Le parc naturel du Gorongosa, une renaissance au Mozambique
Mis à mal par la guerre civile, le braconnage et l’abattage massif des gros mammifères, le Parc naturel du Gorongosa renaît aujourd’hui de ses cendres grâce au Gorongosa Restoration Project, un ambitieux programme de conservation et de protection qui tient également compte des populations humaines avoisinantes. Ce projet particulièrement innovant a pour objectif de développer son champ d’action jusqu’à l’océan Indien. Texte : Alexandre Caron, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), écologue de la santé et de la faune sauvage Photos : Carole Caron-Goulet Texte initialement publié dans Le Courrier de la Nature n° 334, septembre-octobre 2022 Un bruit d’eau, à la fois puissant et sourd, suivi d’un silence. Et ça recommence. Une régularité discontinue, besogneuse et animale. Je me réveille. J’ouvre ma tente et la silhouette d’un éléphant (Loxodonta africana) mâle, à l’apogée de sa maturité, se dessine de l’autre côté de la zone humide où le camp est installé. Je contemple la magnificence de l’espèce, ressens ce respect profond devant le plus imposant des mammifères terrestres. Et je fantasme son histoire. L’éléphant, rescapé de la guerre civile Il est probablement né avec le Mozambique, en 1975 (date de l’indépendance de ce pays d’Afrique australe), dans le Parc national du Gorongosa – qui fut une réserve de chasse jusqu’à la fin des années 1950 et est désormais le berceau d’une faune africaine diverse et abondante (parfois comparée à celle du Parc national tanzanien du Serengeti) forte d’une biomasse mammalienne de plus de 9 t/km2. Cet éléphant a probablement peu subi dans son jeune âge les conséquences de la guerre d’indépendance, débutée en 1964 et qui se solda en 1974 par la fuite des Portugais ; ces derniers avaient relativement protégé le parc pendant cette période. Mais la féroce guerre civile qui opposa le parti de la libération à la résistance nationale (Renamo) entre 1977 et 1994 a, elle, frappé la faune du parc de plein fouet. Dans le milieu des années 1980, la Renamo établit sa base opérationnelle dans le district de Gorongosa de la province de Sofala, au cœur de son habitat de savanes, de forêts et de prairies inondables : un parc national offre aux armées des ressources cruciales, en viande et en ivoire notamment. Cet éléphant qui apparaît à la lisière du camp est donc un rescapé de bombardements et de batailles rangées, ainsi que d’un abattage massif qui a failli éradiquer sa population durant ces deux décennies d’extrême instabilité politique. Les années qui suivirent laissèrent le pachyderme et les siens face à des populations humaines désœuvrées, sans autre choix que de chasser et braconner pour se nourrir. Au début des années 2000, plus de 90 % de la biomasse de grands mammifères avait disparu et certaines populations, comme celle des lycaons (Lycaons pictus), étaient décimées. Cet animal devant moi est bien un miraculé, qui vit pourtant aujourd’hui paisiblement. Après s’être nourri, il transite calmement vers sa prochaine destination. Les 4 000 km2 du parc du Gorongosa sont aujourd’hui redevenus un haut lieu de la conservation de la biodiversité au Mozambique et pour la région d’Afrique australe. Fruit d’un programme porté par la Fondation Carr, le Gorongosa Restoration Project, la renaissance de cet écrin africain pourrait s’élargir bien au-delà de la périphérie du parc : jusqu’à l’océan Indien, dans le delta du Zambèze. Extension du parc et réintroduction d’espèces Le succès du Gorongosa Restoration Project repose sur huit piliers (récemment présentés dans la revue Nature ). En premier lieu, la nécessité de protéger les derniers refuges et d’exploiter la résilience de la nature. Au sortir des deux décennies de guerre civile, les bailleurs internationaux commencèrent à réinvestir dans la conservation de la zone, notamment dans les infrastructures du parc, mais avec encore peu d’effet sur les populations de faune restantes. En 2004 cependant, le gouvernement du Mozambique et la Fondation Carr décidèrent de travailler ensemble afin de restaurer les infrastructures du parc mais aussi de rétablir la communauté d’animaux sauvages et d’encourager le développement de l’économie locale. Dès 2006, un sanctuaire de 60 km2 (soit 2 % de la surface du parc), délimité et bien protégé, permit ainsi la réintroduction de premières espèces (buffle africain Syncerus caffer, gnou Connochaetes gnou). Le succès de cette première collaboration initia la signature, en 2008, d’un accord de cogestion entre la Fondation et le gouvernement du Mozambique pour 20 ans. En 2010, le gouvernement étendit la superficie du parc pour inclure toute la zone située au-dessus de 700 m du mont Gorongosa (qui culmine à 1 863 m), à l’ouest du parc. Cette zone correspond au bassin versant assurant l’alimentation en eau des zones humides du parc, notamment le lac Urema, élément clef de son paysage ; le mont héberge par ailleurs une forêt d’afromontane riche en biodiversité. En 2014, avec un braconnage maîtrisé, le sanctuaire fut élargi pour couvrir l’ensemble du parc, après les réintroductions de 465 animaux de sept espèces différentes. Cependant, ces réintroductions, même si elles ont été cruciales pour relancer une dynamique de croissance et injecter du matériel génétique nouveau dans des populations survivantes très petites, n’ont représenté qu’une fraction relativement faible de l’augmentation totale du nombre d’individus. C’est surtout la protection de la zone qui a permis aux populations animales de connaître une croissance naturelle très rapide, pour se rapprocher en 2016 de la biomasse d’avant-guerre (80 %). Cependant, la composition de la communauté de grands mammifères a changé. Les grands herbivores autrefois dominants – dont l’éléphant, l’hippopotame (Hippopotamus amphibius), le buffle africain –, qui constituaient 89 % de la biomasse, n’en représentent plus aujourd’hui que 23 %. Les cobes à croissants (Kobus ellipsiprymnus) et d’autres antilopes de taille petite à moyenne prédominent désormais : en 2018, on compte plus de 55 000 cobes, qui représentent plus de 74 % des grands herbivores. Cette nouvelle communauté est encore en évolution et le futur dira si elle retrouvera sa composition d’origine ou établira une trajectoire évolutive nouvelle. En 2017, le lycaon a été réintroduit avec succès dans le parc. Une collaboration scientifique internationale En parallèle de ce travail de conservation, le deuxième pilier du Gorongosa Restoration Project vise à mieux connaître la biodiversité de la zone. Dès le démarrage du programme, la Fondation Carr a développé dans ce but une collaboration scientifique d’excellence : des chercheurs de 36 institutions issues de 13 pays ont contribué à inventorier la biodiversité végétale et animale – découvrant de nouvelles espèces –, à étudier la géologie du paysage et à comprendre le passé archéologique de la zone. Ce travail de recherche s’appuie sur d’impressionnantes infrastructures scientifiques de terrain. Le laboratoire de biodiversité E. O. Wilson héberge ainsi une collection permanente de la flore et de la faune locales, climatisée et bénéficiant d’un système de stockage moderne ; il s’agit de la première installation de ce type dans une zone protégée en Afrique. Le laboratoire est doté d’un dispositif d’extraction et de stockage de l’ADN pour faciliter la conservation du matériel génétique et chaque échantillon est référencé dans une base de données numérique dernière génération. Cet imposant dispositif faisant intervenir des scientifiques de renommée mondiale représente aussi un atout pour la jeunesse mozambicaine et permet de former des cadres spécialisés pour le gouvernement : c’est le troisième pilier du projet. Toutes les interventions réalisées […]
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