La protection des espèces et des habitats en France (Partie 1)

Lac des Confins, Haute-Savoie. Photo : Aline Deprince

L’État protège-t-il bien les milieux naturels et les espèces qu’ils abritent ? En théorie, notre droit a imposé des interdictions et des évaluations ; en pratique, des dérogations trop systématiques rendent possibles la destruction d’espèces protégées et la dégradation de leurs habitats. Le droit prévoit que les projets d’aménagement soient soumis à une évaluation environnementale sous la forme d’études d’impact et de consultations, du public en particulier. Mais au fil des réécritures de la réglementation, ce processus s’érode dangereusement. Texte : Gabriel Ullmann*, docteur en droit, docteur-ingénieur *Gabriel Ullmann, membre de l’Autorité environnementale (Ae) au niveau national durant six ans, a été commissaire-enquêteur pendant 25 ans avant d’être radié de cette fonction, à la demande du préfet de l’Isère, après avoir rendu un nouvel avis défavorable à l’issue d’une enquête publique. Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 327, mars-avril 2021 Ce dossier spécial comprend 3 parties. Lire la partie 2 Lire la partie 3 Des interdictions de destruction… et leurs constantes dérogations « L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l’avenir et ses semblables, semble travailler à l’anéantisse- ment de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. […] On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même, après avoir rendu le globe inhabitable ». Aphorisme contemporain ? Il s’agit d’une citation du savant Jean-Baptiste de Lamarck, qui alertait, dès 1820, sur l’évolution de notre planète. Il a fallu attendre la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature pour que des mesures strictes de protection soient prises en faveur d’un certain nombre d’espèces animales et végétales, sur tout le territoire national ou bien limitées à une zone localisée. Au niveau législatif, ces dispositions se retrouvent essentiellement dans les articles L. 411-1 et L. 411-2 du Code de l’environnement. La conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, y est justifiée en présence d’un intérêt scientifique particulier, par des nécessités de préservation du patrimoine naturel ou bien par le rôle écologique essentiel de ces espèces et de ces espaces. Une biodiversité encore riche, mais en plein effondrement Actuellement, on compte sur l’ensemble du territoire français plus de 9 500 espèces protégées. Ce nombre peut paraître suffisamment élevé pour assurer une protection efficiente de toutes ces espèces, mais si on le compare avec le nombre d’espèces présentes en France et celui d’espèces menacées, on se rend alors compte du déficit de protection. Ainsi, sont recensées à ce jour 182 854 espèces françaises de faune, de flore, de fonge (champignons, moisissures, levures) et de bactéries, terrestres et marines. Sur l’ensemble du territoire, 19 424 espèces sont endémiques, dont plus de 16 000 en Outre-mer (soit 84 % des espèces endémiques françaises). Au total, plus de 31 000 espèces sont évaluées dans les Listes rouges de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Notre pays, qui héberge quelque 10 % de la biodiversité mondiale connue à ce jour, a donc une lourde responsabilité dans la conservation de ces espèces. Avec 13 % de la surface terrestre couverte par des zones Natura 2000 (pour une moyenne de 18 % dans l’Union Européenne), la France se place seulement… 24e. Pour les espèces marines, les enjeux sont très importants puisque la France possède le deuxième espace maritime au monde, soit plus de 10 millions de km². Si 22,3 % de l’espace maritime français est classé « aires marines protégées », de nombreuses activités ayant un impact significatif sur les espèces et habitats continuent de se développer, en dépit des recommandations des scientifiques et malgré l’effondrement de la biodiversité marine. Résultat, seulement 1,5 % des mers françaises sont en réalité efficacement protégées. En matière de biodiversité, l’effondrement est déjà là. Peut-on qualifier autrement la disparition des trois-quarts de populations d’insectes, maillon essentiel de toute chaîne alimentaire ? Une étude de la société d’entomologie Krefeld démontre ainsi qu’en Allemagne, plus de 75 % de la biomasse des insectes volants a disparu en 27 ans au sein d’espaces pourtant protégés. Des travaux conduits en France par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Plaine et Val de Sèvre confirment le même déclin des insectes : -80 % de biomasse depuis 25 ans. Les résultats de deux études de suivi des oiseaux portées par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et le CNRS révèlent une accélération du déclin des espèces d’oiseaux communes, avec une chute de 38 % des effectifs d’oiseaux des milieux agricoles en 15 ans à peine. Les populations des 15 espèces menacées inscrites sur la Liste rouge des oiseaux nicheurs métropolitains ont décliné de 75 % sur la même période. Quel que soit le groupe considéré, la situation est similaire : plus […]

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