La protection des espèces et des habitats en France (Partie 3)

Lac des Confins, Haute-Savoie. Photo : Aline Deprince

L’État protège-t-il bien les milieux naturels et les espèces qu’ils abritent ? En théorie, notre droit a imposé des interdictions et des évaluations ; en pratique, des dérogations trop systématiques rendent possibles la destruction d’espèces protégées et la dégradation de leurs habitats. Le droit prévoit que les projets d’aménagement soient soumis à une évaluation environnementale sous la forme d’études d’impact et de consultations, du public en particulier. Mais au fil des réécritures de la réglementation, ce processus s’érode dangereusement. Texte : Gabriel Ullmann*, docteur en droit, docteur-ingénieur *Gabriel Ullmann, membre de l’Autorité environnementale (Ae) au niveau national durant six ans, a été commissaire-enquêteur pendant 25 ans avant d’être radié de cette fonction, à la demande du préfet de l’Isère, après avoir rendu un nouvel avis défavorable à l’issue d’une enquête publique. Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 327, mars-avril 2021 Ce dossier spécial comprend 3 parties. Lire la partie 1 Lire la partie 2 Le déclin de la participation du public aux processus de décision Dans le Code de l’environnement, le chapitre sur l’information et la participation du public intervient au tout début du livre, juste après la Charte constitutionnelle de l’environnement. La législation française reconnaît par-là l’importance et la nécessité, pour le public, de prendre part aux processus décisionnels en matière d’environnement, sous quatre formes différentes. En premier lieu, les citoyens peuvent participer à l’élaboration de projets, plans et programmes lors des débats publics et des concertations préalables. Déjà largement documenté, ce volet ne sera pas traité dans le présent article. Ensuite, le public peut s’exprimer au travers des enquêtes publiques ou bien de leur ersatz, les consultations électroniques. Enfin, il peut intervenir dans l’élaboration des décisions publiques (essentiellement projets de textes réglementaires). Qu’est-ce qu’une enquête publique ? Lorsqu’un maître d’ouvrage compte réaliser des aménagements, des ouvrages ou des travaux, qui, en raison de leur nature, sont susceptibles de porter atteinte à l’environne- ment, certaines de ces opérations sont soumises à enquête publique. Il en est de même pour certains plans-programmes listés dans le Code de l’environnement. Cette enquête a pour objet d’assurer la complète information et la participation du public, ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers. Elle sert également à recueillir l’avis du public sur ces opérations, ainsi que de services administratifs et de collectivités, afin de permettre notamment à l’autorité décisionnaire de disposer des éléments d’appréciation nécessaires à son information. Toutefois, de par la régression accélérée du droit de l’environnement et la désindustrialisation du pays, le nombre d’enquêtes publiques ne fait que décroître depuis une dizaine d’années. Alors que l’on comptait entre 12 000 et 15 000 enquêtes par an il y a environ dix ans, ce ne furent plus que 9 000 enquêtes en 2012 et 2013, puis 6 200 enquêtes en 2016, moins de 6 000 en 2017, et 5 400 en 2018. Participation du public, oui, mais à quoi ? La convention d’Aarhus du Conseil de l’Europe du 25 juin 1998, considérée comme le pilier de la démocratie environnementale, vise « l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ». L’article 7 de notre Charte constitutionnelle de l’environnement, en édictant le principe de « participation du public à l’élaboration des décisions publiques » se révèle en retrait par rapport aux exigences de la Convention d’Aarhus qui reposent sur la participation du public non pas à l’élaboration des décisions mais au processus décisionnel. En effet, la participation au processus décisionnel sous-tend que le projet puisse être réversible ou, à tout le moins, être modifié profondément en fonction des résultats de la participation du public ; par contre le processus d’élaboration se limite quant à lui à associer le public à la décision, conduisant à apporter au projet des aménagements plus accessoires. Les dispositions européennes reposent également sur un principe de participation plus effectif que ne le retient le droit français. Ainsi, la directive européenne du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, soulignait l’importance de la participation effective du public à la prise de décisions, qui favorise « le respect de l’obligation de rendre des comptes et la transparence du processus décisionnel et contribue à sensibiliser le public aux problèmes de l’environnement et à obtenir qu’il apporte son soutien aux décisions prises ». Cette restriction en droit français au vrai principe de participation se retrouve pour les enquêtes publiques (art. L. 123-1 du Code de l’environnement). Elle est encore plus frappante, même si le processus se situe plus en amont, pour des projets majeurs soumis à la procédure du débat public, comme des projets d’aéroports, de champ d’éoliennes en mer, puisque la participation du public se limite au « processus d’élaboration des projets » (art. L. 121-1 du Code de l’environnement). La seule référence dans notre droit interne à la participation effective au processus décisionnel revient aux seules dispositions, fondamentales mais rarement pleinement appliquées, qui régissent le rôle du commissaire-enquêteur, édictées à l’article L. 123-13 (cf. p. 44). Toutefois, l’enquête publique intervient en fin de procédure, au moment où les options et solutions différentes de celles retenues par le maître d’ouvrage peuvent très difficilement être mises en œuvre sauf à reprendre entièrement le projet. Cela n’est pas conforme aux engagements européens de la France, notamment à l’égard de la convention d’Aarhus qui édicte que « chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence » (art. 6). Exigence qui est rappelée à l’article 8 : « Chaque Partie s’emploie à promouvoir une participation effective du public à un stade approprié, et tant que les options sont encore ouvertes. » Pour autant, tous les gouvernements français successifs ont considéré que le processus de participation en fin de procédure respectait bien ces engagements, confortés en cela de la jurisprudence du Conseil d’État qui, sans surprise, a […]

Accès restreint

Ce contenu est réservé aux abonnés du magazine Courrier de la Nature

S'abonner au magazine  Se connecter

Contenus liés