Né en 1927, Pierre Pfeffer connut une vie mouvementée. Il vécut une partie de son enfance en Europe de l’Est, et manifesta très tôt sa vocation d’écologue au sein du cercle des jeunes naturalistes de l’école primaire soviétique, où il s’occupait des reptiles.
Il connut de terribles épreuves durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier la mort de son père, fusillé par les hitlériens, le poussant à rejoindre la résistance dans les maquis de l’Ardèche. En 1944, il s’engage dans la 2e division blindée en trichant sur son âge (il avait moins de 18 ans) et contribue à l’épopée de la campagne Rhin-Danube. Ayant participé à l’occupation dans les Alpes autrichiennes, il eut alors l’occasion de renouer avec sa vocation de naturaliste en s’intéressant aux chamois et autres mammifères de montagne. Démobilisé en 1947, il passe son bac au Lycée Henri IV puis étudie à la Faculté des Sciences de la Sorbonne. À l’invitation de camarades d’étude africains, il découvre pour la première fois en 1950 la grande faune qui peuplait alors encore les forêts et les savanes de la Côte d’Ivoire.
De retour en France, il rencontra le professeur Berlioz, directeur du Laboratoire des mammifères et des oiseaux du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), où il fut recruté. Membre d’une expédition dans l’est de l’Indonésie, il étudie le varan des Îles Komodo, auquel il dédie son mémoire de DES. Il se rend ensuite dans le centre de Bornéo, alors entièrement couvert de forêts vierges ombrophiles, où il collecte des échantillons de mammifères, de reptiles et d’arthropodes. Plus tard, il effectua pour le zoo de Vincennes plusieurs missions pour ramener des animaux. Leurs conditions de capture et de transport désastreuses suscitent chez lui une telle aversion qu’il s’engagera dans des mouvements militants ayant finalement permis de réglementer les conditions de captivité des animaux.
Sous la direction du professeur François Bourlière, il soutient sa thèse de Doctorat ès sciences sur le mouflon de Corse en 1959, année où il est nommé chargé de recherche au CNRS et affecté au Muséum à ce titre au laboratoire du professeur Berlioz.
Sur recommandation de Théodore Monod, il retourne en 1959 en Côte d’Ivoire, en tant que «naturaliste-voyageur» chargé de collecter des spécimens pour le MNHN. Dans le cadre de cette mission, à la demande de l’administration coloniale française, il se trouve obligé d’abattre des éléphants blessés ayant causé des accidents parmi les paysans. Cela fut à l’origine de son premier intérêt pour ces animaux, et les problèmes que posent les relations de cette espèce avec l’Homme.
Pierre Pfeffer a consacré essentiellement sa carrière scientifique à l’étude des grands mammifères (ongulés, fissipèdes, primates, et chiroptères). Il a également effectué un nombre significatif de publications en herpétologie et même en ornithologie. Il prit conscience très tôt des menaces pesant sur la biodiversité et les équilibres écologiques globaux, soulignant la nécessité des mesures de préservation. Nous citerons par exemple ses efforts pour sauvegarder les tigres et le kouprey du Cambodge (Bos sauveli), un des plus grands bovidés existants. Il est l’auteur d’un nombre important de publications scientifiques (250), certaines ayant été éditées dans La Terre et la Vie. Ses travaux lui ont valu d’être nommé en 1985 directeur de recherche au CNRS.
Pierre Pfeffer s’est engagé très tôt dans le combat pour la conservation de la nature et de sa biodiversité. Membre et secrétaire permanent en France du Conseil national de protection de la nature (CNPN) de 1978 à 1985, il figura aussi parmi les experts de la commission des espèces menacées de l’UICN pour l’Afrique. Il a été nommé président du WWF France de 1976 à 1983. Il a participé et parfois été à l’origine de la création de nombreux parcs nationaux (PN) et aires protégées (Parc du Mercantour en France, PN de Saint-Floris en République centrafricaine, Parc de Zakouma au Tchad). Dans le cadre de ses actions à la SNPN, dont il fut vice- président et secrétaire général, il a convaincu le parfumeur Jean-Pierre Guerlain de céder à l’État sa propriété du Lac de Grand-Lieu, devenue la Réserve naturelle nationale de Grand-Lieu, sous la condition que la SNPN en assure la gestion.
À partir de 1984 il lança la campagne mondiale « Amnistie pour les éléphants », et me demanda d’intervenir au titre de la SNPN auprès de l’UICN, dont j’étais alors membre du Bureau, pour qu’elle relaye cette action. L’objectif était de classer l’éléphant à l’annexe I de la CITES, ce que l’UICN finit par accomplir en dépit de la pression qu’exerçait alors l’Afrique du Sud, très impliquée dans le commerce de l’ivoire – ce que dénonçait avec la plus grande énergie Pierre Pfeffer.
Il a présenté en permanence une considérable activité de diffusion de la connaissance, qui s’est traduite par la publication de très nombreux articles et de livres destinés à un lectorat non spécialiste, mais aussi dans les médias : journaux, radio et télévision, cela de longue date. Ainsi, dès le début des années 1960, il participait à l’émission Les animaux du Monde du journaliste François de La Grange. Parmi ses nombreux livres, nous citerons Bivouacs à Bornéo (Flammarion, 1963), Zoo sans frontières (Hatier, 1970), Vie et mort d’un géant : l’éléphant d’Afrique (Hatier, 1989).
Avec sa disparition, les scientifiques de l’écologie et tous ceux qui contribuent à la préservation de la nature ont perdu un de leurs plus éminents représentants.