Les cyanobactéries sous surveillance citoyenne

Prolifération de cyanobactéries sur la lagune Aghien, en Côte d’Ivoire. Photo : Jean-Francois Humbert
Texte : Jean-François Humbert, chercheur à l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement

Veronica Mitroi, chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 327, mars-avril 2021

Les cyanobactéries sont des microorganismes photosynthétiques qui prolifèrent dans les écosystèmes d’eau douce continentaux (lacs, étangs, réservoirs) eutrophisés, c’est-à-dire trop riches en nutriments azotés et phosphorés. Ces proliférations qui donnent une couleur verte très marquée à l’eau perturbent le fonctionnement des écosystèmes et menacent certains des usages qu’en font les humains, comme la production d’eau potable ou la baignade. En effet, de nombreuses espèces de cyanobactéries produisent des toxines dangereuses pour la santé humaine et animale. Pour limiter les expositions humaines à ces toxines, une surveillance de ces microorganismes est réalisée dans la plupart des pays de l’hémisphère nord. Ainsi, en France, les Agences régionales de santé assurent une veille sur les plans d’eau de baignade en été et les producteurs d’eau potable sont vigilants vis-à-vis des ressources en eau. Cette surveillance peut conduire à la fermeture de plages en été ou à des modifications dans les procédures de traitement de l’eau lors d’événements de prolifération, mais leur mise en œuvre est une tâche assez complexe et donc coûteuse. Pour cette raison, ces procédures sont encore rarement mises en œuvre dans les pays en développement, notamment en Afrique.

Impliquer les citoyens

Une méthode de surveillance des proliférations des cyanobactéries par les habitants a été testée lors d’une étude pilote menée en collaboration avec l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire, l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et les populations de trois villages situés au bord d’une lagune d’eau douce proche de la ville d’Abidjan. À l’aide d’une application pour téléphone portable, les citoyens des trois villages avaient la possibilité de signaler les changements de couleur de l’eau dans la lagune, qui sont des indicateurs des proliférations de cyanobactéries. Pendant la période d’expérimentation qui a duré deux ans, 443 signalements ont été déposés grâce à l’application. Une part importante de ces données a été fournie par des « sentinelles », des personnes désignées par les chefferies des villages, à qui le programme a fourni un téléphone portable. Cette forte implication a montré qu’il est possible de mobiliser les populations locales pour surveiller ces microorganismes. Par ailleurs, les données collectées par les citoyens se sont révélées cohérentes avec celles obtenues par un suivi classique réalisé en parallèle par l’Institut Pasteur d’Abidjan. Enfin, les résultats de ce suivi participatif ont été présenté lors de réunions publiques organisées dans chacun des trois villages en milieu et fin de programme, et un bulletin de santé de la lagune reprenant les résultats du suivi a été distribué aux habitants. Cela a permis d’améliorer leur connaissance des causes et des conséquences de la dégradation de la qualité des milieux aquatiques, notamment en matière de risques sanitaires.

Ces travaux suggèrent que la surveillance citoyenne des cyanobactéries pourrait compléter leur surveillance institutionnelle dans les pays en développement. Elle permettrait notamment de réduire les coûts de cette surveillance en agissant comme un système d’alerte déclenchant des prélèvements pour des analyses en laboratoire. Ces travaux montrent cependant que, comme pour des suivis du même type réalisés dans les pays de l’hémisphère nord, l’articulation entre surveillance participative et surveillance institutionnelle est complexe (notamment en raison d’un manque de moyens humains dans les institutions de santé pour prendre en charge la gestion de telles actions), de même que la pérennisation sur le long terme de ce type de suivis. Concernant ce dernier point, il a par exemple été observé qu’une démobilisation progressive des participants peut s’opérer dans le temps et qu’il existe des difficultés pour maintenir, sur le long terme, le financement de ce type d’actions.

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