Incendie de la plaine des Maures : bilan et perspectives
L’incendie d’août 2021 dans la plaine des Maures a suscité de nombreuses réactions : retrait de la gestion de la réserve par le département du Var, critiques à l’encontre de sa gestion, propositions d’intervention sur le milieu naturel plus ou moins farfelues. Un an après le feu, il est bon de faire la part des choses et d’évaluer quelles sont les conséquences attendues de cet incendie sur les richesses biologiques de la réserve naturelle.
Texte et photos : Marc Cheylan, président du Conseil scientifique de la Réserve naturelle nationale de la plaine des Maures Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 335, novembre-décembre 2022
Le 16 août 2021, un incendie se déclarait sur l’aire d’autoroute des Sigues, à quelques centaines de mètres de la Réserve naturelle nationale de la plaine des Maures, dans le Var. les conditions météorologiques extrêmes de cette fin d’été (vent violent, températures très élevées et forte sécheresse) laissaient peu de chances d’en venir rapidement à bout et malgré l’importance des moyens mis en œuvre par les services de secours, celui-ci a parcouru 6 832 ha et altéré 52 % des habitats naturels de la réserve. Comme ce fut le cas lors des précédents grands incendies en 1979, 1990 et 2003 dans le massif des Maures, ce feu a provoqué beaucoup d’émois, beaucoup de polémiques et beaucoup de fausses vérités ; chacun y est allé de ses solutions-miracle, sans tenir compte du savoir disponible sur le sujet. Or, les incendies de forêts sont l’objet de recherches depuis des décennies, en France comme dans de nombreuses régions du monde [1] [2], ce qui permet de s’appuyer sur des données objectives, accumulées sur un grand nombre d’années d’étude pour juger de leurs effets sur la biodiversité, et sur la nature de façon plus globale.
Les impacts variables des feux de forêts
La question qui revient toujours après un grand feu est la suivante : combien faudra-t-il de temps pour que la nature retrouve son état initial ? Comme on peut s’y attendre, la réponse que peut apporter le biologiste est nuancée et plurielle, tout bonnement parce qu’il n’y a pas un feu mais des feux, et parce qu’il n’y a pas la nature mais des natures. Il y a tout d’abord une différence importante selon que le sol est de nature calcaire ou siliceuse. Sur sols calcaires, certains arbres adaptés au feu comme le chêne liège et le pin parasol ne poussent pas. De ce fait, la régénération de la forêt à partir de semis ou de rejets de souches sera bien plus lente. En second lieu, du fait d’une topographie sur un horizon plat, l’érosion du sol sera bien moins active que sur sol pentu, avec des pertes de sol négligeables et donc une meilleure survie de la végétation. La notion de résilience écologique est donc une notion complexe, d’autant qu’elle implique théoriquement un retour à l’état initial avant perturbation. Mais de quel état initial parle-t-on ? Beaucoup d’études sur les incendies ont en effet porté sur des écosystèmes déjà bien dégradés : taillis de chênes blancs ou verts, pinèdes de pins d’Alep, garrigues plus ou moins développées. Dans ce cas, le retour à l’état initial peut se faire en quelques années ou quelques décennies, mais à partir d’un état de pré-perturbation qui ne représente en rien le véritable état initial de l’écosystème, en particulier sa végétation potentielle.
De plus, chaque feu a sa particularité : certains sont lents et homogènes (les plus destructeurs), d’autres sont rapides et laissent derrière eux de nombreuses taches de végétation intactes qui seront autant de refuges pour la biodiversité. La date du feu est également de grande importance. Un feu de début d’été laissera une terre nue durant de nombreux mois, jusqu’aux pluies d’automne voire d’hiver, tandis qu’un feu de fin d’été, suivi de bonnes pluies, sera plus vite cicatrisé et, surtout, offrira plus rapidement des ressources pour la végétation et pour la faune. Enfin, et cela prend une importance particulière aujourd’hui, les conséquences d’un feu sont également liées aux conditions climatiques post-incendie. Ainsi, l’exceptionnelle période de sécheresse de l’été 2022 aura très certainement des effets cumulatifs très dommageables sur les milieux naturels touchés par le feu. Mais le point le plus important – et souvent négligé dans les études – est la fréquence du feu. La récurrence des incendies sur un lieu donné constitue en effet le principal facteur d’altération de l’écosystème et de sa trajectoire future. Un passage de feu tous les 20 ans n’entraîne pas les mêmes conséquences qu’un passage de feu tous les 50 ans. En conséquence, il convient de tenir compte de nombreux paramètres pour évaluer la gravité d’un incendie de forêt.
Une fréquence inquiétante
Le feu qui a parcouru la plaine des Maures en août 2021 peut être qualifié de modérément sévère dans la mesure où il s’est propagé très vite, laissant de nombreuses zones intactes, et à une période relativement tardive dans la saison. Mais il fait suite à un grand incendie qui s’était développé sur une grande partie de la plaine des Maures en 1979 et à un incendie plus réduit (529 ha) mais néanmoins conséquent en 1989. Cela représente un rythme de feu assez soutenu sur ce territoire.
Les études menées dans des environnements voisins sur le plan écologique de ceux de la plaine des Maures (massif des Albères dans les Pyrénées orientales, massif des Maures) apportent des éléments assez précis sur la résilience de ce type d’écosystèmes face au feu. Elles montrent que chaque espèce a sa propre dynamique, certaines pouvant reconstituer leurs populations très rapidement (comme les plantes à bulbes ou à rhizomes, les légumineuses, les petits rongeurs, des lézards ou bon nombre de petits passereaux), d’autres très lentement, notamment certains végétaux ligneux caducifoliés, la tortue d’Hermann (Testudo hermanni), la salamandre commune (Salamandra salamandra), etc. [3] L’étude des sols montre que la plupart des paramètres bio-géochimiques sont quantitativement récupérés au bout de 15 à 25 ans, bien qu’un demi-siècle environ soit nécessaire pour récupérer les aspects qualitatifs, notamment au niveau de la matière organique, des cycles biogéochimiques, et du fonctionnement microbiologique du sol. [4] La microfaune du sol semble quant à elle pouvoir se reconstituer au bout d’une vingtaine d’années. De façon générale, les jeunes forêts de chênes verts retrouvent leur état initial après 40 ans, les forêts de chênes-lièges plus rapidement (6-18 ans) du fait de leur protection naturelle. L’avifaune retrouve quant à elle sa composition initiale au bout de 30 ans dans les forêts de chênes verts et après 5-7 ans dans les forêts de chênes-lièges. [5] Ainsi, la plupart des auteurs s’accordent pour dire que les forêts méditerranéennes de chênes supportent un rythme de feu compris entre 30 et 50 ans, bien que l’absence de feux durant 150 à 200 ans soit requise pour atteindre une réelle « maturité biologique de l’écosystème », marquée par la reconstitution d’un stock significatif de carbone dans les horizons superficiels du sol et une pleine expression de la structure et de la composition floristique.
La fréquence des feux dans la plaine des Maures se rapproche donc du seuil de rupture de l’écosystème, c’est-à-dire du passage d’un état métastable à une modification irréversible de sa structure et de son fonctionnement. L’étude des populations de tortues d’Hermann, espèce emblématique de la réserve, montre que celle-ci a subi de fortes pertes, estimées à 60-70 % au sein de la réserve naturelle. [6] De précédentes études [7] indiquaient qu’une fréquence de feux inférieure à 25 ans était incompatible avec la survie de l’espèce et que l’effet était encore notable sur les abondances 50 ans après le passage d’un feu. Nous sommes donc aujourd’hui proche de ce seuil dans le cas de la plaine des Maures. Ceci étant, moins de la moitié des milieux naturels de la plaine des Maures ont été touchés par l’incendie. Il y a donc de bons espoirs de voir se reconstituer la population de tortues à partir des zones non affectées par le feu.
Néanmoins, à l’effet immédiat de l’incendie viennent aujourd’hui s’ajouter les conséquences du changement climatique, dont on connaît la gravité sur les peuplements végétaux. Bien que ceux-ci soient pour la plupart capables de survivre au feu, ou de se régénérer à partir du système racinaire (chêne vert et chêne-liège, arbousier, bruyères, etc.), ils ne résistent pas à des épisodes de sécheresse se cumulant à l’effet du feu. Lorsque tel est le cas, on assiste alors à une mortalité qui peut être conséquente, même chez les très vieux chênes-lièges. Malheureusement, les deux phénomènes se nourrissent l’un l’autre : les sécheresses rendent les peuplements végétaux moins résistants au feu tandis que l’augmentation des feux rend la forêt et les sols moins résistants à la sécheresse. [8]
La tortue d’Hermann
La plaine des Maures accueille de nos jours la plus importante population de tortues d’Hermann de France continentale. Avant l’incendie de 2021, la population était estimée à 37 000 individus. [9] Jadis, l’espèce occupait l’ensemble de la région méditerranéenne française, mais dès la fin du XIXe siècle, elle n’est plus présente que dans trois lieux : la Corse, le massif des Albères dans les Pyrénées-Orientales et la côte varoise (Massif des Maures, de l’Estérel et ses abords). L’urbanisation du littoral, l’évolution des pratiques culturales et les incendies de forêt ont petit à petit réduit son cadre de vie. Elle a disparu des Albères dans les années 1960 et s’est considérablement raréfiée dans le Var au cours des dernières décennies. Depuis 2009, elle fait l’objet d’un Plan national d’actions, et de plusieurs programmes de conservation (programme Life, Fonds européen de développement régional). La Réserve nationale de la plaine des Maures joue un rôle de premier plan pour la préservation de cette espèce. Un suivi à long terme a été mis en place en 2005 pour suivre l’évolution de la population. Il a permis d’évaluer avec précision les effets du feu sur ses effectifs.
Quel avenir pour la plaine des Maures ?
Sur la base des connaissances dont on dispose, on peut estimer à ce jour que l’avenir de la biodiversité de la réserve n’a pas été remis en cause par l’incendie de 2021, mais celui-ci nous alerte sur les risques à venir et sur l’attention qu’il faudra porter à la prévention des incendies sur ce territoire et aux suivis écologiques à mettre en œuvre. Se pose aujourd’hui la question des interventions post-incendie. Doit-on intervenir ? Pour quels objectifs ? Compte tenu des expériences passées, il est urgent de ne pas s’engager dans des opérations de restauration écologique, comme certains ont pu le proposer. On sait aujourd’hui que les opérations de reboisement post-incendie sont plus néfastes que bénéfiques et généralement vouées à l’échec. La raison en est simple : les formations végétales présentes sur un territoire résultent de milliers d’années de co-évolution. Elles ont été naturellement sélectionnées pour répondre à des conditions de sol, de compétition interspécifique, d’accès à la ressource. Il y a donc peu de chance pour que l’on puisse trouver ailleurs des remplaçants mieux adaptés au territoire. En outre, la diversité des espèces présentes dans la plaine des Maures (trois espèces de chênes, trois espèces de pins, de nombreuses espèces de feuillus) offre une grande liberté d’action à la sélection naturelle, de même que la diversité génétique sur le plan des individus. Il n’y a donc pas lieu de chercher ailleurs des espèces mieux adaptées.
Le cas des cours d’eau mérite toutefois d’être traité à part. En effet, en cas de forte érosion post-incendie, le lit des cours d’eau peut être en partie comblé par les sédiments, ce qui réduit les volumes d’eau disponibles et affecte négativement la faune inféodée aux cours d’eau. Dans ce cas, des opérations de nettoyage peuvent peut-être être envisagées, en accord avec la réglementation sur l’eau, avec toutes les précautions que demandent de telles interventions en milieu naturel. La gestion des espèces végétales à caractère envahissant (mimosas, diverses graminées ou cypéracées pérennes, etc) mérite aussi d’être envisagée afin d’éviter que ces espèces exotiques ne colonisent encore davantage les espaces temporairement ouverts par le feu. Enfin, les suivis écologiques méritent d’être poursuivis ou développés car ce sont de telles études à moyen ou long terme qui permettent d’évaluer de façon rigoureuse les dynamiques naturelles à l’œuvre dans la plaine des Maures.
La Réserve naturelle nationale de la plaine des Maures
La Réserve naturelle nationale de la plaine des Maures se situe dans le centre du département du Var, à cheval sur cinq communes : Le Cannet-des-Maures, Vidauban, Les Mayons, La Garde-Freinet et Le Luc-en-Provence. D’une superficie de 5 276 ha, elle borde au nord le massif des Maures, sous forme d’une dépression d’âge Permien, drainée par la rivière Aille, affluent de l’Argens. Le couvert végétal est dominé par le maquis, des forêts de chênes-lièges et de pins parasols, et des affleurements de grès et d’argiles feuilletées appelées pelites. Elle se singularise par la présence d’eau en abondance, due à un substrat parfaitement imperméable, ce qui permet le développement de nombreuses mares temporaires riches d’une flore très originale. La biodiversité y est exceptionnelle en région méditerranéenne : plus de 1 000 espèces de plantes parmi lesquelles 89 espèces d’intérêt patrimonial, 30 habitats naturels dont 11 d’intérêt communautaire et 3 prioritaires au titre de la directive habitats. La faune est également très diversifiée : rollier, guêpier, huppe, pies-grièches, bruant ortolan, hirondelle rousseline, tortue d’Hermann, lézard ocellé, muscardin, 19 espèces de chauves-souris, etc.
Comme souvent, sa création résulte d’un long processus. Dès 1925, Paul Chabanaud interpellait l’État français lors du premier congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (alors Congrès international de la protection de la nature) pour qu’il créé une réserve en faveur de la tortue d’Hermann, déjà très menacée. Permien, drainée par la rivière Aille, affluent de l’Argens. Le couvert En 1990, le projet d’une piste d’essai au cœur de la plaine, porté par la société Michelin, et un important projet golfique, porté par une entreprise californienne, vont déclencher un fort mouvement en faveur de sa protection. La convention de Berne sera mobilisée durant plusieurs années autour de ce dossier, de même que la SNPN (CLN n° 143 p.6-7 et CLN n° 146 p.16-22). Suite aux interventions de Brice Lalonde, alors ministre de l’Écologie, puis de Ségolène Royal, une procédure exceptionnelle (Projet d’intérêt général) est mise en place sur l’ensemble de la plaine afin de stopper les projets en cours. Ce n’est finalement qu’en 2009 que sera signé le décret interministériel fixant la création d’une Réserve naturelle nationale (CLN n° 252 p. 34-41). Sa gestion sera confiée au département du Var, jusqu’à sa rétractation brutale, à la suite du feu d’août 2021. Depuis août 2022, la gestion de la réserve est entre les mains de la SNPN.
Remerciements
L’auteur remercie Frédéric Médail, botaniste, professeur d’université, membre du Conseil scientifique de la réserve pour sa contribution.
Références
- Vennetier M. 2004. Incendies de forêt : bilan des connaissances et des besoins pour la recherche et l’action. Forêt méditerranéenne, 25, (4) : 2-14.
- Jacquet K. et Cheylan M. 2008. Synthèse des connaissances sur l’impact du feu en région méditerranéenne. Rapport DREAL, région PACA, 79 p.
- Prodon R. et Cheylan M. 2005. La faune face au feu. Espaces Naturels, 12 : p.11.
- Vennetier M. et al. (49 co-auteurs). 2008. Étude de l’impact d’incendies de forêt répétés sur la biodiversité et sur les sols : recherche d’indicateurs. Rapport final. Cemagref, Union Européenne, ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 236 p.
- Jacquet K. et Prodon R. 2009. Measuring the postfire resilience of a bird-vegetation system: a 28-year study in a Mediterranean oak woodland. Oecologia, 161 (4): 801-811.
- Cheylan M., Cornuault B., et Rivière V. 2022. Suivi post-incendie des populations de tortues d’Hermann dans la réserve naturelle nationale de la plaine des Maures. Rapport AgirÉcologique pour DREAL PACA, 15 p.
- Couturier, T., Besnard A., Bertolero A., Bosc.V., Astruc G., Cheylan M., (2014) Factors determining the abundance and occurrence of Hermann’s tortoise Testudo hermanni in France and Spain: Fire regime and landscape changes as the main drivers. Biological Conservation, 170 (2014) 177-187.
- Vennetier M. 2019. Feux et sécheresses répétés accroissent mutuellement leur impact sur la suberaie. Forêt Méditerranéenne, 40 (4) 387-389.
- Cheylan M. 2013. Où en est la protection de la Tortue d’Hermann en France ? Actes du 39e congrès de la Société herpétologique de France (Saint-Brisson). Rev. Sci. Bourgogne-Nature, 17 : 157-161.