L’écocomplexe de Païolive : Haut-lieu de la biodiversité méditerranéenne
Le Vivarais méridional, au sud du département de l’Ardèche, possède un patrimoine exceptionnel : la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche, la grotte Chauvet, les Cévennes septentrionales et le site de Païolive, qui correspond à un ensemble géologique et écologique original d’environ 150 km². La flore et la faune y sont très riches et les traces de la Préhistoire y abondent. C’est une région touristique prisée, et la découverte de la grotte Chauvet en a décuplé la réputation. Rien d’étonnant à ce que les enjeux de conservation des patrimoines naturels et culturels y soient particulièrement forts. Texte : Patrick Blandin, Henri-Pierre Aberlenc, Corinne Bauvet, Alain Bertrand, Nicolas Bianchin, Jean-François Holtof, Vincent Hugonnot, Maurice Lhomme, François Schwaab, association Païolive Photos : Henri-Pierre Aberlenc, Pierre Aurousseau, Corinne Bauvet, Alain Bertrand, Nicolas Bianchin, Patrick Blandin, Benjamin Calmont, Jean Donnet, Patrick Lenoble, Maurice Lhomme Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 328, mai-juin 2021 La bordure sud-est du Massif central comprend une grande diversité de roches. De multiples failles les ont cisaillées en blocs qui jouèrent verticalement, au cours de l’ère Tertiaire, lors des orogenèses pyrénéenne et alpine. Le site de Païolive est formé de deux blocs extrêmement fracturés à la surface desquels affleurent des sédiments calcaires du Jurassique supérieur et du Crétacé inférieur, entre des altitudes de 150 m à plus de 300 m. D’abord dégagés des couches sédimentaires plus récentes par une intense érosion, ces blocs ont été recouverts avant la fin du Miocène par des alluvions provenant de l’érosion du socle cristallin des Cévennes. Ensuite, il y a environ 6 millions d’années, les variations du niveau de la Méditerranée ont provoqué l’enfoncement des cours d’eau puis leur remontée. Ces phénomènes ont engendré la formation d’un karst dans les épais bancs calcaires du Jurassique supérieur : sous les alluvions, orientée par le réseau de fractures, la dissolution du calcaire a façonné des reliefs ruiniformes, tandis qu’un vaste réseau de galeries et de cavités s’est développé en profondeur. Une remarquable diversité écologique En fonction de la lithologie des affleurements calcaires, il existe deux grands types de paysage : les reliefs ruiniformes envahis par une chênaie, le bois de Païolive, et les Gras, vastes étendues parcourues par des ruisseaux intermittents, encore pâturées ou cultivées ici ou là, avec des dalles dénudées, des pelouses et des ourlets préforestiers. L’ensemble est entaillé par la rivière Ardèche et trois affluents, le Chassezac, la Beaume et la Ligne. Tandis qu’au fond des canyons s’enchaînent des milieux ripicoles variant en fonction des substrats, des communautés végétales accrochées aux falaises diffèrent en fonction de l’éclairement, de leur position en surplomb ou en replat, et de la plus ou moins grande proximité de l’eau. L’endokarst présente une large palette de biotopes, de l’entrée des grottes, lumineuses, ventilées et souvent assez sèches, jusqu’aux zones obscures, humides et sans courants d’air. La faune terrestre comprend des espèces dites trogloxènes dont le cycle vital se déroule en partie à l’extérieur, des espèces troglophiles dont le cycle peut se dérouler soit dans le milieu souterrain soit à l’extérieur dans des habitats obscures et humides, et des espèces troglobies, aveugles et dépigmentées, « cavernicoles » au sens strict. Enfin, des espèces dites stygobies vivent dans les eaux souterraines. L’étrange forêt ancienne Le bois de Païolive, dominé par le chêne pubescent (Quercus pubescens), n’a été que très peu exploité tant la végétation est imbriquée dans le méga-lapiaz, un monde de rochers séparés par des « rues » souvent très encaissées. Les chênes sont parfois serpentiformes, avec de curieux troncs obliques et tortueux, ce que l’on n’explique pas encore de façon satisfaisante. Selon leur âge, leur architecture, leur position vis-à-vis de la lumière, les arbres offrent une grande diversité de micro-habitats où vivent des groupements spécialisés de lichens et de mousses. Une trentaine d’espèces de lichens, comme Leptogium hibernicum, plusieurs mousses, par exemple Antitrichia californica, et divers insectes comme la cétoine bleue (Eupotosia mirifica), attestent d’une longue continuité de l’état boisé. Toutefois, certaines espèces ont pu persister même si le couvert forestier a été réduit, la structure du karst favorisant une humidité relative élevée et réduisant les écarts thermiques. La cétoine bleue, emblème de Païolive L’espèce de coléoptère Eupotosia mirifica est inféodée à la chênaie méditerranéenne. Elle s’est sans doute maintenue dans des forêts refuges lors des glaciations, après quoi elle a dû suivre l’expansion des boisements. Elle n’a pu se maintenir que dans des forêts où le cycle sylvogénétique n’a cessé de produire des arbres âgés dans lesquels peuvent se former des cavités propices à ses larves : lorsqu’elle est présente, elle constitue une preuve que son habitat existe de manière continue depuis des millénaires. Elle n’existe aujourd’hui que dans des stations isolées, de la Syrie et du Liban jusqu’en Espagne. Elle s’est éteinte en Italie au cours des dernières décennies. En France, une population au nord de Montpellier s’est éteinte dans les années 1990. L’espèce est de fait en régression, en raison de ses exigences écologiques élevées. En outre, sa capacité de dispersion à travers les milieux ouverts est faible, or les habitats favorables sont de plus en plus isolés et réduits. Un pic de biodiversité Un inventaire général de la biodiversité (All Taxa Biodiversity Inventory, ATBI), qui totalise actuellement plus de 4 500 espèces, a été engagé par l’association Païolive. Pratiquement achevé pour les vertébrés et les lépidoptères diurnes, il […]
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