Le magot de l’Ourika : Un trésor dans le Haut-Atlas ?
À Setti Fadma, à 60 km au sud de Marrakech, dans le Haut-Atlas, au Maroc, un groupement d’acteurs réunis sous l’égide du Parc national de Toubkal a mis en place un plan local d’action pour la conservation du magot, ou macaque de Barbarie. La communauté locale, les scientifiques et l’administration forestière s’impliquent ensemble pour préserver à la fois les singes et leur environnement. Texte : Jan Siess, Professeur d’écologie, coordinateur d’un BTSA gestion et protection de la nature biqualifiant montagne au Lycée agricole Edgar Faure de Montmorot, 39570, co-animateur du Réseau Maroc pour la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche agricoles (DGER). Mohammed Znari, Salwa Namous, Laboratoire de biodiversité et de dynamique des écosystèmes, Département de biologie, Faculté des sciences de Semlalia, Université Cadi Ayyad, Marrakech 40 000, Maroc. Photos : Jan Siess Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 309, mars-avril 2018 C’est l’été à Setti Fadma. Le lever du soleil au-dessus des crêtes à l’est éclaire peu à peu la falaise et réchauffe les corps de ses rayons, la troupe s’ébranle. La journée d’un magot, ou macaque de Barbarie (Macaca sylvanus), commence par des séances intenses d’épouillage (ou grooming) à la fois pour réveiller les corps et les sens, mais aussi pour resserrer les liens entre individus de même parenté ou entre congénères d’un même groupe : les relations sociales au sein d’une bande d’une trentaine de singes répondent à un schéma strict. En effet, les femelles assurent la stabilité du groupe dans la durée, et pour cela ne le quittent jamais : elles héritent à la naissance d’un rang hiérarchique donné et le conservent normalement toute leur vie. Les femelles dominées tentent parfois de tisser des alliances avec d’autres femelles et des mâles pour tenter de grimper dans la hiérarchie. Les mâles, eux, naissent avec le statut de leur mère, mais doivent très vite faire leurs preuves face aux autres mâles pour s’assurer d’un certain rang. À la puberté, les mâles tentent souvent leur chance en changeant de groupe pour trouver de nouvelles femelles : ainsi la consanguinité au sein du groupe d’origine est évitée. Le magot forme donc des sociétés matriarcales dans lesquelles les femelles sont assurées d’une certaine stabilité sociale pendant que les mâles doivent, quant à eux, tisser des liens forts avec leurs congénères des deux sexes et faire leurs preuves pour pouvoir se reproduire aisément. Un milieu montagnard contraignant Après cette séance d’épouillage, les singes de Setti Fadma sortent de leur refuge vertical, souvent une falaise située autour de 1 500 m d’altitude, quelque part à flanc de montagne entre le bas de la vallée où coule l’oued Ourika vers 1 200 m jusqu’à 3 200 m pour les plus hautes crêtes qui surplombent la vallée. Nous sommes sur le versant nord du Haut-Atlas, à trois jours de marche du plus haut sommet d’Afrique du Nord, le Toubkal (4 167 m d’altitude). Ce flanc de l’Atlas est encore assez arrosé par les influences maritimes (540 mm de précipitations annuelles à Aghbalou). Ce relief granitique est couvert d’une forêt sclérophylle, constituée essentiellement de chêne vert (Quercus ilex) jusqu’à 2 500 m d’altitude, qui laisse la place ensuite au genévrier thurifère (Juniperus thurifera) (de1800 à 3 000 m d’altitude), essence hautement emblématique ayant conduit à la création du Parc national du Toubkal en 1942. Les falaises pour s’abriter, le chêne vert pour se nourrir et l’eau pour s’abreuver sont les trois constituants indispensables de l’habitat du singe magot dans le Haut-Atlas. Plus au nord-est, dans le Moyen-Atlas, la vie est plus douce pour les singes magots. À Azrou ou Ifrane par exemple, les précipitations sont abondantes du fait des influences maritimes méditerranéennes (780 mm de précipitations annuelles à Azrou), et le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) pourvoit au gîte et au couvert sur des terrains à la topographie peu marquée. Les singes y exploitent des domaines vitaux de superficie plus restreinte, car les ressources trophiques de la cédraie, de son sous-bois arbustif et de ses points d’eau sont plus abondantes. C’est d’ailleurs ces régions qui abritent les plus grands effectifs de singes : on y trouve les deux tiers de la population, soit 8 000 individus sur les 12 000 estimés que compterait encore l’espèce au niveau mondial. Au contraire, dans l’environnement montagnard relativement hostile du Haut-Atlas, les choses sont plus compliquées. L’eau et la nourriture sont difficiles à trouver sur les pentes raides. Les versants sont secs, et les chênes verts qui formaient jadis un couvert forestier dense et nourricier sont beaucoup plus épars et souvent tellement élagués par les humains qu’ils produisent trop peu de feuilles et de glands comestibles. Le tapis herbacé est, quant à lui, souvent absent ou très clairsemé à cause du pâturage intensif par les ovins. Les graines, feuilles et racines recherchées pour se nourrir sont donc rares. Dans les pentes les moins pâturées, et donc les moins érodées, tout le groupe avance à vitesse lente : par petits clans familiaux, les singes cueillent des feuilles, déterrent des racines (l’appareil végétatif des herbacées représente 45 % du régime alimentaire), ramassent des fruits ou des graines (20 % du régime alimentaire), retournent des pierres pour trouver des invertébrés qui se protègent du soleil (insectes, araignées et scorpions représentent 5 % du régime). Les plus jeunes montent dans les arbres, tant pour jouer que pour arracher des feuilles comestibles (30 % du régime). Entre singes et humains, une cohabitation délicate Faute de chêne vert aujourd’hui, notre groupe de singes rejoint rapidement un vallon alimenté par une cascade, où l’eau, rare par ailleurs, a permis de planter des noyers (Juglans regia) et de construire des séguias. Le noyer est l’arbre providentiel pour les singes en mal de chêne vert : les bourgeons, feuilles et fruits, d’abord verts, puis mûrs, sont très nourrissants. La noix, riche en huile, remplace facilement le gland à l’automne pour constituer les réserves de graisse pour l’hiver. Il s’agit de plus d’un arbre dont le calendrier saisonnier est proche de celui du chêne. Le noyer offre aussi un couvert protecteur permettant aux singes de se réfugier en hauteur. Ce que notre groupe s’empresse de faire ce matin, lorsque […]
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