Éthiopie : Green Legacy, une campagne massive de reboisement

Jeune plant de Croton macrostachya, une espèce locale plantée lors de l'opération Green Legacy en Éthiopie. Photo : Hubert de Foresta
Texte : Delphine Ayerbe, chef de projet, Belco

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 330, septembre-octobre 2021

Au cours du mois de juillet 2019, l’Éthiopie a lancé une grande campagne de reboisement, dénommée Green Legacy et portée par le cabinet du Premier ministre. L’enjeu annoncé est de replanter massivement des arbres pour permettre à ce pays agricole de conserver des terres fertiles, riches, humides et d’accroître les superficies boisées pour améliorer le stockage du carbone. Ce programme s’inscrit ainsi dans une dynamique globale en répondant aux objectifs mondiaux de lutte contre le réchauffement climatique. Si les effets concrets de cette campagne sont encore difficilement quantifiables, l’impact médiatique est dès à présent conséquent, et cherche à véhiculer une image positive de l’Éthiopie aussi bien au sein du pays qu’à l’extérieur.

Le plan d’un reboisement « géant »

Les autorités souhaitaient voir planter 4 milliards d’arbres en moins de 6 mois, un objectif peut-être trop ambitieux qui n’a pas été tenu. En amont de son lancement, le gouvernement éthiopien a massivement communiqué auprès des médias et sur les réseaux sociaux pour solliciter la participation maximale des habitants. La journée de lancement, le 30 juillet 2019, a vu une forte mobilisation de la population : le gouvernement a annoncé avoir comptabilisé 350 millions de plants mis en terre à travers tout le pays en cette seule journée.

Cette campagne rapide et nationale, menée tant en zone rurale que dans les principales villes du pays, est apparue pour certains observateurs locaux comme trop décousue. Les arbres ont été plantés de façon isolée, par différents organismes, tant privés que publics. Le manque de suivi de l’ensemble a pu être reproché aux décideurs du programme. Mais cet élan a, semble-t-il, permis d’atteindre un chiffre bien supérieur aux 200 millions de plants initialement prévus. L’engouement populaire à soutenir ce projet était notable. Sur la base du volontariat, les communautés se sont rassemblées et ont bénéficié du soutien de leurs différentes organisations : écoles, églises, associations, entreprises ont ainsi mobilisé dans un périmètre restreint les participants au programme. La configuration ainsi donnée à cette journée, organisée comme un événement populaire et national, explique certainement cette réussite immédiate mais ponctuelle, la mobilisation de la population ayant été ensuite plus discrète.

Les kébélés, qui correspondent au plus fin niveau du découpage administratif du pays, gèrent cette campagne sur le terrain, jouant un rôle d’intermédiaire entre les décideurs du projet au niveau national et les communautés à l’œuvre sur le terrain. Selon l’Ethiopian Protection Authority (département de la mairie d’Addis Abeba), les kébélés se sont ainsi approvisionnés auprès des organismes forestiers (tel le Forestry Research Center) pour réunir et distribuer les jeunes plants préparés initialement en pépinières.

Les espèces endémiques ont été largement privilégiées. Alors que depuis un siècle, les précédentes campagnes de reboisement concernaient des eucalyptus, le choix a été fait de valoriser la formation de forêts d’espèces indigènes : Acacia abyssinica, Juniperus procera, Cordia africana notamment. Les eucalyptus, introduits en Afrique de l’Est à la fin du XIXe siècle principalement pour leur exploitation, se sont rapidement répandus et dominent aujourd’hui le paysage en Éthiopie, tant l’usage du bois a servi aux populations locales, pour la construction ou comme bois de chauffe. Mais cette espèce est maintenant décriée par les autorités environnementales pour ses effets supposés néfastes sur les sols, accusée de les assécher notamment. Ainsi, un programme comme Green Legacy, à portée exclusivement écologique, ne pouvait reposer sur l’utilisation de cette espèce exotique pourtant si commune en Éthiopie.

Les kébélés ont ensuite réparti ces plants d’espèces endémiques entre les habitants pour la journée de lancement. Depuis, ils sont chargés de la gestion des terrains nouvellement plantés dévolus par les autorités à ce projet et qui restent donc sous contrôle gouvernemental.

Vue des périphéries d’Addis Abeba, Entotto, Éthiopie.

L’accent mis sur l’environnement

Cette campagne massive s’inscrit dans la tradition d’un État qui a souvent misé sur des choix environnementaux forts, du moins par le poids des symboles qu’ils véhiculaient et qui visaient largement à correspondre aux attentes internationales. Les famines des années 1980 ont notamment mené les gouvernements suivants à considérer avec attention la question des terres et ressources agricoles. En matière d’image déjà, il s’agissait de rompre avec les représentations véhiculées à l’international d’un pays sec, aride. Plus concrètement aussi, il s’agissait de prendre davantage soin de ces terres arables, en les reboisant partiellement. Enfin, surtout, il s’agissait de fournir le bois utile à une population dont le quotidien dépendait. Des plans ont alors eu lieu au cours des années 1990, portés par des instances internationales (Banque mondiale notamment) et des ONG, basés sur la diffusion d’eucalyptus, espèce qui a massivement joué dans le reboisement du pays. [1]

La présence de ces acteurs internationaux en nombre – Addis Abeba est notamment le siège de l’Union africaine et un centre régional important de l’Organisation des Nations Unies – joue un rôle dans la diffusion à échelle nationale de messages de protection de l’environnement globaux. [2] La campagne Green Legacy de 2019 vient ainsi compléter les engagements de la 21e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (Cop 21) que l’Éthiopie applique dans la lutte contre l’effet de serre. Elle s’inscrit donc dans ce mouvement plus large et porte la volonté des autorités, comme lors des programmes précédents, d’afficher sur la scène internationale une image améliorée de ce pays dont l’imaginaire collectif véhicule encore des représentations sombres. La mobilisation de sa population autour de ce plan de reforestation a été l’occasion pour le pays de s’afficher comme « vert », dynamique et tourné vers l’avenir.

Les relais médiatiques de cette campagne ont été forts le jour même de son lancement. Les articles de presse, les courts reportages vidéo ont fleuri, partout à l’international, dans les principaux organes de presse et sur internet. L’engagement de l’Éthiopie a été largement diffusé et ce « coup médiatique » a porté bien au-delà des frontières nationales.

Tenter de ressouder l’unité nationale

D’un point de vue national, la couverture médiatique a été forte là aussi, mais révèle des enjeux quelque peu différents, d’ordres politique et nationaliste. Mis en place et orchestré par le cabinet du Premier ministre, le programme Green Legacy bénéficie d’une plateforme Internet dédiée qui vante la lutte contre une dégradation environnementale dépeinte – peut-être avec exagération – comme « effrayante » du pays et la nécessité de bâtir une société plus verte. Green Legacy, au-delà de la campagne de reboisement, se veut aussi un outil éducatif, pour promouvoir la sensibilisation de tous les Éthiopiens, notamment des plus jeunes, à la protection de l’environnement. Il y a ici la volonté de projeter les habitants vers un avenir commun et de tenter de les impliquer dans la construction de ce futur collectif. La force médiatique déployée pour couvrir ce projet national permet certainement aux autorités en place de faire oublier, un temps, les disparités régionales fortes qui secouent le pays.

En effet, cette campagne concerne le pays dans son entier ; une nouveauté par rapport aux projets précédents qui avaient plutôt pour habitude d’être axés sur différentes régions selon les problématiques concernées. Vouloir impliquer toutes les régions de cet État fédéral dans cette dynamique est un signe de l’unité recherchée ; chacun doit se sentir concerné par la société « plus verte » promise pour l’avenir du pays, chacun doit participer à sa construction. Les images montrant le Premier ministre lui-même mettant en terre quelques jeunes plants, le 29 juillet 2019, ont été largement diffusées, en interne comme à l’international. Les réseaux sociaux, fortement contrôlés, ont été ici mobilisés pour soutenir cette campagne ; et cette mobilisation médiatique a fonctionné, au moins ponctuellement.

Des résultats concrets encore fragiles

La campagne de 2019 rompt ainsi avec les programmes précédents sur plusieurs points : une appropriation nationale forte de ce projet ; le choix massif d’espèces endémiques ; l’usage d’outils de communication modernes qui permet une diffusion médiatique massive à même de soigner l’image du pays. Pour autant, savoir si ce programme s’avère efficient en matière de reboisement reste compliqué à ce jour, les données étant minces et la communication maintenant plus réduite. Il est fort possible d’imaginer que les jeunes plants toujours résistants après quelques années soient moins nombreux qu’escompté. Quant aux symboles qui ont accompagné cette campagne, ils ne suffiront certainement pas à apaiser des ressentiments plus anciens et à ressouder durablement un peuple au sein duquel les dissensions régionales persistent, parfois violemment. Mais il convient de reconnaitre que la communication soignée qui entoure Green Legacy dénote des préoccupations sur lesquelles l’actuel gouvernement veut se mobiliser : protection de l’environnement à l’international comme à échelle nationale et volonté d’afficher un avenir uni pour l’Éthiopie.

 


Références

  1. Ayerbe D. 2015. La place de l'eucalyptus à Addis-Abeba. Territoire en mouvement, Revue de géographie et aménagement, p. 27-28.
  2. Ayerbe D., et al. 2012. « Clean and green Addis Ababa », enjeux et pratiques environnementales du nouveau millénaire à Addis Abeba. Annales d'Éthiopie, vol. 27, p. 179-206.

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