Le petit monde des rats à trompe

Oreilles rondes et museau pointu, voici le sengi de Rozet (Petrosaltator rozeti). Photo : Régis Cavignaux

Les macroscélides, mammifères méconnus L’Afrique est justement réputée pour sa grande faune, mais il ne faut pas sous-estimer la richesse, l’originalité et l’intérêt de ses petits mammifères. Les sengis, ou rats à trompe, réunis dans l’ordre des macroscélides, en représentent une belle illustration. Découvrons leurs origines, leurs descriptions et leurs modes de vie. Texte : François Moutou • Photos : François Moutou, Régis Cavignaux Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 334, septembre-octobre 2022 La description de la diversité contemporaine des mammifères était déjà bien établie dans le courant du XIXe siècle. Bien sûr, de nouvelles espèces ont été découvertes depuis, mais la répartition des espèces connues dans une trentaine d’ordres avait déjà été actée de manière globalement satisfaisante. Inversement, l’organisation de ces ordres entre eux posait un problème. La morphologie et l’anatomie étaient alors les disciplines dominantes, avec l’apport régulier de la paléontologie. Les relations pouvant exister entre les différents groupes d’espèces de mammifères trouvaient leurs origines dans un passé plus ou moins lointain mais toujours trop mal connu. L’arrivée de l’outil moléculaire à la fin du XXe siècle a complètement bouleversé la compréhension de cette classe de vertébrés. La génétique a fait en particulier apparaître un rassemblement d’ordres que l’anatomie seule n’avait jamais permis d’imaginer : les afrothériens, originaires comme leur nom l’indique du continent africain et probablement vieux d’une centaine de millions d’années. Les mammalogistes avaient fort justement repéré quelques ordres dont l’origine africaine était bien établie. Ils avaient même déjà rapproché les damans (hyracoïdes), les éléphants (proboscidiens) ainsi que le dugong et les lamantins (siréniens) dans le clade des pénongulés. Inversement, l’étude des génomes de trois autres ordres propres à ce continent – les macroscélides (sujet de cet article), les tubulidentés (l’oryctérope) et les afrosoricidés (trois familles de petites espèces insectivores : les taupes dorées et les potamogales, africains, ainsi que les tenrecs, malgaches) – a donné un résultat surprenant : non seulement ces trois ordres constituent le nouveau clade afroinsectiphiliens, mais en plus il faut le réunir avec celui des pénongulés dans la super-cohorte des afrothériens. Cet assemblage apparemment hétéroclite a initialement beaucoup surpris, mais il a été confirmé depuis et ne semble plus remis en question aujourd’hui. Les macroscélides font donc partie des afrothériens. Qui sont les macroscélides ? L’ordre des macroscélides pourrait dater d’environ 50 millions d’années et donc être apparu en Afrique au début de l’Éocène. L’histoire paléontologique de l’unique famille connue, les macroscélididés, suggère que six sous-familles ont existé autrefois mais que seules deux sont encore présentes aujourd’hui. L’étude des dents des fossiles révèle que de nombreuses formes disparues étaient herbivores, ce qui explique sans doute la présence chez les espèces contemporaines, qui sont pourtant majoritairement insectivores, d’un caecum au niveau du tube digestif. Localisé à la jonction entre l’intestin grêle et le gros intestin, le caecum facilite la dégradation de la nourriture végétale, toujours plus difficile à assimiler que la nourriture animale. La disparition des espèces herbivores lors de la transition entre Miocène et Pliocène pourrait s’expliquer par l’arrivée sur le continent africain des rongeurs, des lagomorphes et des ongulés, probablement mieux équipés et mieux adaptés à l’herbivorie. Inversement, les macroscélides insectivores et spécialisés sur la myrmécophagie (la consommation de fourmis et de termites) ont mieux résisté. Les deux sous-familles contemporaines sont celle des macroscélidinés ou sengis « à fourrure douce » et celle des rhynchocyoninés ou sengis « géants » dont la fourrure est un peu moins douce. Elles se seraient séparées l’une de l’autre il y a environ 23 millions d’années. Différentes publications récentes revisitent un peu la diversité des espèces et leurs relations entre elles. En effet, si on reconnait aujourd’hui cinq genres et une vingtaine d’espèces dans la famille, deux nouveaux genres ont été proposés et pas moins de cinq nouvelles espèces ont été identifiées ces dix dernières années. Quelques autres devraient suivre. Le genre Elephantulus est le plus riche avec dix espèces reconnues en 2018. Il est cependant possible que certaines populations, encore mal étudiées, puissent être considérées comme assez différentes pour en être séparées. C’est ainsi que l’espèce d’Afrique du Nord, la seule présente au nord du Sahara, a été renommée Petrosaltator rozeti en 2016. Il est également suggéré que l’espèce de Somali (E. revoilii), longtemps « perdue » puis récemment découverte à Djibouti, devienne Galegeeska revoilii. Les toutes dernières observations sont arrivées après un demi-siècle sans données. Longtemps considéré comme monospécifique, le genre Macroscelides (sengi aux oreilles rondes) réunit maintenant trois espèces et il est bien possible qu’il se passe la même chose pour le sengi à quatre doigts (Petrodromus tetradactyla). Sa vaste répartition pourrait bien correspondre à plusieurs espèces proches mais séparées géographiquement. Enfin, la description du sengi à face grise (Rhynchocyon udzungwensis) en 2008, le plus grand de tous, a été une bonne surprise. Il est limité aux monts Udzungwa en Tanzanie qui font partie de l’arc oriental africain, haut lieu de biodiversité sur ce continent. Le genre Rhynchocyon contient aujourd’hui cinq espèces. En 2017, le sengi géant de Cirne (R. cirnei), en Afrique orientale, a été séparé du sengi de Stuhlmann (R. stuhlmanni), en Afrique centrale. La Tanzanie héberge ainsi trois des cinq espèces du genre. Rencontre avec un sengi des rochers occidental, Grootberg Lodge, Namibie Vers 13h30, deux sengis nous surprennent en filant sur les cailloux alors que nous suivons le sentier de découverte qui débute devant le lodge. Est-ce un couple, ou plutôt une femelle avec un jeune ? Nous finissons par en […]

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