La création d’aires protégées : Analyse des engagements français et européens
En mai 2019, le Président de la République a fixé l’objectif d’atteindre, en 2022, 30 % d’aires terrestres et marines protégées, dont un tiers sous protection forte (soit 10 % de la surface du territoire national). Quel est le contenu réel et les enjeux de cet objectif ? Plus globalement, que sont les aires protégées ? Que nomme-t-on protection forte ? Quelle est la situation actuelle par rapport à cet objectif ? Texte : Bernard Chevassus-au-Louis, président de l’association Humanité et Biodiversité, Rémi Luglia, président de la Société nationale de protection de la nature Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 331, novembre-décembre 2021 Le 6 mai 2019, après avoir reçu les experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) venus lui présenter leur rapport sur l’état de la biodiversité, le Président de la République déclarait : « D’ici 2022, nous porterons à 30 % la part de nos aires marines et terrestres protégées, dont un tiers d’aires protégées en pleine naturalité, ce qui est un renforcement, en particulier sur le plan maritime, considérable, mais surtout une intensification de cette protection dans les aires protégées, avec cet objectif de 30 % en pleine naturalité ». La stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 sous- titrée « Ramener la nature dans nos vies », proposée par la Commission en mai 2020, affiche également des objectifs similaires, ainsi que le projet de Cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020, publié le 5 juillet 2021 et qui sera examiné lors de la prochaine réunion plénière de la Convention sur la diversité biologique (CDB), prévue en Chine au printemps 2022 (Convention des Parties, aussi appelée COP 15). Une notion recouvrant des réalités diverses Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un espace protégé est « un espace géographique claire- ment défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». Cette notion recouvre une grande diversité de situations concrètes, qui peuvent en outre varier d’un pays à l’autre. Ainsi, en France, il n’existe pas de définition légale et générique de la notion d’aires ou d’espaces « protégés » : celle-ci regroupe une série de dispositifs considérés comme contribuant à une protection spatiale d’espèces ou d’habitats. Au 15 mars 2021, l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) recensait 4 085 « espaces protégés » appartenant à 21 statuts de protection différents, auxquels il faut ajouter les sites Natura 2000, au nombre de 1 755. Cet inventaire ne comprend ni les Espaces naturels sensibles (ENS) acquis par les départements, ni les espaces de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, ni les initiatives privées. L’INPN regroupe ces statuts de protection en quatre types : la protection réglementaire (par une loi, un décret ou un arrêté) dont l’exemple type est la réserve naturelle (qu’elle soit nationale ou régionale) ; la protection contractuelle (par une convention entre les parties prenantes), comme dans le cas des parcs naturels régionaux ; la protection par la maîtrise foncière, comme les terrains acquis par le Conservatoire du littoral ; et enfin la protection au titre de conventions et d’engagements européens et internationaux, par exemple Natura 2000 ou la convention de Ramsar. Il est important de souligner que cette typologie par les outils de protection ne permet pas de juger de l’intensité des mesures de protection. Par exemple, les sites acquis par le Conservatoire du littoral peuvent accueillir des activités agricoles ou récréatives. De même, la chasse n’est pas interdite dans le Parc national de forêts récemment créé (en 2020) en Champagne et Bourgogne. On pourrait s’interroger également sur le statut des forêts domaniales, qui ne sont pas incluses dans cet inventaire alors que leur fonctionnement est assez comparable à celui des sites du Conservatoire du littoral (maîtrise foncière, plan de gestion). En outre, une même entité peut mobiliser des types de protection différents, comme dans le cas des parcs nationaux, au sein desquels on peut trouver des réserves naturelles. Pour mesurer cette intensité des mesures de protection, l’UICN a proposé en 1994 une typologie en six niveaux. Cette classification fondée sur la limitation plus ou moins forte des activités humaines, globalement considérées comme des « perturbations », place donc au sommet la notion de « réserve intégrale », qui avait été promue dès 1912 avec la création de la « réserve ornithologique » des Sept-Îles grâce à un arrêté préfectoral interdisant la destruction des macareux, puis en 1927 lors de la création de la réserve naturelle de Camargue qui visait le respect absolu de la faune et de la flore. À l’inverse, elle place en dernier les aires gérées principalement au profit des humains. Cette typologie constitue un cadre de référence intéressant, mais l’attribution d’un dispositif français à l’une de ces catégories ne va pas sans poser quelques problèmes d’interprétation. Une « protection forte » à définition variable À côté de la classification proposée par l’UICN, une autre notion utilisée en France est celle de « protection forte ». Sans faire l’objet d’une définition explicite, cette notion était le fondement de la stratégie nationale de création d’aires protégées (Scap) lancée en 2009, qui visait à porter les surfaces sous protection forte à 2 % du territoire terrestre métropolitain par le biais d’un sous- ensemble d’outils de protection réglementaire (arrêtés préfectoraux de protection, réserves naturelles ou biologiques, cœur des parcs nationaux) relevant plus ou moins des catégories I et II de l’UICN. Ce n’est que récemment, dans la nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées (Snap) pour 2030 présentée en […]
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