Feux de forêts en Gironde : Construire le monde qui vient

Depuis quelques jours la Gironde est confrontée à des feux de forêt violents sur des surfaces importantes. Ainsi, plus de 20 000 hectares ont malheureusement déjà brûlé, et les flammes sont encore actives même si les feux semblent désormais maîtrisés.

L’urgence semblant désormais derrière nous, il est temps de tirer quelques analyses de ces événements, de remettre en perspective ces incendies et d’esquisser des pistes afin d’envisager l’avenir.

1. CES FEUX REPRÉSENTENT DES DÉSASTRES HUMAINS ET ECOLOGIQUES

Ils provoquent d’abord des pertes économiques directes (filière forestière publique et privée ; campings et restaurants détruits) et indirectes (baisse de la fréquentation touristique en pleine saison, dévalorisation foncière…). Celles-ci peuvent être compensées en partie ou en totalité par la solidarité nationale.

Ces incendies constituent aussi un choc culturel et patrimonial puissant pour les habitants car c’est le paysage et les imaginaires de cette terre de Gascogne qui sont affectés par les flammes. Seule une reconstruction qualitative associant la population peut effacer ou surmonter ce choc.

Les pertes en matière de biodiversité sont immenses et ce sont deux écosystèmes forestiers très différents qui sont profondément affectés. Le premier est la forêt dite usagère du cordon dunaire, ancienne et relictuelle, très variée et d’une incroyable richesse écologique. Elle témoigne aussi de fonctions sociales héritées du Moyen âge dans son mode d’exploitation, qui constituent également un véritable patrimoine.

La forêt de Landuras est une forêt d’exploitation, plus récente (les grands peuplements en pins maritimes datent du XIXe siècle et ont perduré jusqu’à présent) avec un modèle d’exploitation plus intensif, mais qui contient également une biodiversité significative et intéressante.

Ce ne sont donc pas que les arbres qui sont affectés par les incendies, même s’ils en sont la partie la plus visible mais bien des écosystèmes forestiers dans l’ensemble de leurs composantes floristiques arborées, arbustives, et herbacées, mais aussi faunistiques, fongiques, microscopiques, etc.

2. APRÈS LE FEU IL EST IMPORTANT DE METTRE EN PLACE PLUSIEURS ACTIONS, AVEC DIFFERENTES TEMPORALITÉS

D’abord, à court terme, il s’agit d’évaluer l’ampleur réelle des dégâts, économiques comme écologiques. Ces derniers peuvent être variables en surface et en intensité selon la façon dont le feu s’est comporté.

Ensuite, à court et moyen terme, il s’agit de mettre en place des actions impactantes pour préserver ce qui subsiste et permettre la restauration des écosystèmes forestiers en conservant les potentialités écologiques et les capacités de régénération, et notamment :

  • Protéger et fixer les sols comme les dunes de l’érosion (vent marin, houle et tempêtes, pluies et ravinement). La pose de ganivelles, de freins à l’écoulement, la replantation d’oyats et d’autres techniques éprouvées peuvent être employées.
  • Protéger les sols du tassement (gros engins pour débarder le bois brûlé) : les forestiers savent mettre en oeuvre des techniques pour cela. Une aide financière de l’État pourrait être nécessaire pour compenser les éventuels surcoûts d’exploitation.
  • Protéger les espèces végétales et animales survivantes du piétinement et du dérangement (qui ajouteraient du stress supplémentaire). Il convient donc de limiter ou d’interdire temporairement les circulations humaines non indispensables, pendant un à deux ans, afin de laisser la nature tranquille.
  • Protéger les zones humides (mares, pannes dunaires, marais, ruisseaux…) de toute dégradation supplémentaire et du colmatage par des sédiments.

Enfin il est indispensable de prendre le temps de réfléchir à l’avenir de ce territoire, des humains qui y vivent et de sa biodiversité, et de se projeter à long terme.

En effet, dans un contexte de réchauffement climatique prononcé qui va se renforcer, il est essentiel d’éviter le renouvellement d’un incendie d’ici 30 à 50 ans car ce pas de temps mettrait gravement en cause les écosystèmes et les espèces, et le devenir économique de la production forestière.

La seule amélioration de la défense forestière contre les incendies (DFCI) et des moyens de lutte, même si elle est sans doute nécessaire, ne saurait suffire.

Il paraît donc tout aussi indispensable d’accompagner également l’ensemble des propriétaires, forestiers et habitants de tout le territoire des landes de Gascogne (y compris celui qui n’a pas brûlé) pour éviter que se reproduisent de tels incendies en d’autres lieux et ainsi leur permettre de se projeter et de mieux construire un long terme viable, résistant et résilient.

Pour cela, il apparaît nécessaire de repenser nos choix individuels et collectifs pour anticiper les changements environnementaux et climatiques et ne pas reproduire à l’identique un modèle économique et d’aménagement qui montre d’ores et déjà ses limites.

En effet, une bonne partie de ces paysages végétaux n’ont pas beaucoup plus d’un siècle et les conditions climatiques, écologiques et sociales ont considérablement évolué depuis. Il est donc légitime de penser que d’autres solutions de renaturation sont possibles, voire souhaitables.

Ainsi il paraitrait particulièrement mal avisé de replanter rapidement, massivement et de façon quasi exclusive en pins maritimes ou en espèces d’arbres exotiques à destination de la seule activité forestière industrielle.

3. DÉFINIR UNE TRAJECTOIRE ET UN PROJET DE TERRITOIRE BÉNÉFIQUE A LA FOIS AUX HUMAINS ET A LA BIODIVERSITÉ

Il conviendrait davantage de privilégier une mosaïque paysagère avec :

  • Des espaces de régénération naturelle des écosystèmes et de la forêt où la biodiversité pourrait évoluer plus librement. La création d’espaces naturels protégés (espaces naturels sensibles, arrêtés de protection de biotope, réserves naturelles régionales ou nationales, parc national) pourrait permettre d’une part d’accompagner les propriétaires forestiers en difficulté économique en faisant racheter les parcelles par des structures comme le département, une association ou le Conservatoire du littoral, et d’autre part de constituer de réels réservoirs de biodiversité et d’expérimentation d’une adaptation aux changements climatiques. Ces espaces permettraient d’envisager une mutation et une diversification socio-économique avec une part plus importante d’éco-tourisme et de nouveaux métiers de gestion, de protection et de sensibilisation à l’environnement par exemple.
  • Des espaces de forêts de production mais avec davantage de mixité dans les boisements, intégrant systématiquement des essences endogènes, des cortèges variés, des modalités d’exploitation différenciées, etc. afin de sortir d’une logique de monoculture résineuse,
    et développant des expérimentations diversifiées pour ouvrir le champ des possibles face à un avenir incertain.
  • Des coupe-feux naturels larges et contenant une biodiversité riche afin de fragmenter le massif forestier. La restauration du caractère humide originel de parties de ce territoire gascon serait sans doute une solution à privilégier afin d’allier restauration des écosystèmes humides particulièrement menacés et raréfiés en France, reconstitution de fonctionnalités écologiques (ressource en eau par exemple) mises à mal par les changements environnementaux, réhabilitation de modes d’exploitation agro-pastoraux qui ont façonné l’identité gasconne pendant longtemps, et lutte contre les futurs incendies.

4. UNE MÉTHODE POUR CONSTRUIRE EN COMMUN L’AVENIR : LE DIALOGUE TERRITORIAL

Tout cela ne doit pas être décidé de façon verticale ou par l’influence de lobbies économiques sectoriels ou d’intérêts privés. Un dialogue territorial doit se mettre en place au niveau local, associant tous les élus, tous les acteurs, tous les habitants, et bénéficiant de l’éclairage de scientifiques indépendants, afin que ce territoire puisse construire collectivement une trajectoire et un avenir durable face aux changements environnementaux et climatiques qui s’accélèrent.

Rémi LUGLIA,
Président de la Société Nationale de Protection de la Nature