Le ganga cata en Crau : merveilleux oiseau des steppes
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, la steppe de la Crau, dernière grande steppe pierreuse d’Europe, offre un paysage unique qui abrite un oiseau non moins exceptionnel : le ganga cata (Pterocles alchata alchata). Parfaitement adaptée à son milieu, cette espèce est aussi particulièrement fragile face à la dégradation de son habitat. Texte et photos : Alain Schall, naturaliste indépendant Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 333, mars-avril 2022 Au bout de la France sauvage, non loin de la Méditerranée et à côté de la Camargue, se trouve la dernière grande steppe pierreuse d’Europe. La Durance ayant dévié de son lit il y a environ 18 000 ans, le long processus de fossilisation du delta asséché a donné naissance à cette vaste pelouse semi-aride, couverte de galets issus des alluvions, qui abrite une nature rare : la Crau. Cet immense espace pâturé par les moutons, ponctué çà et là par la silhouette basse d’une vieille bergerie, est la terre d’accueil d’un fleuron de l’ornithologie française, une espèce emblématique appartenant à une famille ayant développé des adaptations étonnantes. Farouche, merveilleusement camouflé parmi les galets, cinglant à travers le ciel d’un vol puissant et très rapide… c’est le ganga cata (Pterocles alchata alchata) ! La formation originelle de la steppe de Crau totalisait une surface d’environ 55 000 ha, à peu près dans un triangle entre Arles, Lamanon (Salon-de-Provence) et Fos-sur-Mer. Elle offrait un ensemble uniforme de Crau sèche et de Crau humide, harmonieux, permettant aux oiseaux spécialisés et nécessitant de grands espaces, comme le ganga cata, d’en exploiter sans interruption spatiale toute la diversité des faciès végétaux. Aujourd’hui, le développement des cultures (notamment de parcelles dédiées à l’arboriculture fruitière), l’urbanisation, l’installation de structures industrielles, portuaires et militaires ainsi que du réseau routier ont fractionné cette extraordinaire entité et l’ont réduite à environ 11 500 ha. Si nous ignorons combien de gangas y nichaient il y a des siècles, les comptages effectués en 2012 et 2014 sous la direction du Conservatoire d’espaces naturels de Provence- Alpes-Côte d’Azur (CEN-Paca) permettent d’estimer la présence d’environ 400 individus, avec néanmoins une importante marge d’imprécision. Cette population montre indéniablement une chute des effectifs depuis les années 1980, une faible capacité d’adaptation aux bouleversements de son biotope ainsi qu’un taux de consanguinité plus élevé que ne le montrent les populations de l’espèce en Espagne, actuellement les plus proches de la Crau. La reserve des coussouls de Crau La Réserve naturelle nationale des coussouls de Crau a été créée en 2001 par décret ministériel. Totalisant une surface de 7 500 ha de steppe semi-aride, elle est cogérée par le Conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur (CEN Paca) et la chambre d’agriculture des Bouches- du-Rhône. Ce remarquable ensemble se situe dans ce qu’il reste aujourd’hui de la formation originelle de la steppe de la Crau, à savoir environ 11 500 ha. Les gangas, oiseaux des steppes Présent en péninsule ibérique et dans la steppe de la Crau, le ganga cata est l’une des 16 espèces de gangas existantes, toutes inféodées aux régions steppiques et désertiques de l’ancien monde. De tous les oiseaux qui habitent ces milieux offrant des conditions de vie extrêmes, les gangas sont probablement les plus spécialisés. Pour augmenter ses chances, l’observateur qui part à leur recherche en ces lieux souvent hostiles devra s’informer au mieux sur leur biologie et leurs habitudes ; il pourra ainsi, avec un moindre dérangement et davantage de réussite, soit les trouver au sol en train de se reposer ou de se nourrir, soit assister à la puissance extraordinaire de leur vol lors de leurs déplacements. Ceux-ci, accompagnés de leurs cris qui rompent le silence de ces espaces infinis, comptent parmi les plus beaux spectacles offerts à l’explorateur de ces lieux. Systématique Par leurs caractéristiques morphologiques et par leurs mœurs, les gangas ont longtemps été classés avec hésitation. Certaines analogies, comme le duvet des poussins, rapprocheraient les gangas des courvites, d’autres caractéristiques des pigeons et enfin d’autres encore, des glaréoles. Finalement, ces oiseaux très spécialisés ont été reclassés dans un ordre particulier, les Ptéroclidiformes, tout en restant au sein d‘une famille déjà plus anciennement créée : les Pteroclididae. Elle rassemble 16 espèces réparties en deux genres (Pterocles avec 14 espèces, et Syrrhaptes avec deux espèces). Toutes sont présentes dans les biotopes subdésertiques et désertiques de l’Afrique, de Madagascar, des Proche et Moyen-Orient, d’Asie centrale, d’Inde, de l’île de Fuerteventura aux Canaries, de la péninsule ibérique et du sud de la France. Parmi elles, deux seulement habitent l’Europe occidentale ; il s’agit du ganga unibande (P. orientalis) en péninsule ibérique et sur Fuerteventura, et du ganga cata (P. alchata alchata) en péninsule ibérique et dans la steppe de la Crau (Bouches-du-Rhône). Une sous-espèce nord- africaine et orientale existe également (P. alchata caudacutus). Les gangas sont des oiseaux au comportement exclusivement terrestre ; ils ne se perchent pas. Leur taille est approximativement celle d’une perdrix grise pour les espèces européennes, avec néanmoins une fourchette de poids pour l’ensemble du genre, qui varie de 140 g pour le ganga à face noire (Pterocles decoratus) à 550 g pour le plus grand, le ganga unibande (Pterocles orien- talis). Leur allure au sol, lorsqu’ils se déplacent, fait plutôt penser à des pigeons avec cependant un port davantage horizontal du cou et de la tête, qu’ils ne relèvent généralement que lorsqu’ils s’arrêtent de marcher pour observer. Leurs pattes sont courtes, emplumées sur le dessus des tarses et nues en dessous, sauf chez le genre Syrrhaptes où les pattes sont totalement emplumées. Le pouce des espèces du genre Pterocles montre une très forte réduction, alors qu’il est absent chez les Syrrhaptes. Leurs ailes étroites et pointues sont actionnées par des muscles pectoraux particulièrement développés et puissants permettant aux espèces les plus rapides (cata, paradoxal, tacheté…) d’atteindre de grandes vitesses de vol avoisinant les 100 km/h. Chez la plupart des espèces, on observe deux rectrices centrales très étroites se terminant en deux très longs filets, plus marqués chez le mâle. Parmi les autres caractéristiques, on note l’absence de cire à la naissance du bec, la présence d’une glande uropygienne développée, un hyporachis sur certaines plumes, un jabot comme chez les pigeons mais qui ne produit pas de lait et un important duvet chez les poussins dès la naissance. Les gangas ont également une paupière bien développée, colorée de bleu chez le ganga cata en période de reproduction, un œil particulièrement mobile, relativement orientable vers l’avant, le bas et l’arrière ainsi qu’un bec dur proche de celui des gallinacés. Les gangas sont nidifuges ; les pontes comportent généralement trois œufs de forme très ovale, avec le même arrondi aux deux extrémités. Par ailleurs, une particularité les distingue de tous les oiseaux : l’existence de plumes spéciales (que l’on pourrait appeler « plumes éponges ») à la face ventrale des mâles, leur permettant de retenir […]
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