La mélipone de Guadeloupe : Entre exploitation et conservation, un avenir en suspens

Les mélipones pratiquent la pollinisation vibratile, ici pour collecter le pollen d’une fleur d’aubergine sauvage (Solanum torvum). Photo : François Meurgey

La mélipone de Guadeloupe (Melipona variegatipes) suscite depuis peu curiosité et intérêt de la part de quelques apiculteurs professionnels et amateurs réunis au sein de l’Association des apiculteurs de la Guadeloupe (APIGUA). Curiosité, car cette abeille endémique possède une biologie particulière et parce qu’elle produit un miel réputé posséder des vertus curatives. Intérêt surtout, puisque ce miel, produit en petite quantité, difficile à récolter, peut se négocier entre deux et huit fois plus cher que le miel de l’abeille domestique. La mélipone de Guadeloupe, déjà menacée par les atteintes à ses habitats, peut-elle supporter cette soudaine ruée vers l’or ? C’est la question à laquelle une étude biologique et ethnozoologique a tenté de répondre. Texte et photos : François Meurgey, biologiste au muséum d’Histoire naturelle de Nantes Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 313, novembre-décembre 2018 Plus de 20 000 espèces d’abeilles (Apoïdea Anthopila) ont été répertoriées dans le monde et toutes dépendent du nectar et du pollen pour nourrir leurs larves. Parmi cette diversité, les abeilles sociales comme les mélipones, à l’instar des abeilles du genre Apis, se distinguent des abeilles non sociales (ou solitaires) par la complexité de leurs nids, l’organisation de la colonie en castes différenciées au niveau génétique, une reproduction du type haplodiploïde. La plupart produisent suffisamment de miel pour être exploitées par l’homme. Elles appartiennent à la famille des apidés et à la sous-famille des méliponinés, qui regroupe près de 500 espèces, majoritaire- ment forestières, dans les régions tropicales et subtropicales. Le genre Melipona regroupe environ 70 espèces, uniquement distribuées en zone néotropicale. En Amérique latine, l’élevage des abeilles de la tribu des Meliponini (dont Melipona) est pratiqué depuis l’époque maya. De nos jours, surtout en Amazonie brésilienne et en Guyane française, plusieurs espèces sont ainsi exploitées pour leur miel. Et partout où elles sont présentes, ces méliponines font l’objet de cueillette des nids qui, conjuguée à la déforestation, peut être un facteur d’extinction d’espèces, comme cela a été le cas au Yucatán. Les abeilles continuent d’être élevées de manière plus ou moins rationnelle pour la production et le commerce, car les usages traditionnels, thérapeutiques ou religieux associés au miel et à la propolis (substance composée de cire et de résine végétale), restent vivaces. Les méliponines ne possèdent pas d’aiguillon venimeux, ce qui facilite la gestion des colonies et en fait des animaux très souvent utilisés dans des actions pédagogiques liées à l’environnement. Les mélipones aux Antilles Aux Antilles, ces abeilles tropicales ne sont représentées que par trois espèces appartenant au même genre. Melipona beechei, présente à Cuba, y a été introduite depuis le Yucatán par les Amérindiens. Ce n’est que dans les Petites Antilles que l’on rencontre des espèces indigènes : l’une sur l’île de Montserrat (M. lautipes), l’autre en Guadeloupe et à la Dominique (M. variegatipes). La mélipone de Guadeloupe n’est donc représentée au monde que sur un territoire restreint, d’environ 1 600 km2 ! Et peut-être moins encore : en effet, d’après les renseignements que nous avons pu obtenir auprès de la tribu des Kalinagos, à la Dominique, la méliponiculture y est inconnue et l’espèce y est rarement observée. De plus, le passage dévastateur du cyclone Maria, en septembre 2017, laisse craindre que l’espèce ait subi d’importantes pertes, à la fois de population, mais également d’habitats. À l’état sauvage, les colonies de mélipones de Guadeloupe s’installent dans des cavités d’arbres vivants. Le nid est protégé par plusieurs enveloppes de cire (on l’appelle alors involucrum). Les abeilles y accèdent par un tube qui se prolonge vers l’extérieur, dont le diamètre varie de 10 à 20 mm. Ce tube est construit en cire et en propolis, et l’ensemble est renforcé par de la terre. Une ou plusieurs gardiennes, dont le rôle est de défendre la colonie contre d’éventuels prédateurs, sont postées en permanence à l’entrée. Les mélipones s’organisent en castes (reine, ouvrières et mâles, appelés drones). Une seule femelle est fécondée, mais jusqu’à 25 % de la colonie peut être constituée de reines vierges, dont certaines vivent dans la colonie et d’autres sont tuées si elles sont trop nombreuses. Le couvain, en position centrale dans la cavité, est disposé horizontalement (et non verticalement comme chez l’abeille domestique). Autour sont disposées les réserves de miel et de pollen, contenues dans de petits pots constitués de cire d’une contenance de 11 à 20 ml, empilés les uns sur les autres. Les colonies de mélipones de Guadeloupe comptent entre 250 et 400 individus, et produisent au maximum un litre de miel par année (contre 60 000 abeilles domestiques par ruche produisant environ 50 litres de miel par année). La méliponiculture en Guadeloupe Dès 1654, Jean-Baptiste du Tertre rapporte ses observations sur une abeille singulière : « Ces abeilles sont la moitié plus petites que celles de France, et n’ont point du tout d’aiguillon. Elles font leur petit ménage dans les arbres creux et leur miel est dans de petites bouteilles de cire, qui sont grosses comme des œufs de pigeon, dont chacune contient une demi-once de miel fort clair, bien épuré, de couleur d’ambre, d’un goût fort aromatique et meilleur que celui de France ». Et déjà, des velléités d’exploitation de cette prometteuse espèce avaient été tentées, sans succès, notamment à cause du fait que les techniques employées alors s’apparentaient à celles utilisées pour l’abeille domestique, et pas à la biologie ou l’écologie de la mélipone. Là encore, du Tertre, quelque peu visionnaire, précise: « En premier lieu, il n’y en a pas du tout de privées, elles sont toutes sauvages et je ne crois pas qu’on puisse jamais les apprivoiser ». Mais il faudra attendre 1893 pour que cette espèce soit scientifiquement décrite. Puis, l’espèce n’est plus étudiée avant 2010, année durant laquelle des travaux de recherche sur les abeilles sauvages des Petites Antilles menées par le muséum d’Histoire naturelle de […]

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