Cette pessière (plantation d’épicéas) est un exemple de monoculture, désert biologique particulièrement fragile. Photo : Pierre Forest

La gestion des forêts françaises est-elle durable ? Le sera-t-elle à l’avenir ? Sur ce sujet sensible, les points de vue divergent. Afin que chacun puisse se bâtir une opinion argumentée, le Courrier de la Nature propose trois articles de fond qui, sans se vouloir exhaustifs, en brossent les principaux enjeux et donnent à lire différents éclairages. Plusieurs auteurs reconnus dans leur domaine ont accepté d’alimenter ce dossier. Ils y expriment librement leur point de vue propre, dont ils sont seuls responsables et qui peut différer de la position de la SNPN, également présentée dans ces pages. 1. Quel avenir pour les forêts métropolitaines ? Texte et photos : Pierre Forest, forestier et écologue Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 312,septembre-octobre 2018 Ce dossier spécial comprend 3 parties. Lire la partie 2 Lire la partie 3 À l’heure du bois-énergie, de l’industrialisation des processus d’exploitation, du rejet grandissant de l’écologie, il faut bien constater que l’arbre cache trop souvent la forêt, celle-ci devenant le simple support physique d’une production. L’arbre est de plus en plus considéré comme un simple morceau de bois, dont il faut produire toujours plus de mètres cubes… L’exploitation forestière en France Méthodes de gestion En 20l5, l’inventaire forestier national évalue la superficie forestière de la France métropolitaine à 16,5 millions d’hectares. En regard des 9 millions d’hectares du XIXe siècle, cette progression spectaculaire, mais surtout quantitative, est due en grande partie aux campagnes d’enrésinement (remplacement des feuillus par des résineux) des années 1970. De grandes monocultures ont été installées, comme dans les Landes, avec l’invention de la ligniculture, c’est-à-dire la culture intensive des arbres, traités comme une culture agricole : coupes rases de grande ampleur, grand renfort d’engrais, utilisation de phytocides, labour, mécanisation intensive, etc. Mentionnons ici l’un des effets négatifs majeurs de ces coupes rases : les températures maximales diurnes au sol peuvent augmenter de plus de 10 °C après une coupe par rapport à celles sous un couvert forestier. S’ensuit l’élimination de micro- organismes, notamment des ectomycorhizes, indispensables à la bonne croissance des arbres. Selon Jean André, de l’Université de Savoie, le sol dénudé subit de plus des pertes importantes d’éléments fins utiles aux sols et à la nutrition des arbres. Ces coupes peuvent également constituer d’infranchissables obstacles pour certains insectes et batraciens, qui ne peuvent parcourir plusieurs centaines de mètres au soleil pour trouver un milieu plus favorable. Les monocultures, feuillues ou résineuses, sont condamnables car sensibles aux maladies et parasites, et pauvres en biodiversité. Elles uniformisent les paysages et sont l’objet d’une mécanisation destructrice des sols et des emplois (moins d’ouvriers étant nécessaires sur les exploitations). Parallèlement, le traitement majoritaire en futaie régulière (où tous les arbres ont à peu près le même âge) dans les forêts domaniales est une autre source de problèmes environnementaux : si certains stades sont favorables à certaines espèces d’oiseaux, voire de chiroptères, cette forme de sylviculture est moins intéressante sur le plan de la biodiversité que la futaie irrégulière. On trouve en effet dans cette dernière des arbres de tous âges et de toutes dimensions ; il n’y a jamais de coupe totale d’une parcelle, les arbres n’étant pas tous du même âge, mais une exploitation régulière et diffuse des arbres de production. Les insectes, les champignons, les mousses et lichens y sont beaucoup mieux représentés, et s’il y a moins d’espèces végétales à fleurs qu’en futaie régulière, le couvert forestier n’y est jamais interrompu. C’est là que des espèces patrimoniales comme l’ours, le lynx, le grand tétras, la gélinotte, le pic à dos blanc, etc. trouvent provende et refuge. Le taillis sous futaie (composé de gros arbres et de taillis) est désormais délaissé, car prétendument complexe à maintenir et ne correspondant pas aux besoins de l’industrie. Il est pourtant répandu dans toutes nos forêts de plaine depuis des siècles. Il permet de produire à la fois du bois de feu et du bois d’œuvre ; il s’avère donc très intéressant sur le plan de la biodiversité comme du paysage. Le but premier de la sylviculture est de produire du bois. Cela pourrait (et devrait !) se faire en valorisant la biodiversité, afin de réunir l’économie et l’écologie. Or, l’évolution actuelle des pratiques ne va pas dans cette direction. Une demande de productivité inconsidérée La mode est aux résineux : l’industrie réclame la transformation des peuplements feuillus sans tenir compte des impacts environnementaux qu’aurait une telle opération si elle était massive. La mode est encore à la chimie dite « verte » : « la forêt est avant tout un gigantesque amas de molécules chimiques », a-t-on pu entendre de la bouche d’un membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux auprès du Ministère de l’agriculture lors du colloque qui s’est tenu au Sénat les 24 et 25 septembre 2010. On assiste à une fracture grandissante entre deux conceptions du développement : l’une s’appuyant sur le principe d’économie des ressources naturelles, promue par les ONG environnementales et une part non négligeable des forestiers eux-mêmes ; l’autre, liée à une obsession de la croissance, selon laquelle il faudrait produire toujours plus. La consigne nationale est d’ailleurs de produire plus : le chiffre de 12 millions de mètres cubes supplémentaires par rapport à la […]

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