Épidémiologie : Les visons d’élevage et la Covid-19

Élevé pour sa fourrure, le vison américain est sensible au virus de la Covid-19. Photo : Kelly Colgan Azar/Flickr
Texte : François Moutou, vétérinaire et épidémiologiste, vice-président de la SNPN

Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 326, janvier-février 2021

Fin 2019, les humains ont été contaminés par un coronavirus animal, probablement issu d’une chauve-souris asiatique. Celui-ci, passé par un cheminement intermédiaire pas encore identifié, est devenu le SARS-CoV-2, responsable de la Covid-19. Ce virus humain est différent de tous les coronavirus connus chez les chauves-souris.

Depuis, plusieurs espèces animales ont été contaminées en retour par des humains malades, avec heureusement peu de conséquences graves à ce jour. Ainsi, des chiens et chats en appartement et quelques félins de parcs zoologiques ont montré leur réceptivité (le virus se multiplie chez eux) et parfois une certaine sensibilité (apparition possible de légers signes cliniques). Cependant, les visons de fermes d’élevage pour la fourrure affichent une réelle sensibilité. À ce jour, au moins dix pays sont concernés : Canada, Danemark, Espagne, États-Unis, France, Grèce, Italie, Lituanie, Pays-Bas, Suède.

Les visons d’élevage sont des visons américains (Mustela vison), petits mammifères carnivores semi-aquatiques à la belle fourrure, de la famille des mustélidés. Ils sont proches des furets (M. furo), forme domestique du putois européen (M. putorius). Cet animal de compagnie est parfois utilisé en laboratoire car il est sensible aux virus respiratoires qui affectent la santé humaine (comme les virus de la grippe) et permet donc de tester certains traitements, comme les antiviraux par exemple. La sensibilité du vison au SARS-CoV-2 n’est donc pas complètement surprenante. L’explosion des cas chez les visons d’élevage peut s’expliquer par la réceptivité générique du genre Mustela, associée aux conditions de détention en cage – très éloignées des besoins naturels de cette espèce essentiellement solitaire et amphibie. Les concentrations de plusieurs milliers d’individus sur de petites surfaces peuvent augmenter la sensibilité des animaux captifs en baissant leur immunité. Cela se traduit par une grande multiplication virale suivie d’une importante diffusion virale, expliquant les quelques cas humains en retour recensés autour des fermes.

Le vison américain ne doit pas être confondu avec le vison européen (M. lutreola), classé « en danger critique d’extinction » sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, et dont les dernières populations françaises sont justement menacées par la concurrence exercée par l’espèce américaine (cf. n° 321, p. 26 à 32). En effet, des échappés de captivité ont fait souche, mais il y a également eu des libérations en nature à partir des fermes d’élevage, parfois par des associations de protection animale. Par exemple, quelque 4 200 visons d’Amérique d’élevage ont été libérés dans la nature en 2009 autour du village de Saint-Cybranet en Dordogne. Si plus de 3 400 individus ont été récupérés, quelques centaines ont pu faire souche près des dernières zones de présence de l’espèce européenne. Malgré son statut d’espèce « susceptible d’occasionner des dégâts », le vison américain peut être acheté en ligne comme animal de compagnie. Dans les milieux naturels, les piégeurs confondent parfois cette espèce exotique envahissante avec le vison européen, augmentant ainsi les pressions.

Abattages massifs au Danemark

Au printemps 2020, les premiers élevages de visons sont diagnostiqués positifs au corona- virus aux Pays-Bas, certainement contaminés par les humains qui s’en occupent. Il existe alors dans ce pays 127 fermes de tailles variables (500 à 120 000 animaux selon les exploitations) pour un total de 2,23 millions d’animaux. Le pays avait prévu de les fermer d’ici 2024 pour des raisons de bien-être animal et à la demande des mouvements « animalistes » néerlandais. Le processus est donc accéléré.

Le même phénomène se produit au Danemark, le plus important producteur de visons, qui assure environ 40 % de la production mondiale. On y compte plus de 1 000 fermes avec un effectif d’environ 17 millions d’animaux. Début novembre, les autorités danoises ont annoncé avoir identifié un nouveau variant du virus (appelé Cluster 5) chez leurs visons, et ont décidé l’abattage non seulement des fermes touchées, mais de tous leurs animaux. L’ensemble du cheptel est en cours d’élimination. À ce jour, l’importance réelle de la variation génétique repérée au Danemark ne semble pas inquiéter les virologues outre mesure. Les souches virales évoluent un peu à chaque génération, mais globalement le SARS-CoV-2 est plutôt stable et a peu changé depuis son apparition en Chine.

Une situation sous contrôle

Depuis cette annonce, les Pays-Bas ont déclaré que la même mutation était apparue chez leurs visons en mai dernier. Éliminé avec les animaux, le virus n’avait pas été transmis aux humains, ce qui explique que l’information n’avait pas semblé particulièrement importante. Inversement, le Danemark a déclaré 12 contaminations humaines avec le nouveau variant, sur un total de 226 contaminations dues aux visons. Fin novembre 2020, le total des cas humains liés à un virus transmis par les visons en Europe dépasse 640 et au 25 novembre la souche Cluster 5 est considérée comme disparue par l’OMS. [1] Dans tous les cas, cela reste anecdotique comparé au nombre de cas de Covid-19 d’origine interhumaine déclarés sur la planète, et même au Danemark.

En France il existe quatre élevages de visons encore présents mais qui devraient fermer d’ici l’année 2025 (cf. n° 325, p. 6). Le gouverne- ment a indiqué que des analyses sont réalisées depuis mi-novembre dans le cadre d’un programme scientifique conduit par l’Agence nationale de sécurité sanitaire pour l’alimentation, le travail et l’environnement (Anses) pour définir le statut sanitaire de ces élevages vis-à-vis du SARS-CoV-2. Ces analyses ont permis de révéler que le virus circulait dans un élevage d’Eure-et-Loir, qui a donc été vidé de ses animaux et du matériel possiblement contaminé.

 


Référence

  1. SARS-CoV-2 mink-associated variant strain – Denmark. Disease Outbreak News: Update 3 December 2020. Site internet de l’OMS.

Contenus liés

Abonné
  • Actualité
Fév 2024

Renforcer le lien entre l’humain et la nature : un levier d’action pour préserver la biodiversité et le climat