Éoliennes et biodiversité : Une cohabitation impossible ?
Le développement de l’éolien est à la fois un pilier de la transition énergétique et un vecteur d’impacts potentiels pour la biodiversité. Bien que l’énergie éolienne soit destinée à se substituer à des énergies émettrices de gaz à effet de serre (GES) ou présentant de forts risques pour l’environnement, elle peut, elle aussi, avoir dans certains cas des conséquences néfastes diverses sur la faune, la flore et les habitats. Ces impacts sont-ils évitables ?
Texte : Geoffroy Marx, responsable du programme éolien et biodiversité à la LPO, Denis Roux et Simon Gaultier, ONCFS, Direction de la recherche et de l’expertise, Unité avifaune migratrice Photos : Philippe Massit/ONCFS Texte publié initialement dans Le Courrier de la Nature n° 313, novembre-décembre 2018
Transitions écologique et énergétique font-elles bon ménage ?
L’analyse du cycle de vie des éoliennes implantées en France [1] montre que l’éolien est un moyen efficient de production d’électricité. En effet, l’énergie dépensée pour fabriquer, installer, exploiter et démanteler les aérogénérateurs est entièrement compensée au bout de 12 mois de fonctionnement. En plus de ce temps de retour énergétique réduit, une éolienne en fonctionnement génère peu de pollution dans l’air, le sol et l’eau pendant l’utilisation. Cette étude confirme que les éoliennes émettent peu de CO2 durant leur cycle de vie, qu’elles soient terrestres (taux d’émission de 12,7 g CO2 eq/kWh) ou en mer (14,8 g CO2 eq/kWh), en comparaison du mix énergétique français (87 g CO2 eq/kWh). Dans la perspective d’une transition énergétique inspirée du scénario négaWatt, qui prévoit de réduire la production d’énergie et de substituer l’énergie résiduelle, majoritairement fossile et fissile, par des énergies renouvelables, l’éolien apparaît donc comme une ressource particulièrement efficiente. Elle n’est toutefois pas sans conséquences sur l’environnement. Les impacts des éoliennes terrestres sur la biodiversité, mesurés lors des suivis après leur implantation, se notent principalement sur les habitats (lors des travaux de construction du parc, qui impliquent non seulement l’installation des aérogénérateurs mais également la création des chemins d’accès, le raccordement des machines et l’installation d’un poste de livraison électrique) et sur les vertébrés volants (lors des phases de travaux et d’exploitation). Ils ne sont toutefois pas systématiques et leur nature comme leur importance diffèrent selon le site d’implantation et les mesures d’évitement, de réduction et de compensation mises en œuvre.
Les habitats potentiellement altérés
À la fin des années 1990, les premières éoliennes françaises, plus petites qu’aujourd’hui, ont essentiellement été implantées dans des espaces naturels exposés aux vents méditerranéens et composés majoritairement de maquis, garrigues ou prairies naturelles. Par la suite, l’augmentation de la taille des mâts et de la surface balayée par les pales a permis après 2004 d’investir des espaces agricoles moins ventés situés à l’intérieur des terres. Aujourd’hui, environ 80 % des éoliennes mises en service chaque année sont situées en plaine agricole, donc dans des milieux de moindre naturalité. Cette évolution de l’occupation biophysique des sols par les éoliennes a entrainé une évolution, vraisemblablement à la baisse, des impacts négatifs des parcs éoliens sur les habitats naturels (maquis, garrigues, prairies permanentes, haies, etc.). L’accroissement continu de la hauteur des machines (actuellement, la hauteur moyenne des éoliennes est de 140 m en bout de pale ; des projets apparaissent qui prévoient des machines de 200 m de hauteur) permet également de capter les vents en forêt, au-dessus de la canopée ; de plus en plus de projets voient ainsi le jour en milieu forestier, ce qui implique des défrichements parfois importants et pourrait aggraver à l’avenir les impacts environnementaux si ces défrichements concernent des habitats d’espèces menacées ou d’intérêt communautaire.
Dans certains cas, la destruction ou l’altération des habitats lors des travaux de construction des aérogénérateurs ou des infrastructures afférentes modifie les réseaux trophiques et touche indirectement les espèces qui utilisent ces sites. Les impacts indirects sur les chiroptères notamment peuvent être importants. Des zones de chasse, mais aussi des gîtes de chauves-souris peuvent être détruits en cas de défrichement du site. L’ouverture des milieux peut également créer des zones de chasse attractives pour les rapaces ou les chauves-souris à proximité immédiate des éoliennes et accroître le risque de collision. Selon le type de milieu et les fonctionnalités qu’il représente pour la biodiversité, ces impacts peuvent parfois être maîtrisés via une gestion réfléchie de l’organisation de la phase de travaux (grâce notamment aux données de l’étude d’impact et aux suivis de chantier).
Les oiseaux exposés au dérangement et au risque de collision
La collision des oiseaux avec les pales ou le mât est l’impact le plus couramment cité lorsque l’on évoque l’énergie éolienne. Il s’agit, en effet, du plus facile à constater ; pour autant, il n’est pas certain qu’il soit le plus préjudiciable à la bonne conservation des populations d’oiseaux. Le dérangement des espèces nicheuses pendant la construction puis l’exploitation des éoliennes est également problématique pour les espèces les plus patrimoniales. Les suivis environnementaux réalisés à l’échelle de chaque parc par les exploitants dans le cadre de la réglementation ICPE cherchent, pour la plupart, à apprécier ce phénomène mais sont souvent peu conclusifs car les observations sont rarement menées sur un temps suffisamment long. De plus, pris individuellement, ces suivis ne disent finale- ment pas grand-chose de l’impact cumulé sur des populations parfois fragiles.
On sait néanmoins que l’implantation d’éoliennes dans l’espace vital d’espèces patrimoniales sensibles au dérangement peut détériorer et réduire leur habitat de façon conséquente. Ces pertes importantes peuvent atteindre plusieurs centaines d’hectares, risquant ainsi de compromettre les déplacements, l’alimentation ou la reproduction de populations locales. Cet effet est particulièrement documenté pour les rapaces, comme l’aigle royal (Aquila chrysaetos) [2] ou le milan royal (Milvus milvus), qui peuvent être équipés de balises et qui sont souvent présents dans des zones fortement ventées du sud de la France propices au développent de l’éolien. Cette sensibilité a égale- ment été observée chez d’autres espèces, notamment celles inféodées aux zones humides.
Les oiseaux de passage (journalier ou en migration) faisant le choix de contourner le parc éolien s’exposent à une dépense énergétique supplémentaire difficilement évaluable mais qui n’est pas nécessairement négligeable. Cet « effet barrière » concerne notamment les voiliers migrant de jour tels les grues cendrées (Grus grus), et il est d’autant plus marqué que l’emprise du ou des parcs par rapport à la voie de déplacement des oiseaux est importante.
Lorsqu’ils s’aventurent dans le parc, soit parce qu’ils pensent pouvoir le traverser (comme les hirondelles ou les martinets), soit parce que celui-ci constitue un site d’alimentation favorable (pour les rapaces diurnes par exemple), soit en raison de mauvaises conditions de visibilité (passereaux migrateurs nocturnes), les oiseaux s’exposent alors au risque de collision. Le risque de heurter une éolienne est directement corrélé à l’activité aviaire, c’est pourquoi les oiseaux qui utilisent quotidiennement un site (par exemple comme zone de chasse ou comme lieu de passage obligé entre sites de nourrissage et de repos) présentent un plus fort risque de collision que les oiseaux migrateurs confrontés au parc une à deux fois dans l’année. La mortalité des oiseaux due aux éoliennes n’est précisément connue que pour très peu de parcs français, souvent localisés dans des Zones de protection spéciale (ZPS) ou présentant de fortes sensibilités avifaunistiques. L’estimation de la mortalité sur ces parcs, prenant en compte la durée de persistance des cadavres et l’efficacité de recherche, varie de 0,3 à 18,3 oiseaux tués par éolienne et par an, la médiane s’établissant à 4,5 et la moyenne à 7,0 [3]. Ces estimations rejoignent celles établies aux États-Unis [4] ou au Canada [5] [6]. Certains parcs, voire la majorité d’entre eux, n’ont de conséquences que sur un faible nombre d’oiseaux, du moins en ce qui concerne la mortalité directe par collision (cf. n° 307, p. 13-14).
Toutefois, à l’échelle d’un parc, même un faible taux de mortalité peut générer des incidences écologiques notables, notamment pour les espèces menacées et pour celles à maturité lente et à faible productivité annuelle [6] [7]. Le nombre de cas de mortalité et l’intérêt patrimonial des espèces affectées sont directement corrélés à la proximité des ZPS [3], y compris lorsque des dispositifs techniques visant à réduire le nombre de collisions sont mis en œuvre, comme des caméras couplées à des systèmes de dissuasion acoustique et de mise à l’arrêt des machines (par le biais de systèmes automatisés de détection des oiseaux ou bien par un dispositif manuel).
Les chauves-souris particulièrement vulnérables
Pour les chiroptères, même s’il ne faut pas négliger les effets générés sur l’habitat, les impacts les plus préoccupants sont ceux liés à la mortalité cumulée générée par les éoliennes en phase d’exploitation, soit par collision directe, soit par barotraumatisme. Les parcs éoliens tuent environ 250 000 chauves-souris par an en Allemagne [8]. Il semble que le nombre de chauves-souris tuées par éolienne et par an soit plus important que le nombre d’oiseaux lorsqu’aucun plan de bridage des éoliennes n’est mis en œuvre (ce rapport a tendance à s’inverser lorsque les bridages sont correctement paramétrés).
Plus encore que pour les oiseaux, l’état des populations actuelles, leur démographie et l’impact de l’éolien sur celles-ci sont mal connus. À cela s’ajoute un taux de reproduction faible (un seul jeune par an pour la plupart des espèces), une maturité sexuelle souvent tardive et une longévité élevée. Ces trois caractéristiques expliquent la vulnérabilité naturelle des populations de chiroptères dont le maintien repose fortement sur les individus adultes et leur survie. Quelques projections statistiques [9] convergent même vers la disparition de certaines espèces sensibles à terme, au regard des objectifs de développement éolien programmés par les états et si aucune mesure de réduction de risque n’est prise de façon massive. Les milieux forestiers (forêts de feuillus ou mixtes), les systèmes agricoles complexes (bocage) et les zones humides fournissent des sites de chasse ou des gîtes pour de nombreuses espèces de chiroptères grâce à la présence de vieux arbres (abris), de haies (corridors de déplacement) ou de plans d’eau (présence d’insectes) par exemple. C’est pourquoi il est préférable d’éviter d’implanter des éoliennes dans ces milieux. Les plaines agricoles ne sont pas non plus dénuées d’enjeux ; les mortalités y sont observées de façon plus ponctuelle mais parfois importante. Les mortalités en plein ciel ne relèvent pas exclusivement de la configuration des milieux au sol : d’autres facteurs d’influence interviennent selon les phénologies et conditions climatiques. En outre, les éoliennes ont elles-même un caractère attractif pour les chauves-souris, ce qui rend le risque de mortalité difficile à anticiper au stade de l’étude d’impact. Cette attractivité pourrait être causée par des phénomènes de concentration d’insectes induisant des pics d’activité à risque à proximité des rotors.
Les espèces de haut vol, les migratrices au long cours, mais aussi les espèces des lisières (pipistrelles) lors de prises ponctuelles d’altitude (pics d’activité) sont donc les plus exposées aux collisions et aux barotraumatismes. Les murins et rhinolophes qui évoluent près du sol sont beaucoup moins dénombrés au pied des éoliennes que les pipistrelles ou les noctules.
Des solutions existent
Les oiseaux et les chiroptères sont reconnus comme étant les groupes d’animaux les plus sensibles au développement de l’éolien, subissant notamment des pertes et fragmentations d’habitats liées à l’implantation des parcs, des collisions avec les machines ou des perturbations comportementales. D’une manière générale, les espèces les moins sujettes au dérangement sont plus exposées au risque de collision, et celles dont l’état de conservation est dégradé sont davantage menacées, un nombre minime de pertes pouvant avoir des conséquences importantes sur leur population.
Une planification régionale identifiant les territoires qui doivent être préservés de l’implantation d’éoliennes en raison des enjeux de biodiversité qu’ils présentent est la mesure la plus efficace pour minimiser leurs impacts environnementaux. La bonne conduite du pré-diagnostic et de l’étude d’impact de chaque projet est, elle aussi, indispensable pour identifier correctement les enjeux et proposer des mesures d’atténuation adaptées : choix du nombre, du gabarit et de la localisation fine des éoliennes, gestion appropriée des habitats proches, etc.
L’asservissement des éoliennes peut également permettre de réduire les risques de collision pendant les périodes sensibles, définies sur la base de paramètres environnementaux ou par des détecteurs en temps réel. Pour les chauves-souris, les études ont montré l’efficacité des dispositifs de régulation lorsque les conditions de risques ont été bien évaluées au préalable [10]. L’amélioration et la démocratisation de ces mesures doivent donc être engagées rapidement pour enrayer la mortalité liée aux éoliennes sur les populations. Pour les oiseaux, ces détecteurs et les dispositifs d’arrêt de machines peuvent, en outre, être couplés avec des systèmes de dissuasion acoustique, afin d’éloigner les individus évoluant à proximité. Toutefois, ces dispositifs peinent à démontrer leur efficacité sur des parcs présentant de forts enjeux pour l’avifaune et doivent donc encore être améliorés.
Références
- ADEME. 2016. Impacts environnementaux de l’éolien français. 8 pages.
- Itty C., Duriez O. 2018. Le suivi par GPS, une méthode efficace pour évaluer l'impact des parcs éoliens sur des espèces à fort enjeux de conservation : l'exemple de l'Aigle royal (Aquila chrysaetos) dans le sud du massif central. Actes du séminaire éolien et biodiversité de la LPO, 21 et 22 novembre 2017 Artigues-près-Bordeaux, p. 42-48.
- Marx G. 2017. Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune – Étude des suivis de mortalité réalisés en France de 1997 à 2015. LPO.
- Loss S., Will T., & Marra P. 2013. Estimates of bird collision mortality at wind facilities in the contiguous United States. Biological Conservation, vol. 168, p. 201-209.
- Loss S., Will T., & Marra P. 2013. Estimates of bird collision mortality at wind facilities in the contiguous United States. Biological Conservation, vol. 168, p. 201-209.
- Études d'Oiseau Canada. 2016. Base de données du suivi des populations d’oiseaux et de chauves-souris relié à l’énergie éolienne. 48 pages.
- Duriez O., Pilard P., Saulnier N., Bouzin M., Boudarel P. & Besnard A. 2018. Impact des mortalités additionnelles induites par les collisions avec les éoliennes pour la viabilité des populations de Faucons crécerellette. Actes du séminaire éolien et biodiversité de la LPO, p. 49-65.
- Voigt CC et al. 2015. Wildlife and renewable energy: German politics cross migratory bats. Eur J Wildl Res. nº 61, p. 213-219.
- Frick W.F., Baerwald E.F., Pollock J.F., Barclay R.M.R., Szymanski J.A., Weller T.J., Russel A.L., Loeb S.C., Medellin R.A., McGuire L.P. 2017. Fatalities at windturbines may threaten population viability of a migratory bat. Biological conservation, vol. 209. p. 172-177.
- Beucher Y., Richou C., Albespy F. 2018. Mortalité des chiroptères - Analyse comparée de la mise en place de mesures de régulation de 3 parcs éoliens. Actes du séminaire éolien et biodiversité de la LPO, 21 et 22 novembre 2017, p.81-87.