La popularité de la tortue d’Hermann, une épée à double tranchant !
Texte : Jean-Marie Ballouard, chargé de mission à la Station d’observation de protection des tortues et de leurs milieux (SOPTOM), Mélissa Conord, service civique à la SOPTOM, Audrey Johanny, service civique à la SOPTOM, Sébastien Caron, responsable conservation à la SOPTOM, Xavier Bonnet, directeur de recherche au centre d’étude biologique de Chizé, CNRS Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 328, mai-juin 2021
Les espèces emblématiques et populaires attirent davantage de moyens de conservation que les espèces mal aimées. Accroître le niveau d’empathie peut donc se révéler efficace pour protéger des espèces (cf. n° 311, p. 20 et 21). Mais cette stratégie peut aussi induire des effets indésirables. Le film Le monde de Némo, sorti en 2003, a soudainement fait augmenter la popularité des poissons des récifs coralliens, ce qui a entrainé une demande exponentielle en poissons clown d’aquarium et la surexploitation des populations sauvages pour la satisfaire. [1] Dans ce cas précis, les médias, en exacerbant l’attractivité émotionnelle des animaux, ont engendré chez le public un désir de possession pulsionnel. Les comportements délétères ainsi générés ont annihilé tous les bénéfices éducatifs espérés.
Le cas de la tortue d’Hermann (Testudo hermanni) fournit un exemple frappant pour mesurer à quel point le capital sympathie d’une espèce menacée peut induire un effet paradoxal. À l’instar de nombreuses tortues, cette espèce est populaire et bénéficie d’une image positive ; elle est souvent considérée comme un animal de compagnie ou de jardin. Mais dans un environnement de plus en plus anthropisé où les probabilités de rencontre avec les humains sont importantes, les tortues sont susceptibles d’être collectées dans leur milieu naturel, ce qui fragilise les populations sauvages et peut les mener à l’extinction.
Afin d’améliorer les messages de sensibilisation, des chercheurs ont réalisé en 2020 une enquête chez près de 1 500 enfants âgés de 7 à 11 ans dans le Var – dernier bastion de l’espèce à l’état sauvage en France continentale. [2] Un questionnaire portant sur 10 espèces a permis de mesurer l’attitude générale et les connaissances des enfants. Ces derniers devaient classer les animaux dans l’ordre de préférence selon deux critères : ceux qu’ils aiment le plus ; celui qu’ils veulent le plus protéger. Sans grande surprise, la majorité (80 %) a déclaré adorer les tortues. Bien que les enfants aiment davantage les dauphins, ils ont exprimé un désir de protection plus élevé pour les tortues. Mais 73 % d’entre eux ont aussi exprimé le désir d’en posséder une ; un nombre important (34 %) déclarant vouloir récolter les tortues rencontrées dans la nature ! L’affectif des enfants agit de façon positive (fort désir de protection) mais contreproductive pour protéger les tortues sauvages.
Ces résultats, à la fois encourageants et inquiétants, montrent que le levier affectif doit être utilisé avec précaution. Chez la tortue d’Hermann, élever le niveau d’empathie semble risqué : favoriser l’acquisition de connaissances de terrain est probablement plus sûr et plus efficace. En effet, les enfants ont une idée très floue des problèmes de conservation et de l’écologie de l’espèce. Tout comme de nombreux adultes, ils pensent à tort qu’il est préférable que les tortues soient à l’abri des incendies dans leur jardin plutôt que libres dans la nature. Cette vision doit cependant être nuancée. Tout d’abord, l’empathie n’est pas opposée à la protection des habitats et des populations sauvages : tout dépend de la nature du message que l’on fait passer aux publics cibles. En outre, chez les espèces souffrant d’une faible popularité comme les serpents, tous les messages éducatifs améliorant la réponse émotionnelle et une attitude positive sont bienvenus, le risque de collecte dans la nature étant minime. [3]
Références
- Yong D.L., et al. 2011. Reel conservation: Can big screen animations save tropical biodiversity? Tropical Conservation Science, 4(3), p. 244-253.
- Ballouard J.-M., et al. 2020. Is popularity a double-edged sword? Children want to protect but also harvest tortoises. The Journal of Environmental Education, 51(5), p. 347-360.
- Ballouard J.-M., et al. 2012. Influence of a field trip on the attitude of schoolchildren toward unpopular organisms: an experience with snakes. Journal of Herpetology, 46(3), p. 423-428.