Les étangs de Provence sous surveillance

Le cténaire Mnemiopsis leidyi est un petit organisme gélatineux qui se répand depuis 2005 sur les côtes méditerranéennes françaises. Photo : Guillaume Marchessaux

Du zooplancton envahit cet écosystème fragile Mnemiopsis leidyi ou noix de mer est un organisme gélatineux de quelques centimètres originaire des côtes américaines. Arrivé accidentellement sur le littoral méditerranéen, ses fortes capacités de reproduction, sa croissance rapide et son adaptabilité incroyable lui ont permis de s’y implanter avec succès. Son invasion, favorisée par l’eutrophisation et la surpêche, aggrave les problèmes de cet écosystème déjà fragile et à forts enjeux socio-économiques que constitue le littoral. C’est pourquoi cet organisme est suivi par plusieurs programmes d’étude, notamment en Camargue. Texte : Guillaume Marchessaux, docteur en océanographie, attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Université Aix- Marseille, Institut méditerranéen d’océanologie Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 319, novembre-décembre 2019 Le littoral méditerranéen est confronté à un envahisseur plus redoutable que son aspect le laisserait croire : le cténaire Mnemiopsis leidyi. Mesurant entre 3 et 12 cm, l’animal montre une morphologie simple, avec huit rangées de palettes natatoires constituées de cils et deux lobes reliés entre eux par la bouche. Les cténaires (du grec ktenos, signifiant « peigne ») sont des organismes gélatineux regroupant 200 espèces, toutes marines et principalement holoplanctoniques – c’est-à-dire dont le cycle de vie complet s’effectue à l’état planctonique –, qui se déplacent en utilisant huit rangées de cils. Parmi ces espèces, Mnemiopsis leidyi A. Agassiz, 1865, endémique des côtes atlantiques américaines (Amérique du Sud, golfe du Mexique, baie de Chesapeake), colonise principalement les estuaires, les lagunes ou les mers intérieures (cf. nº 317, pages 12 et 13). Des capacités extrêmes L’espèce fait pourtant fait partie des 100 les plus envahissantes au monde selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Elle doit sa capacité envahissante à sa surprenante plasticité métabolique et physiologique : supportant une large gamme de températures (eurytherme) et des taux de salinités variés (euryhaline), elle peut, de plus, se maintenir dans des environnements peu oxygénés et demande une faible concentration en carbone pour survivre. Comme beaucoup d’organismes gélatineux, la noix de mer est aussi capable de « s’auto-digérer » en condition de jeûne et peut donc survivre plus de trois semaines sans se nourrir ; c’est d’ailleurs cette capacité qui lui a permis de survivre dans les eaux de ballasts des pétroliers. Mnemiopsis leidyi est aussi capable de régénérer les parties endommagées de son corps, une capacité dont sont dotés la plupart des cténaires. C’est également un prédateur opportuniste, qui adapte son régime alimentaire en fonction des proies disponibles dans le milieu. Enfin, l’absence de prédateurs spécifiques dans les régions récemment colonisées ne permet pas le contrôle de ses populations, lesquelles ont tendance à proliférer fortement. Mnemiopsis leidyi est hermaphrodite et présente de forts taux de ponte et de croissance lui permettant de coloniser rapide- ment de nouvelles zones. Un seul individu peut produire jusqu’à 10 000 œufs par jour. L’éclosion des œufs a lieu 24 heures après la ponte et donne une larve mesurant entre 0,5 et 5 mm et portant deux tentacules qui lui permettent de se nourrir. Au bout de sept jours, cette larve perd ses tentacules et deux lobes se forment, donnant le stade transitoire déjà mature sexuellement. Cette capacité de reproduction des stades larvaires est peu commune chez les espèces marines, et permet à la noix de mer de maintenir sa population dans les zones où elle est introduite. Le stade adulte est ensuite atteint en seulement 7 jours. Le cycle de vie complet (de l’œuf à l’adulte) s’effectue donc en seulement 14 jours en conditions environnementales optimales (température supérieure à 19 °C). Les invasions : particulièrement à surveiller en milieu littoral Une espèce exotique envahissante a la particularité d’être non-indigène (c’est à dire une espèce qui est arrivée naturellement ou par le truchement de l’activité humaine dans une nouvelle région sans continuité géographique avec son aire de répartition d’origine) et de causer des problèmes écologiques et/ou socio-économiques du fait de sa forte abondance. L’introduction d’une espèce s’effectue d’une région donneuse (généralement l’aire d’origine) vers une région receveuse via des corridors et des vecteurs. Les corridors qui correspondent à une multitude de facteurs vont permettre ou non à l’espèce candidate de survivre dans la région receveuse (météorologie, températures létales des larves/adultes transportés, conditions environnementales et trophiques de la région receveuse, etc.). Le succès de l’introduction de l’espèce candidate ne sera effectif que lorsque tous les paramètres optimaux pour cette espèce seront réunis. En effet, il faut qu’il y ait suffisamment de nourriture, des températures et taux de salinité supportables pour que l’espèce candidate puisse se maintenir. Dans la plupart des cas, les espèces introduites sont dites clandestines, c’est-à-dire qu’elles sont transportées involontairement. Il existe en milieu marin une multitude de vecteurs d’introduction : par évasion d’élevages (aquaculture, aquariums) ou encore par le fouling des coques de navires (colonisation du revêtement des navires par des organismes). Dans le cas du plancton, le principal vecteur d’introduction est le transport d’eaux de ballast, utilisées comme lest par les navires commerciaux lorsque ceux-ci naviguent sans cargaison. En Méditerranée, on recense plus d’un millier d’espèces introduites, dont une cinquantaine qui sont envahissantes. Leur nombre augmente de manière exponentielle depuis le début du XXe siècle. Les enjeux socio-écologiques de ces processus de prolifération sont exacerbés et/ou complexifiés dans les espaces littoraux. Le littoral en tant qu’interface entre terre et mer se caractérise en effet […]

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