Antilles, semblait échapper en partie à cette tendance. Jusqu’à récemment, seules deux espèces d’iguanes y étaient reconnues, l’iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima) endémique des Petites Antilles et l’iguane commun (Iguana iguana) habitant aussi l’Amérique centrale et une grande partie de l’Amérique du Sud. De nouvelles espèces distinguées grâce aux variations morphologiques et génétiques Des travaux récents, menés selon une approche pluridisciplinaire mêlant morphologie, anatomie et génétique, sans oublier l’archéozoologie et l’approche historique qui donnent un cadre chronologique, géographique et culturel, amènent à reconsidérer la nature et l’origine des différentes populations d’iguane commun dans les Petites Antilles ainsi que leurs relations avec les différentes lignées d’iguanes continentaux. Tout d’abord, les caractérisations morphologiques et génétiques des différents iguanes présents dans les Petites Antilles ont permis de différencier clairement I. delicatissima des autres espèces. I. delicatissima présente une queue unie, tandis que toutes les autres lignées du genre Iguana sont dotées d’une queue annelée de noir. De la même manière, I. delicatissima est dépourvu de la grosse écaille subcirculaire sous le tympan que possèdent les autres lignées. Par ailleurs, les données génétiques et morphologiques ont également conduit à différencier les populations d’I. iguana à queue annelée présentes dans les Petites Antilles par rapport aux populations continentales. En 2019 et 2020, ces différentes populations antillaises d’iguanes à queue annelée ont donc été reconnues comme de nouvelles espèces pour montrer leurs originalités et leurs différences par rapport aux iguanes communs continentaux. Les Petites Antilles comptent donc aujourd’hui trois espèces endémiques d’iguanes : l’iguane des Petites Antilles (I. delicatissima) déjà connu, l’iguane insulaire et l’iguane mélanoderme. La description de ces deux nouvelles espèces a également amené à revoir le statut taxonomique des iguanes à queue rayée continentaux. En effet, une espèce continentale avait été décrite dès le XIXe siècle : l’iguane rhinolophe (Iguana rhinolopha) d’Amérique centrale, se différenciant de l’iguane commun par la présence de cornes sur le museau. Faute d’une bonne compréhension de la variabilité morphologique observée chez tous ces iguanes à queue annelée, l’iguane rhinolophe n’avait ensuite plus été reconnu en tant qu’espèce distincte. Finalement, les données génétiques et morphologiques ont montré que l’iguane rhinolophe se différencie parfaitement de l’iguane commun du nord de l’Amérique du Sud ; ces deux iguanes à queue annelée continentaux forment bien deux espèces parfaitement identifiables. Enfin, les îles d’Aruba, Bonaire et Curaçao, au nord-ouest du Venezuela, et le nord-ouest des Andes colombienne et équatorienne sont aussi peuplés par des iguanes à queue annelée appartenant à des lignées génétiques parfaitement individualisées mais qui n’ont pas encore été décrites en tant qu’espèce distincte. Deux nouvelles espèces d’iguanes endémiques dans les Petites Antilles Les iguanes du sud des Petites Antilles Iounalao est le nom caraïbe de l’île de Sainte-Lucie, Iouanacaera celui de la Martinique. Ces deux appellations signifient respectivement « le lieu où vivent des iguanes » et « l’île aux iguanes ». Les iguanes de Sainte-Lucie se caractérisent par une association unique de caractères : de nombreuses cornes nasales médianes et latérales, l’écaille située sous le tympan (écaille subtympanique) de petite taille, et chez les individus âgés, un corps et une queue vert-gris clair rayé de noir, et un fanon noir. Plus au sud, l’archipel des Grenadines est peuplé par des iguanes présentant le même type d’écaillure que ceux de Sainte-Lucie, mais leurs rayures corporelles noires disparaissent avec l’âge, le corps et le fanon deviennent très clairs, ocre pâle voire quasiment blanc sale. Les données génétiques montrent que ces deux ensembles de populations ne ressemblent à aucun autre. Ces iguanes à queue annelée du sud des Petites Antilles ont donc été décrits comme une nouvelle espèce : l’iguane insulaire (Iguana insularis), en référence aux très nombreuses îles qu’elle habite, avec deux sous-espèces, l’iguane insulaire des Grenadines (I. insularis insularis) et l’iguane insulaire de Sainte-Lucie (I. insularis sanctaluciae). Les iguanes mélaniques du nord des Petites Antilles L’île de Saba, un volcan en sommeil, et l’île de Montserrat, ravagée par des éruptions volcaniques depuis 1995, abritent également des iguanes. Ils se caractérisent par une couleur noire qui, avec l’âge, envahit tout le corps, y compris le fanon. Ils possèdent une tache noire entre l’œil et la narine, de nombreuses et grosses écailles coniques sur la nuque et une écaille subtympanique de grande taille. Ce mélanisme se rencontre aussi sur les iguanes des îles côtières du Venezuela et sur ceux de quelques îles des Grandes Antilles et des îles Vierges. En référence à sa coloration, cet iguane à queue annelée a été appelé l’iguane mélanoderme (Iguana melanoderma). Sa répartition discontinue correspond probablement à des transports anciens par les Amérindiens. Les iguanes continentaux : des espèces exotiques envahissantes dans les Petites Antilles Les deux espèces originaires du continent, l’iguane commun et l’iguane rhinolophe, ne sont pas arrivées de manière naturelle dans les Petites Antilles, mais y ont été introduites à la suite de l’implantation des Européens dans le Nouveau Monde. Au milieu du XIXe siècle, des Iguana iguana originaires de Guyane française sont arrivés aux Saintes, puis dans le sud de la Guadeloupe (Basse-Terre) à la […]

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