La grande nacre de Méditerranée : un coquillage au bord de l’extinction
Plus grand coquillage de la mer Méditerranée dont elle est endémique, la grande nacre Pinna nobilis avait quasiment disparu dans les années 1960-1970 du fait de pressions anthropiques. L’espèce, bénéficiant depuis plus de 30 ans de mesures de protection au niveau national et européen, se portait mieux jusqu’à récemment. Hélas, depuis 2016, une pandémie causée par un parasite ravage ses populations dans toute la mer Méditerranée. Texte : Serge Planes, Claire Peyran, Titouan Morage du Criobe (Université de Perpignan) et Pascal Romans de l’Observatoire océanologique de Banyuls (Sorbonne université) Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 333, mars-avril 2022 La grande nacre de Méditerranée (Pinna nobilis) est, comme son nom l’indique, endémique de la mer Méditerranée. Avec une taille pouvant atteindre plus d’un mètre, ce mollusque bivalve est le plus grand coquillage de cette région, et le deuxième dans le monde, après le bénitier Tridacna gigas. Le long des côtes méditerranéennes, la grande nacre est souvent associée aux herbiers de phanérogames (posidonies, zostères ou cymodocées), même si elle peut également vivre sur des substrats vaseux dépourvus de végétation. L’espèce colonise généralement les zones peu profondes, même si elle a déjà été observée jusqu’à des profondeurs de 60 m – au-delà, le développement de l’herbier est limité par la faible intensité lumineuse et la transparence de l’eau. Des populations denses ont également été observées sur des substrats vaseux dépourvus de végétation, dans les lagunes par exemple, ou dans des habitats inattendus, plus dégradés, comme les ports. La grande nacre vit ancrée dans le sédiment jusqu’à environ un tiers de sa hauteur, grâce à un ensemble de filaments appelé byssus qui lui permet de se fixer dans des substrats meubles et au sein des herbiers sous-marins. Organisme filtreur, elle s’oriente et s’incline dans le sens du courant afin d’en retenir le plancton et la matière organique nécessaires à sa croissance. La grande nacre joue un rôle écologique important en filtrant les éléments en suspension, accélérant ainsi le recyclage de la matière organique. De plus, sa grande coquille est colonisée par une multitude d’organismes épibiontes car elle procure un substrat dur dans des habitats majoritairement constitués de substrats meubles, ce qui contribue à augmenter, localement, la complexité de l’habitat et la biodiversité. Les grandes nacres de Méditerranée sont des organismes hermaphrodites successifs à maturation asynchrone : les gonades mâles et femelles sont présentes chez un même individu, mais avec des stades de développement décalés dans le temps, évitant ainsi l’autofécondation. Après la fécondation, les œufs sont expulsés par les femelles sous forme de cordons rose orangé. Chaque femelle peut émettre des centaines de milliers d’œufs au cours d’une même ponte. Ceux-ci donnent naissance à des larves de quelques dizaines de microns, qui vivent en pleine eau. Dix à 20 jours après l’éclosion, la larve subit une ultime métamorphose puis s’ancre dans le sol pour continuer sa croissance jusqu’à devenir adulte, au bout de quelques années. Comme chez la plupart des mollusques bivalves, certaines années exceptionnelles en matière de reproduction jouent un rôle clef dans la dynamique de l’espèce. Les prédateurs naturels classiquement mentionnés de P. nobilis sont le poulpe commun (Octopus vulgaris) et la daurade (Sparus aurata), mais il est probable que d’autres espèces (étoiles de mer, crustacés, poissons divers, etc.) soient prédatrices des stades juvéniles. Les pressions que subissent les populations sont très importantes, essentiellement à cause des activités anthropiques (ancrage des bateaux, collecte par des plongeurs peu scrupuleux, pollutions, réduction et fragmentation de son habitat). Par exemple, jusqu’aux années 2010, l’espèce était encore proposée à la carte de beaucoup de restaurants méditerranéens. Toutes ces pressions ont contribué à la réduction des populations de grandes nacres. Après avoir quasiment disparu dans les années 1960-1970, l’espèce est désormais protégée : la rareté de Pinna nobilis, couplée à son endémisme méditerranéen, ont conduit à la mise en place, au cours des 30 dernières années, d’un ensemble législatif conséquent pour en assurer la protection, au niveau national, mais aussi européen et international. Malgré ce statut d’espèce protégée, la grande nacre demeure très méconnue car trop peu d’études lui ont été consacrées que ce soit au niveau de la région Occitanie ou plus largement au niveau national ou international. Ces mesures de protection se sont avérées efficaces puisqu’au cours des dernières décennies l’espèce s’est pérennisée. De nouvelles populations denses ont également fait leur apparition dans des habitats parfois très anthropisés, voire dégradés, comme les ports ou les lagunes. Histoire Les grandes nacres ont longtemps été exploitées, depuis l’antiquité jusqu’au XIXe siècle, pour la consommation, la fabrication de boutons ou de bijoux à partir de la nacre de sa coquille ou encore la confection de soie marine à partir de son byssus. Ainsi, la légende veut que la toison d’or de Jason aurait été tissée à partir de byssus de grandes nacres. Il en est également fait mention dans le livre Vingt mille lieues sous les mers de Jules Vernes où le Dr Pierre Aronnax évoque souvent ses vêtements fait de byssus, qu’il décrit ainsi : « […] fabriqués avec les filaments lustrés et soyeux qui rattachent aux rochers les « jambonneaux », sortes de coquilles très abondantes sur les rivages de la Méditerranée. Autrefois, on en faisait de belles étoffes, des bas, des gants, car ils étaient à la fois très moelleux et très chauds. » L’arrivée d’un nouveau parasite Mais malgré cette politique de conservation mise en place depuis plus de trente ans, la grande nacre fait aujourd’hui face à une crise majeure qui […]
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