La main des mammifères arboricoles : Une question anatomique

La photo par laquelle tout a commencé. Elle révèle ce que l’observateur n’avait pas repéré : ce singe hurleur brun (Alouatta guariba), au sud du Brésil, oppose deux doigts à trois doigts pour saisir le câble électrique sur lequel il évolue. Photo : François Moutou

Les pouces opposables sont vus comme une caractéristique commune à tous les primates. Or, en observant a posteriori une photographie de singe hurleur brun prise au Brésil, il nous est apparu que ce n’était pas le cas. Comment les mammifères grimpeurs se servent-ils de leurs doigts ? Voici une poignée d’observations comportementales et anatomiques portées sur différentes mains de mammifères arboricoles. Texte et photos : François Moutou, docteur vétérinaire, vice-président de la SNPN Illustrations : Odile Bernard-Panné Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 320, janvier-février 2020 Au sud du Brésil, la réserve biologique de Lami héberge probablement trois troupes de singes hurleurs bruns (Alouatta guariba), localement appelés bugio-ruivo. L’espace protégé, clôturé côté terre et s’ouvrant sur la lagune de Guaíba côté mer, couvre près de 300 hectares. Une route longe la clôture de la réserve. Quelques maisons avec jardin sont présentes de l’autre côté. Comme les singes les visitent à l’occasion, des échelles de corde au-dessus de la chaussée sont installées à leur intention entre les arbres. Cela leur évite de se faire écraser par les véhicules ou menacer par les chiens. Ces animaux ont certes une voix qui porte loin mais ils ne sont pas gros : un mâle adulte ne pèse pas plus de 5 à 7 kg et la femelle est plus légère. Ce jour-là, un petit groupe de singes mange de jeunes pousses à moins de trois mètres au-dessus du sol dans un grand arbre au bord de la route. Ils repartent ensuite vers la réserve à travers un bosquet puis enjambent la route en marchant sur un câble électrique. Ils n’utilisent pas leur longue queue préhensile, seulement leurs quatre « mains ». Les câbles de la région sont quasiment tous protégés pour éviter aux singes un risque d’électrocution. Ils ne semblent pas utiliser si souvent les échelles ! Durant leur passage funambule à découvert, bien éclairés, les singes sont assez proches et ne paraissent pas trop gênés d’être observés et photographiés, ce que nous faisons abondamment. Pouce ! Surprise en regardant les clichés sur un écran d’ordinateur : les singes hurleurs tiennent le fil dans une pince faite avec d’un côté le pouce et l’index et de l’autre les trois autres doigts. Les deux premiers doigts sont « opposables » aux trois autres. Dans ce geste assez particulier, non remarqué sur place, ce n’est pas le pouce qui se mobilise face aux quatre autres doigts de la main. Les singes n’ont donc pas tous la même main ! Chez les mammifères arboricoles, on retrouve quelques grands schémas communs utilisés pour grimper aux arbres, d’un ordre zoologique à l’autre. Proximité phylogénétique et phénomènes de convergence doivent se partager les processus. Deux grandes tendances apparaissent : la main pour se tenir et la main pour manipuler. Dans le premier cas il est question de sécurité et de puissance, dans le second de dextérité et de sensibilité. Chez les mammifères arboricoles, la main préhensile est-elle donc un moyen de déplacement, un outil pour se nourrir, ou les deux ? Le pouce opposable aux autres doigts n’est qu’une des multiples adaptations biologiques de la main, y compris chez les primates. Deux autres outils complémentaires sont régulièrement présents : des griffes solides et pointues, et des paumes équipées de surfaces et de coussinets palmaires antidérapants, adaptés aux troncs lisses ou aux supports glissants. Le dessous des doigts peut également être antidérapant et très sensible à son extrémité, au niveau de la pulpe. Certaines espèces disposent d’un équipement corporel encore plus complet avec une queue bien développée, utile pour l’équilibre, parfois même préhensile. Les mammifères arboricoles ont souvent des membres antérieurs capables de mouvements embrassants, avec une clavicule au niveau de l’épaule et des articulations souples au niveau du poignet et de la cheville. Curieusement il semble exister moins de fantaisie anatomique sur le pied de ces mêmes espèces. Quand le pied est préhensile, c’est son pouce qui s’oppose aux autres orteils. Son usage parait lié à la seule locomotion dans les branches. Chez les primates cette adaptation semble plus ancienne que le pouce opposable de la main. Voici quelques-unes des solutions retenues, sans rechercher l’exhaustivité, ni dans les exemples, ni dans les mécanismes. Grimper avec des griffes Les écureuils possèdent des doigts assez longs, libres, capables de bien s’écarter latéralement, mais sans pouce opposable. Un écureuil assis qui ronge une noisette dans ses mains la serre entre ses deux paumes. Il ne sait pas manipuler avec une seule main – même si d’autres rongeurs le peuvent et disposent d’un pouce plus mobile. Ce sont les griffes et leur masse légère qui permettent aux écureuils de virevolter sur les troncs et dans les houppiers. De nombreuses autres espèces de rongeurs, le plus souvent de petite taille, grimpent aux arbres. Les écureuils arboricoles les plus lourds dépassent rarement 2 kg. L’ourson coquau (Erethizon dorsatum) ou porc-épic nord-américain qui atteint 12 kg représente un des rongeurs arboricoles les plus lourds. Ce n’est pas très différent chez les carnivores arboricoles, même si viverridés (civettes, genettes) et félidés possèdent en plus des griffes semi-rétractiles ou rétractiles. Les coatis (genre Nasua, procyonidés sud-américains) possèdent des griffes plutôt de type fouisseur que grimpeur et sont pourtant bien habiles dans les arbres. Les ours bruns (Ursus arctos) font partie […]

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