La Réserve naturelle libre de Nas en Ardèche
Un exemple de compatibilité entre protection de la nature et activités humaines Thomas et François-Régis, les deux fils de Dominique Gallix, militant actif à la SNPN, sont installés avec leur famille sur une propriété ardéchoise d’une cinquantaine d’hectares, sur la partie orientale du Massif Central. Dans un paysage vallonné et diversifié, composé de terres agricoles et de forêts, ils ont souhaité, en accord avec leurs fortes sensibilités écologiques, gérer et prendre soin de ce « morceau de Terre », dans le respect de la faune, de la flore et des habitats afin de vivre, au quotidien, les choix d’une relation harmonieuse. Texte et photos (sauf mention contraire) : Thomas Gallix Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 316, mai-juin 2019 Les nombreuses bogues de châtaignes grossissent, laissant présager une abondante récolte cette année. Les mûres sauvages remplissent nos paniers. En cette fin d’été, les dernières hirondelles se rassemblent au-dessus du hameau avant leur long voyage vers l’Afrique et nous observons encore une fois la famille de blaireaux : les jeunes de l’année ont tous les deux atteint une belle taille et sont prêts à affronter leur premier hiver. En Ardèche, une diversité de milieux, de paysages et d’espèces Le climat y est de type continental avec des saisons relativement bien marquées, cependant il reçoit d’assez fortes influences méditerranéennes du fait de la proximité de la vallée du Rhône. Certaines caractéristiques d’un climat montagnard peuvent aussi être ressenties sur les sommets et plateaux au-dessus de 700 mètres. Cette diversité climatique est à l’origine d’une forte diversité d’habitats et d’espèces. La roche, issue des anciens volcans, fournit des sols souvent acides, peu profonds et pauvres. De ce fait, l’agriculture locale est historiquement et majoritairement représentée par des fermes de moyenne ou petite taille aux productions diversifiées : élevage (bovins, caprins, ovins) et arboriculture (châtaignes, abricots, cerises, petits fruits). Notons que 12 % de la surface du département est cultivée en agriculture biologique. Les châtaigneraies de la région constituent, de par la présence d’arbres souvent multi-centenaires, un des éléments majeurs du patrimoine ardéchois, où trouvent refuge chouettes hulottes, mustélidés, pics, et invertébrés. La forêt, quasi inexistante dans la région au début du XXe siècle du fait d’une forte occupation du territoire rural, est de plus en plus présente dans les endroits les plus difficiles à cultiver. Elle couvre aujourd’hui 42 % du territoire, avec des mélanges entre pins sylvestres (Pinus sylvestris), châtaigniers (Castanea sativa), chênes (Quercus spp.) et hêtres (Fagus sylvatica) en altitude. On observe cependant une part croissante de plantations monospécifiques de pins Douglas (Pseudotsuga menziesii). Une autre des particularités de la région est la présence de terrasses aux murs de pierres sèches, symboles d’une activité humaine jadis très présente. Ces constructions qui s’étendent sur des centaines de kilomètres constituent un refuge de choix pour de nombreux petits animaux. La présence de terres incultes, landes et friches en raison de la déprise agricole offre un habitat privilégié pour la faune, notamment les abeilles qui y trouvent une flore spontanée diversifiée, et les oiseaux qui bénéficient des milieux ouverts prairiaux et non traités. Une propriété forestière devenue réserve libre C’est ici que notre grand-père acquit sa propriété en 1942, où il entreprit la gestion de 25 hectares de forêt et s’engagea dans la plantation de parcelles abandonnées jusqu’à son décès en 1999. Nous nous y installâmes avec nos deux familles en 2001. Naturalistes issus de formations en biologie et écologie, nous reprenons rapidement la gestion de la forêt. Depuis 2005, l’apiculture, l’arboriculture, la pépinière et le petit maraîchage se développent. Animateurs nature, nous aimons également accueillir des groupes sur place. Une jeune agricultrice pratique un élevage bovin en agriculture biologique sur cinq hectares. Le paysage de la propriété est varié : des pentes relativement fortes alternent avec de petits plateaux où la terre est cultivée ; les milieux ouverts (prés, cultures, vergers…) alternent avec les forêts. L’altitude est comprise entre 550 et 730 m. Des ruisseaux, par endroits, creusent des gorges aux abords abrupts et abritent la truite fario (Salmo trutta fario). De plus, une dizaine de mares ainsi qu’un lac de retenue collinaire de 500 m2 offrent un habitat de choix à sept espèces d’amphibiens comme la salamandre tachetée (Salamandra salamandra), mais aussi à la couleuvre à collier (Natrix natrix), sans compter les nombreux animaux qui viennent ponctuelle- ment s’y nourrir et s’y abreuver. Malgré le manque d’inventaires précis, nous estimons que la faune et la flore sur cette propriété sont relativement « communes », et nous n’y avons pas encore identifié d’espèces extrêmement rares ou particulières. La nature n’y est pas moins intéressante et mérite aussi toute notre attention. La présence du pic noir (Dryocopus martius), du circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus) ou d’au moins quatre espèces de chauves-souris, est tout de même encourageante et les éléments les plus intéressants sont ici de l’ordre de la diversité spécifique. Nous avons en effet dénombré pas moins de 95 espèces d’oiseaux dont 52 nicheurs, 23 espèces de mammifères, 7 d’amphibiens et 7 de reptiles. La forêt abrite pics, chiroptères, chouettes hulottes… mais aussi deux villages de blaireaux. Ce « tableau champêtre » n’est cependant pas sans embûches. L’activité apicole se révèle très difficile et nous sommes confrontés, ici comme ailleurs, à une perte importante de nos colonies. En 2008, un projet de 13 éoliennes industrielles, sur et à proximité du site, a menacé la tranquillité des lieux, avant d’être abandonné en 2010 suite à de nombreuses procédures et à une forte mobilisation citoyenne. Nous devons aussi faire face à la présence d’espèces envahissantes (ambroisie, frelon asiatique…) et aux conséquences du changement climatique. Enfin, la chasse est une activité très présente dans la région et nous nous trouvions en conflit avec les deux associations de chasse communales (ACCA) (tirs dangereux près des habitations et sur les chemins de randonnées, clôtures abimées, pratique de déterrage de blaireaux…). Pour toutes ces raisons, il nous semblait nécessaire de mettre en place un outil de protection. Suite à nos discussions, les deux ACCA instaurèrent en 2005 […]
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