Les Canaries : Explosion de biodiversité sur des îles volcaniques
Chacune des sept principales îles des Canaries est encore témoin des particularités culturelles qui découlent des différentes vagues de colonisation humaine qui s’y sont déroulées. L’histoire de la faune et de la flore de ce discret chapelet d’îles est tout aussi riche et diversifiée. Leur climat doux, la variété des milieux existants, et l’instabilité des conditions environnementales qui y président sont ainsi les gages d’une très forte diversité d’espèces. Texte et photos : Annick Schnitzler, Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, université de Lorraine Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 314, janvier-février 2019 Le chapelet des sept principales îles volcaniques des Canaries, qui s’étend à hauteur de l’Afrique du Nord, est le seul archipel de l’océan Atlantique oriental à avoir été colonisé par l’homme préhistorique. Les migrations humaines y ont eu lieu plusieurs fois, différemment sur chaque île, ce qui explique leur forte individualisation culturelle. Mais ces îles volcaniques sont aussi célèbres pour leur histoire naturelle. Les flancs de leurs montagnes abritent les derniers témoins vivants des immenses forêts tempérées chaudes qui couvraient le pourtour du bassin méditerranéen à l’ère tertiaire. Autre curiosité naturelle, la singularité de certaines plantes, devenues aujourd’hui géantes ou ligneuses après des millions d’années d’adaptation sans échange avec le continent. Plus généralement, à l’instar des Galápagos, l’isolement sur de petits territoires et la diversité topologique, ici un milieu volcanique et sec plus ou moins marqué selon les régions, contribuent à élever le nombre d’espèces endémiques. Les conditions d’une spéciation extrême La diversité des milieux naturels est considérablement plus élevée dans les Canaries que sur les autres archipels de la Macaronésie (Cap Vert, Madère, Açores) : chacune des îles a sa singularité écologique, en partie liée à son relief, mais aussi à son âge géologique. Les plus anciennes (Fuerteventura et Lanzarote, surgies des eaux il y a 22 millions d’années) sont éloignées d’à peine 100 km des côtes de l’Afrique, et présentent des reliefs fortement érodés, de larges plaines de cailloux et de sable, et des plages dunaires. Les autres îles (Ténérife, Grande Canarie, Palma, Gomera, El Hierro), plus éloignées de l’Afrique, sont plus montagneuses, et plus humides. Ténérife détient le record des altitudes très élevées (le pic du Teide culmine à 3 718 m, ce qui en fait le plus haut sommet espagnol) pour une surface limitée à 2 075 km². Les forêts de brouillard Les laurisylves canariennes sont d’étranges forêts vestiges de l’ère tertiaire qui ne se trouvent qu’entre 600 et 1 500 m d’altitude : elles connaissent donc leur plus grand développement sur les flancs des anciens volcans de Ténérife, Goméra, la Grande Canarie, et la Palma. Elles sont dominées par des familles ligneuses toujours vertes qui comptent parmi les plus primitives des plantes à fleurs (les lauracées). Les pluies étant rares, les feuilles condensent l’eau du brouillard. Cette astuce, ainsi que l’architecture de la canopée où les houppiers des arbres s’indentent les uns dans les autres sans se toucher (phénomène dénommé « timidité des cimes », observé fréquemment sous les Tropiques) et la densité végétale typique des forêts tempérées chaudes, entretiennent une humidité constante dans les sous-bois. L’eau arrivant au sol y entretient un humus en profondeur, lui-même capable de retenir cette humidité si rare. Ce captage est si efficace que les eaux s’accumulent même parfois sous forme de petits lacs souterrains, dans des grottes naturelles. Diversification et gigantisme La proximité du continent a favorisé la colonisation par la faune et la flore et l’arrivée humaine sur l’archipel. Toutefois, un courant marin à sens unique, d’est en ouest, assez violent, favorable à la dispersion à partir de l’Afrique, limite, voire empêche, toute connexion ultérieure avec ce continent. Les plantes à fruits et graines lourdes n’ont pas pu franchir la barrière des mers. Celles qui sont arrivées sur ces îles y ont été apportées par les oiseaux ou par des radeaux de bois tombé des côtes. Quant aux animaux, impossible pour les amphibiens et les grands mammifères de traverser l’océan, du moins sur cette (courte) échelle de temps. Seuls les animaux qui peuvent voler ou qui survivent à une traversée en mer par radeau ont pu débarquer. L’adaptation aux conditions locales a ensuite permis à certaines espèces de s’y maintenir. Un végétal arrivant sur une île volcanique à ces latitudes doit faire face à des substrats poreux ou compacts, un climat sec sur une grande partie des terres, un manque d’insectes butineurs pour assurer une reproduction sexuée rapide. Les genres végétaux qui ont colonisé ces îles (Aeonium de la famille des crassulacées, Echium de la famille des boraginacées, ou Sonchus de la famille des astéracées) ont irradié en un nombre élevé d’espèces, chacune occupant un habitat différent. Pour survivre sur ces milieux contraignants, la plupart d’entre elles, dont les cousines sont herbacées sur leur Afrique d’origine, sont ici devenues ligneuses. Autre adaptation: pour se reproduire, la plupart d’entre elles sont monocarpiques, […]
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