Les centres de soins pour la faune en détresse en France

Lors d’une marée noire, les oiseaux mazoutés sont pris en charge afin de les nettoyer. Le bec très tranchant de ce fou de Bassan (Morus bassanus) est maintenu en position entrouverte pour protéger les soigneurs, tout en lui permettant de respirer (les narines s'ouvrent à l'intérieur du bec). Photo : LPO Hérault

Au chevet d’une société qui souffre de son rapport au sauvage

Depuis les années 1960, des structures recueillent et soignent les animaux sauvages en détresse, œuvrant ainsi à la fois à réparer les dommages causés à la faune par les activités humaines et au maintien du lien entre les citoyens et la nature. Organisés en réseau et portés par des équipes passionnées, les centres de soins alertent néanmoins sur les difficultés auxquelles ils font face.

Texte : Manon Tissidre, coordonnatrice du Réseau centres de soins faune sauvage,

Jean-François Courreau, président du Réseau centres de soins faune sauvage

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 331, novembre-décembre 2021

Les centres de soins faune sauvage sont des établissements qui soignent les animaux sauvages trouvés en détresse, pour ensuite les relâcher dans leur milieu naturel. Depuis les débuts de la littérature, il existe des histoires d’animaux sauvages soignés ou élevés par des humains, soucieux de leur sort. Pourtant, cette pratique n’acquit une existence officielle et encadrée en France qu’à partir des années 1990, alors même que la naissance des premiers centres de soins de la faune sauvage, gérés par des particuliers passionnés, datait de la décennie précédente, souvent en premier lieu à destination des rapaces.

À l’origine, dans les années 1960, quelques naturalistes passionnés décidèrent, individuellement, de prendre en charge chez eux quelques oiseaux trouvés blessés. Avec le bouche-à-oreille, ils furent sollicités par des voisins pour venir en aide à des oiseaux blessés, en général avec très peu de connaissances médicales et d’équipements. Ces premières initiatives étaient particulièrement motivées par la mauvaise santé des populations de rapaces, qui pâtissaient de l’usage de pesticides néfastes pour la reproduction et qui ne bénéficiaient pas d’un statut de protection stricte.

Parallèlement, en 1967, le navire Torre Canyon déversa 120 000 tonnes de pétrole brut sur les côtes bretonnes. Quelque 25 000 oiseaux (essentiellement pélagiques, c’est-à-dire vivant en haute mer loin des côtes) seraient morts lors de cette première marée noire, selon le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux. D’autres marées noires suivirent : l’Amoco Cadiz en 1978 (37 000 oiseaux morts), l’Erika en 1999 (200 000 oiseaux mazoutés) et le Prestige en 2002 (23 000 oiseaux mazoutés). Dans ce contexte, les initiatives de prise en charge de la faune en détresse se développèrent de façon anarchique et conduisirent certains centres à se rencontrer pour définir un mode d’action commun. Ainsi, dans les années 1970 naquit l’idée de créer une structure nationale. L’Union nationale des centres de sauvegarde (UNCS) vit le jour en 1983 et initia une réflexion qui permit la création du premier texte législatif encadrant l’activité des centres de sauvegarde, l’arrêté du 11 septembre 1992 (toujours en vigueur).

Réseau centres de soins faune sauvage.

Le Réseau centres de soins faune sauvage est une association fédérant des centres de soins français (23 en 2021), née en 2019 à l’initiative d’un groupement de 18 responsables de centres. Le Réseau a pour mission d’aider les centres à améliorer leur prise en charge de la faune en détresse, les accompagner dans le développement de leurs pratiques (bases de données, formations…) et réfléchir à un modèle de financement pérenne pour sortir ces structures de la précarité de moyens.

Depuis les années 1990, le nombre d’animaux reçus dans les centres de soins n’a cessé d’augmenter, décuplant pour atteindre aujourd’hui plus de 100 000 animaux par an pour l’ensemble des centres français. La faune sauvage est-elle de plus en plus en détresse ? Ou bien les citoyens sont-ils de plus en plus sensibles à la souffrance des animaux sauvages avec lesquels ils partagent un territoire ?

Un fonctionnement souvent associatif

Il existe aujourd’hui une centaine de centres de soins français (métropole et Outre-mer), dont la taille, l’effectif du personnel et le niveau des équipements sont très inégaux. Ils fonctionnent très majoritairement sous un régime associatif, et sont financés par des fonds privés (dons/fondations), du mécénat (en nature ou non) et des subventions publiques, réparties très inégalement selon les territoires ; certains ont développé des activités de prestation de service (animation, formation). Leur fonctionnement repose en grande majorité sur du bénévolat, qui représente souvent près de 80 % du temps de main d’œuvre. L’ouverture d’un centre est soumise à autorisation préfectorale selon un arrêté prenant en considération le respect des obligations de l’arrêté ministériel du 11 septembre 1992. À la tête de la structure, le responsable est titulaire d’un certificat de capacité pour les soins à la faune sauvage (reconnaissance d’expérience et de connaissances) délivré par la préfecture. À l’heure actuelle, aucune formation diplômante n’existe pour former le personnel aux soins à la faune sauvage. Les connaissances s’acquièrent principalement par l’expérience de terrain et par l’échange entre centres de France et d’Europe. Des échanges réguliers avec les mondes vétérinaire, naturaliste et de la biologie permettent de compléter et d’actualiser ces connaissances.

Les spécificités et les technicités complémentaires des différents centres permettent la prise en charge de l’ensemble des espèces d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens ou de mammifères terrestres, volants ou aquatiques du territoire français. Certains centres sont spécialisés et prennent en charge un petit nombre d’espèces ou groupes d’espèces uniquement (rapaces, hérisson, phoques, écureuil…). Leurs capacités d’accueil sont également très variables (de quelques dizaines d’animaux à plusieurs milliers par an). D’une manière générale, les espèces les plus représentées dans les accueils des centres de soins (tous confondus) sont le hérisson d’Europe (Erinaceus europaeus), le martinet noir (Apus apus), les passereaux, les colombidés et les rapaces diurnes, notamment la buse variable (Buteo buteo) et le faucon crécerelle (Falco tinnunculus). Il s’agit principalement d’espèces anthropophiles dont les individus en détresse peuvent être facilement découverts dans les rues et les jardins des zones urbaines et péri-urbaines. Dans les centres de soins du Réseau, les causes d’accueil sont à 92 % d’origine anthropique (collisions avec des véhicules, etc.). En moyenne, environ 75 % des espèces reçues dans les centres sont protégées.

Quelques chiffres

Un centre de soins « moyen » au sein du réseau représente :

•  2 500 animaux pris en charge par an,

•  50 % d’animaux relâchés,

•  75 % d’espèces protégées,

•  3 salariés pour 120 bénévoles,

•  80 000 journées d’hospitalisations à gérer sur l’année par salarié,

•  jusqu’à 100 h de travail par semaine en été pour chaque soigneur,

•  3 départements à couvrir, avec un système de points- relais et de bénévoles transporteurs,

•  jusqu’à 500 animaux en soins en même temps,

•  jusqu’à 50 nouveaux animaux accueillis par jour,

•  150 000 € de budget de fonctionnement annuel,

•  0,83 € par animal par jour d’hospitalisation,

•  60 jours de soins en moyenne par animal.

Le centre de soins faune sauvage de l’Hirondelle, à Saint Forgeux.

De la goutte d’eau à la grande rivière

Les animaux dont s’occupent les centres de soins appartiennent au monde sauvage. Pourquoi donc ne pas « laisser faire la nature », pourquoi intervenir ? Parce que la cause de leur détresse trouve presque toujours son origine dans des facteurs anthropiques. Les centres de soins ne font que compenser très partiellement l’impact de l’activité humaine sur le sauvage. Il ne s’agit pas d’une ingérence dans un cycle naturel équilibré, il s’agit d’intervenir dans un déséquilibre dont nous sommes la cause. Le monde naturaliste pose souvent la question de la pertinence de l’activité des centres de soins, sous l’angle de la dynamique des populations : les centres de soins soignent quelque 100 000 animaux sauvages chaque année parmi lesquels une poignée de reproducteurs potentiels relâchés appartenant à des espèces au statut de conservation préoccupant. Le bilan peut sembler modeste pour la conservation. Mais la principale action des centres de soins n’est pas là. Elle est sociologique, pédagogique et scientifique.

En premier lieu, les centres de soins répondent à une préoccupation sociétale légitime et assez généralisée : prendre en charge la souffrance d’un individu. La faune en détresse est un trait d’union entre deux mondes qui se côtoient mais se croisent peu : le sauvage et l’humain, surtout urbain et péri-urbain. La plupart des citoyens ne se sentent pas directement concernée par la biodiversité, ne lisent pas les revues spécialisées et n’ont aucune connaissance des problèmes du vison d’Europe ou du murin de Bechstein. Mais, aujourd’hui, l’un de ces citoyens a trouvé un hérisson blessé, et il partage la détresse de l’animal. Dans son emploi du temps millimétré, il va devoir décaler un rendez-vous, amener l’animal au travail ou trouver un vétérinaire sur la pause déjeuner… Parvenu au centre de soins, ce citoyen néophyte, déboussolé mais concerné, rencontrera des soigneurs ou médiateurs qui sauront éveiller son intérêt pour le sauvage. En s’appuyant sur l’expérience récemment vécue, physique et sensorielle, ils passeront des messages simples à un public qui d’ordinaire n’en a cure : « La plaie, voyez-vous, est probablement due à une tondeuse. Dommage, c’est une femelle allaitante, la portée est probablement perdue pour cette année… Avez-vous pensé à laisser des zones de friches dans votre jardin ? »

Un intérêt scientifique

Quant à cet animal en souffrance, il sera enregistré et suivi tout au long de son parcours au centre. La cause de son arrivée permettra de recenser, en fin d’année, les activités humaines qui affectent le plus la faune sauvage. Si besoin est, des prélèvements seront réalisés, analysés, des données biométriques enregistrées et, en cas de décès, il pourra être autopsié ou intégré à des programmes d’études. Les centres de soins de la faune sauvage ont ainsi à disposition une quantité exceptionnelle d’informations biologiques qui font d’eux des acteurs incontournables de la veille sanitaire de la faune sauvage.

Vigilants sur les maladies émergentes, ils le sont aussi sur les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité : évolutions virales, évolution de l’aire de répartition de certains parasites, évolution du territoire des espèces, de leur zone de migration, de leur dynamique de population… Les centres de soins ont, par exemple, été parmi les premiers à voir apparaître le virus Usutu en France dans les populations de merles noirs. Ils peuvent également témoigner des conséquences du dérèglement climatique sur le martinet noir (Apus apus), l’une des espèces les plus admises dans les centres de soins : les canicules survenant durant la période d’élevage des jeunes (juin à août) provoquent des départs anticipés des nids. Le mercure sous les tuiles peut en effet atteindre plus de 60 °C, incitant les jeunes, pour ne pas périr, à se jeter dans le vide avant le développement complet de leur plumage. Incapables de voler, ils sont alors vulnérables aux prédateurs. De nombreuses personnes ramassent ces jeunes oiseaux au sol. Sans l’intervention des centres de soins qui, dans les régions qu’ils couvrent, relâchent chaque année un peu plus d’une dizaine de milliers de martinets noirs, cette espèce connaîtrait, certaines années, un taux de survie à l’envol extrêmement bas. Ce résultat est cependant obtenu au prix d’un investissement humain et financier colossal. Certains centres peuvent recevoir jusqu’à 40 nouveaux martinets par jour, fin juin et début juillet, qui séjourneront un mois en moyenne au centre, et qu’il faudra nourrir 5 à 7 fois par jour.

Que faire en cas de découverte d’un animal sauvage en détresse ?

Avant d’agir, assurez-vous que l’animal est réellement en détresse. Il existe plus de 750 espèces de vertébrés que vous pourriez trouver tout près de chez vous. Les bons gestes seront différents pour chaque espèce. Aussi, ne vous improvisez pas soigneur. Avant d’agir, contactez le centre de soins le plus près de chez vous. Il vous donnera les conseils appropriés à l’espèce. S’il s’avère nécessaire de récupérer l’animal, capturez-le à l’aide d’un linge, placez-le dans un carton muni de petites aérations, avec un tissu dans le fond et une petite bouillotte entourée d’un linge. Laissez-le au calme, dans le noir à température ambiante dans la maison. Ne donnez rien à manger ni à boire sans avoir eu l’aval du centre de soins.

En cas de doute, consultez les réponses aux questions dans la rubrique « faq » du site : www.reseau-soins-faune-sauvage.com

Que faire si l’on trouve un animal sauvage mort ?

Les centres de soins ne sont pas les lieux pour signaler ces mortalités. La faune sauvage peut faire l’objet de programmes de surveillance sanitaire. Vous pouvez signaler un ou plusieurs animaux découverts morts à l’Office français de la biodiversité.

Seuls les individus en mesure de survivre et de se reproduire en milieu naturel sont relâchés, comme ce balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus).

Des structures essentielles mais fragiles

Portées par une forte motivation, les équipes des centres de soins doivent faire face à des défis de taille : pression anthropique, demande croissante de médiation et de prise en charge d’animaux en détresse, sous-dimensionnement de la main d’œuvre nécessaire, préoccupation naissante des citoyens pour le bien-être animal. Dans ce contexte, les soignants se comportent en professionnels ; ils ne s’attachent pas, ne font pas d’anthropomorphisme et gardent à l’esprit leur mission : soigner et relâcher uniquement des reproducteurs potentiels. En effet, les individus n’étant pas viables dans le milieu naturel à l’issue de la période de soins ou en incapacité de se reproduire seront euthanasiés. En cas de catastrophe majeure, comme une marée noire, soigner l’ensemble des individus est impossible, du fait des moyens humains, techniques et financiers limités des centres. Dans ces cas, priorité est donnée aux individus adultes ayant la plus grande chance de survie et appartenant à des espèces avec un fort enjeu de conservation.

Mais ce service reconnu d’intérêt général, réalisé quasi exclusivement par des associations s’appuyant sur des bénévoles, a un coût : celui de l’épuisement, de l’usure compassionnelle et du déficit financier permanent. En effet, les équipes des centres, toujours en sous-effectif, doivent absorber une augmentation d’activité d’environ 20 % chaque année, sans pour autant voir leur budget s’aligner sur cette hausse. Lors du pic d’activité, en printemps-été, les animaux accueillis sont malheureusement souvent soignés dans des conditions de précarité matérielle. Il faut également compter avec l’incompréhension d’une partie du public : certains bénévoles s’indignent que tous les individus ne puissent être soignés, tandis que des particuliers ne comprennent pas pourquoi l’équipe du centre ne prend pas le temps de leur donner des nouvelles de l’animal qu’ils ont confié. Les soignants, quant à eux, ne supportent plus d’être confrontés chaque jour à une souffrance qui n’en finit pas…

Souvent contraints budgétairement de travailler avec moins d’un tiers de leurs besoins réels en main d’œuvre qualifiée, les centres de soins apparaissent comme des hôpitaux de guerre, sur le front de l’urgence climatique et de l’érosion de la biodiversité. Pour la faune en détresse, les lignes budgétaires publiques n’existent pas : ni dans les ministères, ni à l’Office français de la biodiversité, ni dans les Plans nationaux d’action, ni ailleurs… Les centres ne survivent que grâce à la solidarité financière des particuliers et de mécènes privés.

Ainsi, l’État n’a pas encore pris la mesure de l’enjeu sociétal, sanitaire et éthique de la prise en charge de la faune en détresse. Les équipes des centres, pourtant, ont à cœur de proposer sans cesse une meilleure qualité de service aux citoyens et aux animaux sauvages en détresse. Si l’échange et l’entraide sont des valeurs fondamentales pour exercer en centres de soins, il n’en reste pas moins qu’il est très lourd de former chaque année plusieurs milliers de personnes à la prise en charge médicalisée d’urgence de centaines d’espèces différentes. Pour le formateur, il aura été nécessaire d’acquérir des compétences en biologie, en médecine vétérinaire, en management, en pédagogie, en gestion de conflits, en techniques de laboratoire… Autant de métiers qui doivent fusionner en un seul, mal payé et non reconnu : soignant pour la faune sauvage en détresse.

Ainsi, chers amis naturalistes, aujourd’hui les centres de soins ont besoin de vous. Ils ont besoin que nous fassions corps, ensemble, autour de la prise en charge de la faune en détresse. Que vous aidiez les soignants en leur transmettant vos connaissances de terrain, en faisant valoir l’intérêt de leur activité auprès des institutions, de vos associations et d’autres naturalistes. Agir comme ils le font pour compenser l’impact de l’activité humaine sur la faune sauvage n’est pas un luxe inutile à l’époque d’une érosion massive de la biodiversité. Si nous sommes tous les acteurs de l’impact anthropique qui pèse aujourd’hui sur la faune sauvage, nous pouvons également tous être les acteurs de sa sauvegarde.

 

Les équipes de soignants sont en sous-effectifs par rapport au nombre d’animaux recueillis, qui nécessitent parfois des actes chirurgicaux. Ici un héron centré (Ardea cinerea) au Centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes, ONIRIS école vétérinaire.

 

 

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