Le retour de l’ibis chauve

Ibis chauves dans les champs devant Conil de la frontera. Photo : Miguel A. Quevedo Muñoz

Réintroduction dans le sud de l’Espagne La réintroduction d’animaux nés en parcs zoologiques peut être un outil pour aider une espèce en danger d’extinction. Les programmes européens d’élevage d’espèces menacées (EEP) de l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) ont ainsi permis dans la dernière décennie de réintroduire dans leurs aires de distribution historique des animaux nés ex situ, comme l’ibis chauve (Geronticus eremita) en Espagne. Texte : Miguel Angel Quevedo Muñoz, Zoobotánico Jerez, Jerez de la Frontera, Espagne, Pierre Gay, président de Bioparc Conservation, Doué la Fontaine Photos : Miguel Angel Quevedo Muñoz, Proyecto Eremita Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 328, mai-juin 2021 L’ibis chauve (Geronticus eremita) est l’un des oiseaux les plus menacés au monde. Historiquement, sa répartition géographique s’étendait autour de la mer Méditerranée jusqu’au Moyen-Orient, le nord de l’Afrique et le centre de l’Europe. Les populations migratrices, aujourd’hui éteintes, atteignaient à l’ouest la Mauritanie et le Sénégal et à l’est la péninsule arabique, l’Érythrée et l’Éthiopie. Les principales causes de la disparition de l’espèce sont la destruction de son habitat, la persécution directe par l’humain, l’impact de l’agriculture, l’utilisation de pesticides et le changement climatique. Dans les années 1990, l’espèce a été déclarée « en danger critique d’extinction » sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, alors qu’il ne restait plus que 250 individus en liberté au Maroc. Une histoire mouvementée L’histoire récente de l’ibis chauve (Geronticus eremita), telle qu’elle est connue aujourd’hui , est assez étonnante. Initialement présent du nord de l’Afrique au Moyen-Orient en passant par le sud et le centre de l’Europe, l’espèce ne cesse de régresser du fait des actions humaines directes et indirectes. Il disparait d’Europe centrale il y a plus de 400 ans, mais se maintient sous forme d’une population résiduelle au Maroc, qui est toujours aujourd’hui la plus importante. Les derniers reproducteurs connus en Algérie disparaissent en 1984, en Turquie en 1989 – bien que quelques individus semi-captifs survivent. Une population est découverte du côté de Palmyre en Syrie en 2002 pour s’éteindre peu après, vers 2012. Plusieurs programmes de restauration ont peu à peu émergé indépendamment. Ainsi, un effectif d’environ 300 oiseaux dans le milieu naturel résulte des programmes menés en Autriche, Allemagne, Espagne et Turquie. L’objectif est bien de restaurer des populations viables, sédentaires comme migratrices. Aujourd’hui, grâce à la mise en place de programmes de conservation, son classement a été redéfini comme « en danger d’extinction » ; la population sauvage sédentaire est estimée à 800 individus répartis en deux points de la côte sud-ouest du Maroc. Ces programmes utilisent deux leviers : la conservation in situ des dernières populations libres au Maroc, mais aussi la conservation ex situ de l’espèce en vue de réintroductions. L’ibis chauve fait en effet l’objet d’un Programme européen d’élevage d’espèces menacées (EEP) de l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA). En 2018 un total de 1 700 individus était enregistré dans le registre généalogique de l’EEP de l’ibis chauve. Grâce aux oiseaux cédés par l’EEP, deux projets de réintroduction ont été initiés en Europe. Le projet Waldrappteam a été mené entre 2002 et 2013 afin de créer une population migratrice dans le centre de l’Europe (Autriche-Allemagne-Italie) : les oiseaux, élevés à la main par des humains, ont appris à migrer en suivant leurs parents adoptifs derrière un ULM. Le second projet, « Proyecto Eremita », concerne quant à lui le sud de l’Espagne et vise à y établir une population sédentaire. Le Proyecto Eremita a été initié en 2003 par le Zoobotánico Jerez et le Gouvernement régional d’Andalousie (Junta de Andalucia) avec l’objectif d’étudier les différentes techniques de lâcher d’individus nés en zoos pour établir des populations sédentaires, stables et autosuffisantes dans la zone de réintroduction choisie. En premier lieu, une étude de caractérisation écologique a été réalisée dans la zone de réintroduction proposée, la Janda (province de Cádiz), une zone de haute valeur écologique et a priori favorable à l’espèce. Les scientifiques ont vérifié la disponibilité d’un habitat adéquat, de zones d’alimentation appropriées, de proies, de points d’eau douce et de falaises rocheuses nécessaires à la nidification, ainsi que l’absence de risques potentiels pour la survie des individus lâchés. L’étude ayant conclu que les conditions favorables étaient réunies pour les besoins de l’espèce, une campagne d’éducation et de sensibilisation fut organisée auprès des scolaires, des éleveurs, des agriculteurs et des chasseurs locaux avant de procéder aux premiers lâchers. Élever pour lâcher Le paradoxe de cette espèce est que le nombre d’individus en parcs zoologiques était à l’époque quatre fois supérieur au nombre d’individus en liberté et qu’ils se reproduisent bien dans les zoos. Mais pour réintroduire des oiseaux nés ex situ, il fallait établir une méthodologie ayant des garanties de succès ; c’est là l’une des premières inconnues auxquelles l’étude préliminaire a dû faire face. En effet lorsque des animaux sont élevés en vue d’être réintroduits en milieu naturel, il est essentiel de minimiser l’impact de l’empreinte humaine et ainsi éviter les futures interactions avec les humains. […]

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